Adeline : quand Airbus proposait son projet fou de réutilisation

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
17 juillet 2022 à 16h00
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Le concept Adeline : plutôt que de ramener l'étage, ramener le moteur © Airbus DS 2015
Le concept Adeline : plutôt que de ramener l'étage, ramener le moteur © Airbus DS 2015

En 2015, alors que l'ESA vient juste de se mettre d'accord pour approuver Ariane 6, Airbus met sur la table son projet Adeline. Il s'agit d'un étonnant concept de moteur détachable et capable de revenir, sans étage, se poser en Guyane pour être réutilisé. Mais il restera sans suite…

Adeline démontrait la volonté de l'Europe de se positionner rapidement sur le secteur réutilisable.

Dès la signature d'Ariane 6, la question du réutilisable soulevée

Fin 2014, l'Agence spatiale européenne donne (enfin) son feu vert à Ariane, la nouvelle génération de l'iconique lanceur européen. La décision n'a pas été facile, et pour qu'elle soit prise, il aura fallu une proposition portée par un nouveau consortium industriel, temporairement appelé « Airbus Safran Launchers », formé le 1er janvier 2015 et qui ne prendra que plus tard le nom d'ArianeGroup.

Les entreprises européennes se préparent alors pour un décollage inaugural en 2020… tout en sachant qu'à cette date, il leur faudra déjà avoir préparé l'avenir. Ariane 7 ? Non, mais une version encore moins chère et plus facile d'emploi. Et pourquoi pas partiellement réutilisable ?

Le 10 janvier 2015, pour la première fois, SpaceX tente de faire atterrir un étage de sa fusée Falcon 9 sur une barge en pleine mer. La technique est alors incertaine, et l'intérêt économique, très disputé… Mais, en Europe comme ailleurs, plusieurs acteurs ont compris que les lanceurs réutilisables allaient marquer les esprits.

Et, à la surprise générale, ça marche très bien © SpaceX
Et, à la surprise générale, ça marche très bien © SpaceX

Étudier plutôt que rater

Contrairement à certaines déclarations condescendantes envers SpaceX datant de l'époque, la menace est prise au sérieux : Ariane a longtemps profité de presque la moitié du marché commercial mondial, mais le vent tourne. Plusieurs études sont lancées pour baisser les coûts, et récupérer tout ou une partie des étages de fusée est bien sur la table.

Le concept lui-même n'est pas nouveau, avec les navettes américaines dont les boosters ont été récupérés en mer (et d'ailleurs, plusieurs exemplaires des EAP d'Ariane 5 ont aussi été spécialement repêchés). Le CNES et l'agence spatiale allemande DLR démarrent des études communes pour savoir quelle est la méthode la plus appropriée. Il y a en effet débat : faire atterrir l'ensemble d'un étage coûte cher en carburant, et certains moteurs ne sont pas adaptés pour redémarrer. C'est le cas, notamment, du Vulcain utilisé par Ariane 5 et 6. Parachutes, boucliers, rétropropulsion, types de carburant : les pistes sont multiples.

© Airbus
© Airbus

Et voici Adeline !

Airbus Defence & Space travaille sur son propre concept nommé Adeline. Il s'agit en fait d'un acronyme pour « ADvanced Expendable Launcher with INnovative engine Economy ». Et vous aurez remarqué que le titre ne parle pas de réutilisation de lanceur, mais bien d'un moteur innovant.

En effet, pour Adeline, il ne s'agit pas de tenter de ramener tout un étage de fusée vers la Terre, mais simplement sa section basse avec le compartiment moteur sous les réservoirs. Pour cela, le segment de l'étage concerné se sépare du reste de l'étage quelques secondes après que le deuxième étage s'est éloigné vers l'orbite.

Airbus laisse ouverte la possibilité d'avoir un petit allumage du moteur pour que sa trajectoire l'amène vers son point de départ plutôt que de réaliser une parabole de plusieurs centaines de kilomètres. Adeline est aussi renforcé, et équipé d'un bouclier thermique et structurel pour résister à son entrée dans l'atmosphère.

Mais ce qui ressort le plus de ce concept, l'élément « accrocheur » par excellence, c'est ce qu'il se passe pour l'atterrissage et la récupération. En effet, Adeline est équipé de deux ailes, avec des « pods » dans lesquels sont cachés deux moteurs à hélices propulsives qui se déploient dans la dernière phase du vol. Avec peu de carburant (ou en étant électriques), ces moteurs permettent de se diriger facilement et d'atteindre une piste pour que l'étage puisse se poser, soit sur un train, soit sur des skis, un système en tout cas peu coûteux et facile à changer. Préservé dans son cocon, le moteur principal de la fusée, une fois au sol, peut être sorti du dispositif Adeline pour inspection, changement éventuel de quelques pièces, puis réutilisation sur une autre paire de réservoirs pour un prochain lancement.

