Satellite SPOT : regarder la Terre et en faire sa spécialité

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
29 décembre 2020 à 09h16
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SPOT-1 au-dessus du globe, dans cette vue d'artiste des années 80. Crédits CNES
SPOT-1 au-dessus du globe, dans cette vue d'artiste des années 80. Crédits CNES

En 1986, le CNES réalise un nouveau pari en envoyant le satellite franco-belge SPOT en orbite. Le premier d'une série à succès, qui a révolutionné et popularisé l'imagerie satellitaire à grande échelle.

Une aventure qui perdure aujourd'hui. 

Observer la Terre, avec efficacité

Tandis que les militaires des deux côté du rideau de fer se livrent dans les années 70 une course sans répit pour photographier et cartographier au mieux les territoires de leurs adversaires, l'intérêt grandit pour des programmes d'observation satellitaire publics. Plutôt que de compter les chars et les missiles, il pourrait être intéressant de constater l'urbanisation des territoires, l'artificialisation des côtes, la taille des forêts ou même l'impact de catastrophes naturelles. En 1972 les Etats-Unis font décoller LandSat-1, qui produit 100 000 clichés à basse résolution, mais inspire beaucoup...

Un an plus tard, la France met en place un groupe nommé GDTA (Groupe pour le Développement de la Télédétection Aérospatiale) et propose un satellite d'observation terrestre à la jeune agence européenne en 1974. Malgré tout, les ambitions des uns et des autres font capoter le projet, et la France finit par démarrer son propre projet avec la Belgique et la Suède en 1977-78. Il s'appellera SPOT, pour Satellite Probatoire d'Observation de la Terre, et fut ensuite nommé en public avec une autre signification pour l'acronyme : Satellite Pour l'Observation de la Terre.

La plaine du Pô sous la neige, observée par SPOT-1. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS
La plaine du Pô sous la neige, observée par SPOT-1. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS

La décision est lourde de conséquences : il faut créer une filière de recherche appliquée sur le sujet qui jusque là n'existait pas en Europe ! Plusieurs entreprises impliquées dans le projet n'avaient aucune expérience dans le domaine spatial, d'autant qu'il faut s'adapter à un projet international. En 1980, le projet est défini et les derniers prototypes et maquettes sont livrés : les équipes peuvent se lancer dans la réalisation du satellite. En 1981, les différents pays mettent en place les installations au sol pour le contrôle de la mission, la réception et l'analyse des données. Le 1er juillet 1982, l'entité commerciale « SPOT Images » est déjà née… mais le satellite est encore loin d'être prêt. Toutefois avec l'engouement autour du projet, les partenaires se préparent déjà à décliner SPOT en une série de satellites plutôt qu'en un seul modèle. Fin 1985, SPOT-1 est prêt. Il est envoyé au Centre Spatial Guyanais, dans un contexte… particulier.

Un challenge jusqu'au lancement !

C'est que le dernier décollage Ariane au moment où SPOT-1 arrive en Guyane (avec son co-passager le satellite Viking) était un gros raté, avec la perte des deux satellites de communication que la fusée devait embarquer. Le 22 février, l'événement est historique, car il s'agit aussi du tout dernier décollage d'Ariane 1. Après un décollage à 2h44 (Paris), SPOT-1 est éjecté avec succès en orbite polaire héliosynchrone. Il faudra toutefois attendre 25 minutes que les panneaux solaires soient déployés et qu'il commence à émettre.

La ville de Berlin (avant la chute du mur) en 1989 vue par SPOT-1. Crédits CNES 1989, Distribution Airbus DS
La ville de Berlin (avant la chute du mur) en 1989 vue par SPOT-1. Crédits CNES 1989, Distribution Airbus DS

Compte tenu de ses capacités de l'époque, ce n'est pas un « petit satellite » : 3,5 m de long, 2 m de côté et 1,83 tonnes sur la balance ! A 832 kilomètres d'altitude, SPOT-1 utilise ses deux instruments HRV (Haute Résolution Visible) de 250 kg chacun, qui ont une capacité unique pour l'époque : grâce à un système de miroir, ils peuvent pivoter leur angle de vue de 27° sans modifier l'orientation du satellite. Un avantage idéal pour mesurer les reliefs, ce qui fait aussi partie de la mission de service public de SPOT, qui sera utilisé pour produire les cartes de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

Dans le Djebel Amour…

Après des années d'attente, les équipes sont impatientes de découvrir les images du satellite, dont les instruments ont une résolution de 10 m panchromatique (c'est-à-dire en valeurs de gris) et 20 m en couleur. Des valeurs loin des « hautes résolutions » déjà à l'époque, mais qui permettent avec une large zone d'observation de visualiser de grands territoires et leurs évolutions rapides : grâce à ses miroirs, SPOT-1 peut photographier la même zone du globe deux fois toutes les 72 heures maximum.

