Cerise, la première collision accidentelle en orbite

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
30 avril 2021 à 16h54
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Il s'en passe des choses au-dessus de nos têtes... Crédits NASA
Il s'en passe des choses au-dessus de nos têtes... Crédits NASA

Depuis les années 60, la question d'une possible collision accidentelle en orbite était posée comme une hypothèse. Le 24 juillet 1996, le satellite français Cerise sera le tout premier à en faire les frais… Heurté par un débris de fusée Ariane, qui avait elle-même envoyé en orbite un fleuron du CNES.

Une terrible malchance étudiée comme un cas d'école aujourd'hui.

Coup de projecteur sur SPOT

Pour écrire la genèse de ce qui restera comme la première collision accidentelle en orbite, il faut remonter un peu dans le temps, en 1986. La France lance alors le satellite SPOT-1 sur orbite à plus de 800 km d'altitude, grâce à une fusée Ariane 1. Cette dernière se compose de 3 étages, dont le dernier, équipé d'un moteur cryotechnique, qui n'est pas conçu, à l'époque, pour pouvoir se rallumer. Lors de l'injection en orbite, il reste donc lui aussi en orbite basse, inactif. Un débris massif, de 9,1 mètres de long et pratiquement 3 mètres de diamètre. Vide, il perd régulièrement de l'altitude grâce à de minuscules frottements sur la très faible densité atmosphérique…

Mais tout de même, l'objet a besoin de plusieurs dizaines d'années avant de pouvoir se consumer dans l'atmosphère. La gestion des orbites n'est pas la même dans les années 90 qu'aujourd'hui : l'étage d'Ariane 1 entre bien dans les « catalogues » orbitaux, mais ces derniers manquent amplement de précision, et ne sont pas aussi accessibles qu'à l'heure d'internet.

SPOT, lui, fut une si grande réussite qu'il engendra toute une série de satellites. Crédits CNES
SPOT, lui, fut une si grande réussite qu'il engendra toute une série de satellites. Crédits CNES

Le temps des « Cerise ».

Neuf années passent, jusqu'au 7 juillet 1995. Une belle journée pour le spatial français, et en particulier pour le secteur de la défense : grâce à Ariane 4, le satellite « espion » Helios-1A (dont les acquis sont amplement basés sur SPOT) donne aux armées françaises et européennes une nouvelle indépendance. Ariane 4 étant un lanceur puissant, deux autres satellites partagent la coiffe avec Helios-1A : une petite unité expérimentale espagnole nommée UPM-sat, et un petit satellite d'essai français nommé Cerise, largué sur une orbite de 666 x 675 km d'altitude.

Cerise est un prototype original, construit en grande partie en Angleterre par Surrey Satellite Technology (SSTL) et sur lequel la Direction Générale de l'Armement a installé une expérience d'écoute électronique. Il est en effet possible de capter depuis l'orbite un spectre important de signaux émis depuis le sol : échanges radio, pulsations radar…

Cerise doit évaluer ce potentiel, mais c'est une unité de petite taille, qui n'est même pas équipée de propulsion. Le satellite pèse environ 50 kg, et mesure 60 x 30 x 30 cm, avec une particularité : un mat télescopique de stabilisation par gradient de gravité de six mètres de long. Dans la longue tradition française, Cerise est un acronyme pour Caractérisation de l'Environnement Radioélectrique par un Instrument Spatial Embarqué.

Un modèle similaire à celui du satellite Cerise (mais sans le mat déployé). Crédits SSTL.
Un modèle similaire à celui du satellite Cerise (mais sans le mat déployé). Crédits SSTL.

L'heure des confitures

L'expérience a commencé comme prévu, et le grand public n'aurait pour ainsi dire plus jamais eu besoin d'entendre parler de Cerise. Mais le 24 juillet 1996, un peu plus d'un an après son lancement, Cerise ne répond plus. Il faudra le concours des radars américains pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'une panne subite : le satellite a changé d'orbite, il tourne sur lui-même et son mat télescopique est brisé.

Quelques heures plus tard, la nouvelle tombe… Le petit satellite de la défense est la victime de la toute première collision involontaire en orbite basse, avec un débris de grande taille. Ce dernier, on s'en aperçoit grâce au concours des catalogues américains et anglais, n'est autre que le troisième étage de la fusée Ariane 1 qui a emmené SPOT en orbite.