Le premier démonstrateur pour Adeline, en version mini-mini © Airbus DS
Le premier démonstrateur pour Adeline, en version mini-mini © Airbus DS

Plus sérieux qu'une solution PowerPoint

Parfois annoncé comme un « concept fou », qui avait peu de chances de voir le jour, Adeline est présenté au public au début du mois de juin 2015. Et les études iront bien au-delà de la planche à dessin, avec des maquettes volantes et un modèle grandeur nature. Celui-ci sera développé dans la seconde moitié de 2015 (mais jamais présenté au public) et testé sur différentes bases aériennes militaires (Evreux, Chateaudun, Solenzara)

Néanmoins, le calendrier pesait largement contre le projet d'Airbus. En effet, l'Europe n'allait pas s'engager pour un nouveau lanceur, et le plan pour l'architecture « finale » d'Ariane 6 est à peine arrêté. Aussi, ce projet semble rapidement jouer contre son propre camp : le développement de la nouvelle génération et de sa filière industrielle s'annonçait suffisamment complexe sans ajouter cette variable réutilisable et son complexe retour sur piste.

Vite abandonné, mais à raison ?

À décharge, Adeline ne sera formellement abandonné qu'en 2018 pour des questions de rentabilité, même si l'arrêt du projet sera effectif bien plus tôt. En effet, toujours en 2015, la France fait un autre choix (peut-être plus conservateur), celui de soutenir le développement du futur moteur Prometheus réutilisable, avec une propulsion méthane-oxygène liquide.

Le pays se concentre également sur des projets pour faire revenir l'intégralité d'un étage. Les deux idées phares de démonstrateurs ne seront finalisés qu'en 2017 avec les projets franco-allemand-japonais Callisto et européen Themis. Ceux-ci, s'ils n'ont pas été abandonnés, n'ont pas encore prouvé leur valeur en 2022.

De façon étonnante, on peut se dire qu'Adeline aurait peut-être eu plus de chance d'être concrétisé s'il avait été présenté avant la finalisation du concept Ariane 6… ce qui aurait pu mener à une intégration plus facile de ce « bas d'étage détachable » dans l'ensemble. Mais, même 8 ans plus tard, il n'est pas certain qu'Adeline aurait fourni les résultats attendus.

Cette version de démonstration devait être larguée à très haute altitude et atteindre de très hautes vitesses © Airbus DS
Cette version de démonstration devait être larguée à très haute altitude et atteindre de très hautes vitesses © Airbus DS

SMART, le cousin d'Adeline

Pour autant, il existe un concept similaire dont les prémices ont eu lieu en parallèle. Il s'agit du « SMART Reuse » de l'opérateur United Launch Alliance, présenté en avril 2015, qui était censé équiper son nouveau lanceur Vulcan. À la suite de problèmes de développement, l'entreprise l'a ensuite fait passer au second plan, mais assure aujourd'hui qu'il est toujours prévu de le mettre un jour en service.

Il s'agit, pour ce projet, de récupérer la section moteur de Vulcan avec ses deux grands moteurs BE-4 réutilisables, grâce au déploiement d'une coque-airbag gonflable pour ralentir la descente et atténuer les effets de la traversée de l'atmosphère, avant une récupération par hélicoptère ou par avion dans une dernière phase de vol sous parachute. Néanmoins, rien n'indique, 7 ans après, que ce concept pourra se matérialiser avant la fin de la décennie.

Fort de son expérience depuis 2017, SpaceX récupère presque 100 % des étages de sa fusée Falcon 9, qui ont été réutilisés jusqu'à 13 fois.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (5)

norwy
Dommage que le schéma n’indique pas ce qu’il arrive au fuel tank (corp principal de la fusée) après avoir amerri. Même déployé, ça aurait manqué de panache…<br /> Tintin sur la Lune, ça, ça ne manquait pas de panache !
cid1
Drôle de petite fusée, elle est mimi ^^
twist_oliver
« avant une récupération par hélicoptère ou par avion dans une dernière phase de vol sous parachute »<br /> cela me parait très dangereux, en tout cas je suis curieux de le voir en vrai !
eykxas
C’est exactement ce que fait rocket lab. Et c’est pas plus dangereux qu’une autre méthode.<br />
vvdb
Une compagnie américaine le fait…<br /> C’est une opération délicate sauf à mettre au point un système automatique avec drone…
ebottlaender
Dangereux, pas trop, mais c’est très technique. Et plus dangereux que le retour d’étages, car il y a des humains dans l’appareil.
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