Les premières photos seront capturées dès le lendemain du décollage le 23 février et filent de Toulouse à Paris pour être présentées à la presse. Officiellement, la première est celle du Djebel Amour, au Nord du Sahara Algérien pour la couleur. Il y a des nuages sur la France… Mais le satellite capture au cours de la même orbite des clichés panchromatiques de Nice et de la plaine du Pô au Nord de l'Italie, sous la neige. Ces photos auront un retentissement mondial.

La "première image" de SPOT-1 au-dessus de l'Algérie. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS
La "première image" de SPOT-1 au-dessus de l'Algérie. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS

SPOT images, une saga entrepreneuriale

Contrairement à son « cousin » américain LandSat, SPOT est conçu dès le départ comme un outil commercial, et partout dans le monde les services publics d'abord (et privés ensuite) découvrent l'utilité des clichés satellitaires réguliers, puisqu'il s'agit de la première unité du genre. Alors que la liste des clients s'allonge déjà, SPOT gagnera ses lettres de noblesse quelques mois seulement après son décollage. Le 25 avril 1986 a lieu le tragique accident sur la centrale de Tchernobyl, en Ukraine. Mais à l'époque, aucune information ne filtre. La Suède donne l'alerte le 28 avril et les pays occidentaux demandent rapidement des explications à l'URSS, qui ne fournit que le strict minimum.

Mais en France comme en Suède, la décision est rapidement prise d'utiliser SPOT-1, qui pourra prendre un cliché dès le 1er mai. Malgré la fête du travail en France comme en Suède, les équipes font tout leur possible pour récupérer le cliché et le traiter en un temps record… Et c'est une révolution. Non seulement il s'agit de l'image la plus détaillée du site disponible en public (pas question pour les américains de distribuer des images de leurs satellites espions), mais c'est aussi un cliché indépendant qui révèle la zone et son activité. L'image sera utilisée par la presse, la télévision, etc. Et dans les mois qui suivent, le satellite fera plusieurs passages au-dessus de la zone, révélant les efforts pour évacuer, décontaminer et sécuriser le site. Un moment fort, qui reste connu comme la première utilisation opérationnelle de SPOT-1 et comme un moment fondateur pour l'utilité d'avoir des clichés satellitaires « d'urgence ».

SPOT-1 photographie Tchernobyl, que le public occidental découvre avec ces clichés. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS
SPOT-1 photographie Tchernobyl, que le public occidental découvre avec ces clichés. Crédits CNES 1986, Distribution Airbus DS

François Mitterrand ne s'y trompe pas : deux mois plus tard, la France engage un nouveau programme Helios de satellites d'observation militaires, car pour prendre de bonnes décisions, une information indépendante est souvent la clé.

SPOT et post-SPOT

L'aventure SPOT ne se limite pas à un satellite, et l'incroyable réussite commerciale du premier modèle confirme que les nombreux clients souhaiteront à la fois une continuité, une amélioration des performances et plus d'images. SPOT-2 décolle en 1990 et marquera lui aussi l'aérospatiale française en capturant 6,5 millions de photographies et en restant en service… 20 années au lieu de 3 prévues à l'origine ! SPOT-3 suit en 1993, avant un changement de génération (et d'instruments optiques) avec SPOT-4 en 1998 qui rajoute des capacités en infrarouge. SPOT-5 améliore la résolution des capteurs qui passe à 2,5 m et 10 m en couleur en décollant en 2002, tandis que SPOT-6 et 7 décollent en 2012 et 2014 avec une fois de plus de meilleures performances (1,5 m et 6 m en couleur).