Cruel coup du sort : un satellite français est détruit par un étage de fusée lié à un autre lancement français. Et ce alors que soviétiques (puis russes) et américains ont déjà envoyé des milliers d'objets en orbite, la plupart étant eux-mêmes devenus des débris…

Cerise est toujours en orbite basse aujourd'hui... Et pour longtemps. Crédits Stuffin.space
Cerise est toujours en orbite basse aujourd'hui... Et pour longtemps. Crédits Stuffin.space

Evidemment, Cerise n'ayant aucun moyen de manœuvrer, la collision était pour ainsi dire inévitable dès la mise en orbite du satellite. Les jours suivant la collision sont dédiés aux calculs : il faut savoir si l'étage peut à nouveau percuter le petit satellite, et tenter de cataloguer les nouveaux débris générés par cet impact. En effet la collision a eu lieu à une vitesse relative de pratiquement 15 kilomètres par seconde, et n'a pas cassé que le mat de Cerise : des fragments d'Ariane 1 sont bientôt identifiés et catalogués.

Le nombre de débris lui-même est resté relativement limité (une trentaine de pièces) et n'a pas causé d'autres inquiétudes depuis, même si à cause de la haute altitude, tous les morceaux sont encore en orbite 25 ans plus tard.

Le doigt sur l'hématome

Pour la France, cet incident servira de révélateur. À défaut d'anticipation, l'impact est dû à des capacités limitées pour l'époque à bien observer l'orbite basse, ce qui est aujourd'hui une composante essentielle de la défense spatiale, que ce soit pour se prémunir des débris ou des « visites » de satellites étrangers à proximités de nos unités les plus précieuses.

L'accident de Cerise permet aussi de créer un précédent : les collisions majeures à cause de débris orbitaux ne sont plus hypothétiques, et la France va s'engager à mettre en place des lignes claires pour éviter qu'un tel fiasco se reproduise. Cette réaction se traduira après des années de travail sur la réglementation, par la mise en place de la LOS (Loi sur les Opérations Spatiales) qui voit le jour en 2008. Notre pays est devenu un véritable moteur en Europe pour agir à l'international sur la question du STM, ou Space Trafic Management.

Cerise, bien sûr, ne fut pas le seul accident en orbite, il est même un peu oublié aujourd'hui. Le monde fut à la fois surpris et horrifié par l'ampleur de la catastrophe entre les satellites Iridium-33 et Cosmos-2251 en 2009, qui généra plusieurs milliers (et probablement dizaines de milliers) de débris. Pourtant, ces accidents qui auraient pu devenir de véritables événements fondateurs pour un élan unifié et global afin d'éviter les catastrophes futures n'ont pas fondamentalement changé l'usage de l'orbite basse.

Une visualisation des débris du satellite Iridium-33 encore en orbite en 2021 (évidemment ils sont moins gros qu'à cette échelle). Crédits Stuffin.space
Une visualisation des débris du satellite Iridium-33 encore en orbite en 2021 (évidemment ils sont moins gros qu'à cette échelle). Crédits Stuffin.space

Malgré les initiatives et les bonnes pratiques observées par de nombreux acteurs, les nombres de satellites et de débris se sont multipliés de plusieurs ordres de grandeur. L'ESA estime aujourd'hui qu'environ 900 000 pièces de plus d'un cm de diamètre sont présentes en orbite, la très grande majorité en orbite basse. Les plus petits ne peuvent pas encore être suivis ou catalogués avec précision en 2021.

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Commentaires (24)

