Pluton, la planète naine au grand cœur

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
13 avril 2021 à 17h06
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On ne savait pas trop à quoi s'attendre avec elle, mais elle a quand même surpris tout le monde ! Crédits NASA/JHUAPL
On ne savait pas trop à quoi s'attendre avec elle, mais elle a quand même surpris tout le monde ! Crédits NASA/JHUAPL

La neuvième planète ! Finalement déclassée, elle n'en est pas moins tout à fait exceptionnelle. Avec son orbite excentrée et ses 5 lunes remarquables, Pluton reste une incroyable curiosité cosmique. Survolée en 2015, vous allez encore beaucoup en entendre parler.

Et puis bon, ce p'tit cœur…

Ce Tombaugh sera votre Tombaugh

Après la découverte de Neptune en 1846, plusieurs décennies passent au cours desquelles l'astronomie va progresser, sans pour autant découvrir une éventuelle « planète X » que chacun attend pourtant. Car les mathématiques liées aux orbites des grandes planètes montrent qu'il y a encore quelque chose de très lointain à trouver.

Près d'un siècle passe jusqu'à 1929. A 23 ans seulement, l'américain Clyde Tombaugh est déjà un petit prodige de l'observation astronomique. Embauché par le Lowell Observatory à Flagstaff (Arizona), il découvre Pluton en ciblant une partie du ciel « prédite » par les calculs de Percival Lowell, et à l'aide d'une technique de comparaison de plaques photographiques. La date officielle est fixée au 18 février 1930, et fait grand bruit : c'est la première fois qu'un américain est crédité pour une découverte aussi importante.

Une fois le nom de Pluton adopté (il aura fallu les recommandations de Tombaugh et d'une écolière de 11 ans), la nouvelle se répand. Dès la fin des années 30, Pluton fait partie des « neuf planètes » que tout un chacun récite à l'école.

Les meilleures images de Pluton ! Vue par Hubble... Crédits ESA/NASA/HST
Les meilleures images de Pluton ! Vue par Hubble... Crédits ESA/NASA/HST

Pluton, comme on le découvrira dans le siècle qui suit, est un objet trans-neptunéen (un TNO pour les initiés), qui passe la majeure partie de son orbite dans la Ceinture de Kuiper, une gigantesque zone contenant beaucoup d'astéroïdes et de comètes primordiales, datant des premières agglomérations de matière de notre Système solaire. Ce qui explique que Pluton est aussi classé comme étant un KBO (Kuiper Belt Object), même si une petite partie de son orbite très elliptique est plus proche du Soleil que la planète Neptune.

Pourquoi évoquer ces classifications exotiques ? Parce qu'au début des années 2000, le chercheur américain Mike Brown et son équipe découvrent coup sur coup plusieurs autres TNO d'une taille proche de celle de Pluton. Du coup, un choix s'impose : soit il faut ajouter à l'agenda des écoliers une liste (incomplète) de ces nouvelles découvertes, soit Pluton rentre dans une nouvelle catégorie, les Planètes naines. L'union astronomique internationale tranche en 2006, et « déclasse » Pluton.

Quinze ans plus tard, une partie des américains s'en offusque toujours, tandis que Mike Brown en rit joyeusement : son bouquin « Comment j'ai tué Pluton » est devenu best-seller.

Pluton, une danse avec Charon

Située à grosso modo 6 milliards de kilomètres de la Terre, Pluton est donc une planète naine de 2 370 km de diamètre, très éloignée du Soleil, et par conséquent particulièrement gelée. Elle dispose de son propre système avec quatre petites lunes (Styx, Nix, Kerberos et Hydra) et Charon, qui est à la fois massive avec ses 1 200 km de diamètre et proche de Pluton. Si proche en fait, que les deux corps « dansent » l'un autour de l'autre dans leur orbite : le barycentre de ces deux corps est excentré, et on peut parler de système double. Pluton a une masse environ 500 fois inférieure à celle de la Terre, et dispose d'une très fine atmosphère d'azote (on y a même observé quelques nuages !). A la surface, avec une température de -225 °C, n'espérez pas mettre le nez dehors ! Tout est glace de différents matériaux : glace d'azote (prépondérante), glace de méthane, glace d'eau…

Lors de son survol en 2015, on découvre sur son hémisphère Sud une gigantesque forme de cœur (résultant probablement d'un ancien impact, et qui fait office d'océan gelé), nommée Tombaugh Regio en hommage à son découvreur. Sous la couche de surface, les chercheurs pensent qu'un épais océan de glace d'eau recouvre le cœur rocheux du planétoïde. Et la surface… quelle poésie ! Des icebergs de glace d'azote, des montagnes acérées, des océans de poussière métallique, des brumes quotidiennes sur des collines d'échardes gelées.

Des montagnes sur Pluton. Crédits NASA/JHUAPL
Des montagnes sur Pluton. Crédits NASA/JHUAPL

On retrouve sur Pluton des noms de régions liés à l'exploration. Spatiale notamment (Sputnik Planum, Columbia Hills, Viking et Venera Terra…) mais pas uniquement. L'explorateur Zheng He ou le plongeur Jean Jacques Cousteau sont à l'honneur ! Sur les régions inexplorées, et sur Charon, ce sont des personnages de fiction. On retrouve ainsi la région Cthulhu, les taches Balrog ou Vucub… Mais aussi une région sur Charon dédiée toute entière aux personnages de Star Wars, à Dr. Who ainsi qu'à Star Trek. Une partie de ces noms ont été officialisés par l'IAU, mais la majorité a juste été baptisée par les équipes de la mission New Horizons.