kroman
Et est ce que l’orbite de tous les satellites est cataloguée ?
dede63
Au moins, nous somme protégé des petits homme verts avec plus de 900000 débris ( connu ) qui tourne autour de la terre à plus de 50000 km/h
ebottlaender
Oui, il y a maintenant des catalogues très à jours et très fournis que ce soit pour les satellites ou pour les débris.<br /> Après comme je le rappelle dans l’article, ce n’était pas aussi facile d’accès ni pour réagir dans les années 90, malheureusement.
ebottlaender
Ben… Non.<br /> C’était pas de chance, ça c’est très vrai.
max_971
Moi, je propose de mettre des panneaux cédez le passage, stop, des feux tricolore, des ronds-points…<br /> Et un radar automatique
esox
Justement, ce serait intéressant à un moment d’organiser une mission (financée par un riche philanthrope par exemple) pour nettoyer un peu tout ça. Ca fait désordre pour les visiteurs quand même.
nickOh
Pas si simple, pour attraper un objet dans l’espace, il faut être dans la même orbite, et a la même vitesse, ça risque d’être long vu le temps pour atteindre une orbite donnée x le nombre d’objets, et encore au niveau des tailles, masses, et vitesse de rotation des objets sur eux mêmes.<br /> Lorsqu’un parmi les centaines de satellite des nouvelles flottes type Starlink, qui ne sont pas equipés de propulsions va collisionner qqchose, et qu’il y aura un effet domino, ça commencera peut être a réagir, car pour l’instant, tant que les probas sont faibles, il faut qu’il se passe un vrai accident impactant pour lancer des vrai process de sécurisation.
ebottlaender
Juste au passage, les satellites Starlink (et d’ailleurs ceux des autres constellations) sont bien équipés de propulsion
Urleur
éboueur spatial, c’est le métier d’avenir !
dancod
Solution très française…<br /> Je proopose aussi de limiter la vitesse des satellites à 80km/h
marsu95
Pas forcément.<br /> Si l’idée est de les récupérer, alors oui, mais l’erreur est là.<br /> Le plus simple serait je pense de leur fournir une impulsion pour qu’ils descendent. Entre réalité et fiction : un satellite qui allumerait les débris avec un laser par exemple ? La chaleur provoquée devrait influer sur la trajectoire… réalisable ? pas sûr mais dans ce cas il suffirait d’un «&nbsp;chasseur&nbsp;» qui pourrait «&nbsp;descendre&nbsp;» bien du monde au passage, des débris bien sûr pas des satellites, ça les Français savent déjà le faire visiblement, lamentable histoire que voilà…
Philmarc94
Coup de chapeau au rédacteur pour les traits d’humour en tête de chapitre. Un petit dernier à la fin aurait été la cerise sur le gâteau …
ebottlaender
Merci <br /> Je ne savais pas comment le placer et j’avais peur d’en faire un peu trop !
Philmarc94
A votre service !
dredre
A mon avis c’est autre chose, plus il y aura de débris moins les rayons de soleil nous atteindrons. Du coup on lutte contre le réchauffement climatique !
philouze
"Le plus simple serait je pense de leur fournir une impulsion pour qu’ils descendent. "<br /> oui, mais ça implique de lancer avec le sat’ le carburant concerné, et à hauteur d’une désorbitation c’est considérable (en masse).<br /> On le fait pour les sat suffisamment bas ou pour lesquels il reste un peu «&nbsp;accidentellement&nbsp;» du jus de secours, devenu inutile en fin de mission.<br /> Pour les sat’ placés très haut, c’est plus rentable de les envoyer vers une orbite «&nbsp;poubelle&nbsp;» encore plus élevée et qui ne présente aucun intérêt technique.<br /> ces orbites représentent une telle surface à parcourir que le risque de collision pour de futures missions est infinitésimal.
philouze
vu que ce sont l’équivalent de boites à chaussures qui flottent sur un océan faisant 1.5x la surface de toute une planète, on peut en envoyer encore quelques dizaines de milliards avant de voir un effet sur le climat, au gros jugé
marsu95
ah, me suis mal fait comprendre ; l’énergie serait fournie par le «&nbsp;chasseur&nbsp;», sous forme d’un tir laser en supposant que l’impact générant de la chaleur, cela pourrait se traduire par une poussée.<br /> Dans cette idée, le chasseur peut cibler pas mal de déchets sans pour autant consommer son carburant, ni avoir besoin de se rapprocher fortement.<br /> Maintenant que j’y pense, on pourrait tester le truc avec un tri depuis la Terre, avec une puissance accrue…
Bombing_Basta
Y’a des études actuellement pour balancer dans l’atmosphère des particules pour bloquer les rayons du soleil histoire de continuer sur notre lancée destructrice… (The matrix HAS you )<br /> Bien sûr ces personnes ne prennent pas en compte le fait que moins de photons sur la surface de la Terre, c’est moins de photosynthèse pour les plantes, et donc moins de nourriture pour les hommes, et moins de production végétale de la biosphère, donc moins de CO2 absorbé par le vivant…
TotO
Eboueur… Et pourquoi pas ramasseur de poubelles !
fg03
Ouais ou il aurait pu dire à Cerise de faire un constat et d’appeler son assureur… la MAAF cela va sans dire.
pecore
Bien vu !
DarkStarOne
Merci pour l’article, super intéressant, je ne connaissais pas ce passage de l’histoire.<br /> En espérant que rien ne nous retombe dessus…
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