New Horizons, un survol pour la postérité

Partie de la Terre lorsque Pluton était encore une planète majeure, New Horizons est une mission qui a décollé dans le seul but de survoler Pluton et de l'étudier un maximum. Si elle ne pouvait pas embarquer assez de carburant pour freiner et se mettre en orbite, ses instruments ont enregistré une montagne de données, qu'il a ensuite fallu transférer durant plus d'une année (les débits de données sont minuscules). Les retours scientifiques uniques de New Horizons seront étudiés pendant des décennies : la sonde a par exemple pivoté pour photographier Pluton à « contre-jour » du Soleil, ce qui a permis de multiples découvertes sur son relief et son atmosphère.

Pluton à contre-jour. La diffusion de la lumière permet d'étudier indirectement les propriétés de la très fine atmosphère de la planète naine. Crédits NASA/JHUAPL
Pluton à contre-jour. La diffusion de la lumière permet d'étudier indirectement les propriétés de la très fine atmosphère de la planète naine. Crédits NASA/JHUAPL

Avant cette mission, les meilleures images de Pluton (grâce à Hubble) ne dépassaient pas une vingtaine de pixels.

Fun fact : Voyager 1 aurait pu atteindre et survoler Pluton dans les années 90, mais les responsables de la mission ont choisi de lui faire suivre une trajectoire permettant de mieux étudier la lune Titan autour de Saturne. C'était l'un ou l'autre (et on ne va pas regretter Titan…).

Notes :

  • Voyage 2/10 : Même si elle fonçait vers Pluton, il a fallu 9 ans et demi à New Horizons pour croiser la planète. Pour un trajet habité, comptez au moins le double. Vous avez regardé Passengers ?
  • Paysages 8/10 : C'est riche, c'est mystérieux, c'est varié. Mais c'est aussi réservé aux fans de la Reine des Neiges, parce que l'intégralité du paysage est en glace. Et ce ne sont pas les panneaux solaires qui vont vous aider à cette distance.
  • Habitabilité 4/10 : Les humains ne sont pas très adaptés pour vivre sans atmosphère et à ces températures. Il vous faudra donc une terrifiante combinaison pour aller vous promener, et une doudoune à toute épreuve. Seul avantage : vu la gravité, vous pouvez vous permettre la route qui mène au surpoids.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (10)

cirdan
Merci pour cet article sur une planète qui a tant nourri notre imaginaire !
Oldtimer
Je m’en souviens j’avais pestiféré des millions de noms que la morale m’interdit pourtant contre ce satané de gars à cause de qui on a perdu une planète !!!<br /> Milles millions de sabords de tonnerres de Brest ! Marin d’eau douce ! Ectoplasme ! Bachi-bouzouk ! Espèce de zouave ! Ornithorynque ! Cercopitèque ! Pignoufs! Troglodytes !<br /> Et ça c’est pour rester poli, le reste… je vous laisse imaginer. Les rappeurs en pâliraient s’ils entendaient !
Johan_b1
très bon article comme d’habitude <br /> J’aurai bien aimé que l’auteur ajoute l’histoire derrière le nom Pluton.<br /> Pourquoi ce choix.
cirdan
Numerama – 1 May 20<br /> Pourquoi Pluton s'appelle Pluton ?<br /> Pluton a été découvert il y a presque un siècle, en 1930. Une anecdote se cache derrière le nom de ce que l'on considérait alors comme une nouvelle planète. L'idée de son nom est venue d'une jeune anglaise âgée de 11 ans.<br />
Mandolin-Kid
Oui, Pluton est passionnante. Je signale quand même trois incorrections : «&nbsp;une partie des américains s’en offusque toujours / une partie de ces noms a été officialisée / mais la majorité a juste été baptisée par…&nbsp;». Mettez au pluriel, SVP-merci, et vous constaterez que le sens est bien meilleur. Vous croyez bien faire en vous fiant à une apparence, mais ce que vous prenez pour un groupe nominal sujet fonctionne en fait comme un déterminant quantitatif complexe, et le vrai sujet est le nom pluriel qui suit. Une incorrection courante, par «&nbsp;hypercorrection&nbsp;», correction excessive en dépit du sens, mais c’est le sens qui est l’essentiel. Donc : «&nbsp;s’en offusquent / ont été officialisés / ont été baptisées&nbsp;». Maintenant, j’dis ça… Pluton, j’en rêvais déjà quand j’étais gamin.
ebottlaender
Ce n’est qu’à demi-vrai, Pluton était déjà envisagé par Tombaugh lui-même qui avait proposé le nom (et qui a soutenu la proposition de V. Burney).
Mrpolnar
Le choix est à l’appréciation de l’auteur. Les deux sont valables. Singulier ou pluriel ne change rien au sens de la phrase.
cirdan
Il aura été élégant…
Element_n90
Et sinon, à quand la prochaine mission ? Avec des lanceurs comme SLS et FH, peut ont envisager de raccourcir le délai d’arrivée sur place ou/et de satelliser la sonde plutôt que d’y passer en coup de vent ? Mais peut-être que ça n’a pas d’intêret si les données récoltées vont necéssiter des décennies d’analyse, pourquoi chercher à aller en obtenir d’autres tant qu’on n’a fini d’exploiter celles que l’on a ?
ebottlaender
En fait c’est un dilemne permanent, plus on arrive vite sur place, plus cela prend d’énergie pour freiner. Des lanceurs comme FH ou SLS (encore faudrait-il qu’elle vole, celle-ci) pourraient permettre de raccourcir le temps de trajet (mission de survol) ou bien pour permettre de freiner (mais il faudrait alors 15 à 20 ans de voyage. Dans les deux cas, la NASA n’est pas persuadée pour l’instant.
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