Le satellite SPOT-5 à la mise sous coiffe. Crédits CNES/ESA/Arianespace/CSG Service Optique, 2002
Le satellite SPOT-5 à la mise sous coiffe. Crédits CNES/ESA/Arianespace/CSG Service Optique, 2002

Opérés aujourd'hui par Airbus Defence and Space, les SPOT sont prioritairement dédiés au service public français, mais disposent de clients dans le monde entier, en parallèle avec des services à plus haute résolution comme les satellites Pleiades du même opérateur. Les besoins en imagerie évoluent, et l'Union européenne a sa propre constellation Copernicus qui fournit à la fois des photographies à large champ et des suivis de différents indicateurs (y compris en cas d'urgence). L'aventure commerciale continuera avec des satellites plus précis (Pleiades Neo) et des besoins spécifiques, comme les satellites CO3D et leur capacité à venir pour cartographier le monde en 3D…

Eric Bottlaender

Spécialiste espace

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (11)

Mike-de-Klubaik
Ah, les images SPOT qu’on a pu décortiquer à la fac… nostalgie…
Gregouille
Belle synthèse. Il faudrait préciser que si Spot 1 a volé si longtemps, c’est parce qu’au moment de sa conception, c’était l’inconnue la plus complète sur la fiabilité des équipements. Ca a donc été «&nbsp;ceinture et bretelle&nbsp;» sur le choix des équipements, la redondance, etc.<br /> Sinon c’est AIRBUS Defence and Space, avec un C.
ebottlaender
whoups, trahi par mon frangliche. C’est corrigé ^^
Element_n90
Et donc, il est prévu un SPOT 8 ?
ebottlaender
Pas pour l’instant non, c’est ce que j’écris dans l’article visiblement les photographies optiques à large champ peuvent être obtenues avec d’autres services et Airbus DS se focalise sur de futurs satellites plus spécialisés.
Cmoi
Avant, la France arrivait à faire de grandes choses seule ou presque: Ariane, Concorde (avec le Royaume-Uni), Centrales Nucléaires, TGV, Minitel…et aujourd’hui avec l’UE on a pas grand chose.<br /> Galileo? En plus d’avoir eu un retard fou, On attend toujours que la constellation soit complète…c’était pour cette année 2020, maintenant ce serait pour 2021. En tout cas, aucun satellite Galileo a été lancé depuis plus de 2 ans…et pendant ce temps, les États-Unis rattrapent progressivement leur retard technologique avec leurs satellites GPS de 3ème Génération.
ebottlaender
C’est dommage, ce négativisme. Il manque 2 satellites pour que Galileo soit en service à 100% sur l’ensemble du globe simultanément, mais la constellation est tout à fait active et les «&nbsp;trous&nbsp;» sont absolument mineurs (et invisibles puisque pour rappel, on partage les mêmes fréquences que le GPS). La précision de Galileo fait mouche et les fabriquants d’objets connectés ne s’y trompent pas avec une estimation à environ 1 milliards d’équipements début 2020. Les satellites GPS 3… Sont 4 unités pour le moment, et la constellation ne sera prête à minima qu’en 2023 donc on peut rigoler.<br /> Galileo et Copernicus sont d’énormes succès de l’UE.
Cmoi
Réalisme…Éric Pour Galileo, il faut encore 4 satellites pour que la constellation soit complète (et pas 2). Mais je ne doute pas qu’ils seront en orbite l’année prochaine mais toute même…Quel retard depuis le lancement du projet en 1999! Comme j’ai déjà indiqué, les États-Unis avec leur GPS de 3ème Génération rattrapent progressivement leur retard technologique en orbite (5 satellites de 3eG à la fin de cette année en orbite) mais en plus, les chinois ont maintenant une couverture mondiale avec leur Beidou.<br /> Quant à « l’énorme succès » de Galileo…J’ai suivi l’évolution du projet depuis 1999…avec abandon des premières sociétés choisies, explosion du budget, problèmes techniques, retards…Je ne serais pas si laudatif pour une UE représentant à l’époque plus de 30% des richesses du Monde. La France seule était plus effective avec beaucoup moins d’argent…
ebottlaender
Galileo aurait été un fiasco si on avait été les seuls en retard, et je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas eu de gros problèmes à l’allumage !<br /> Cependant on a eu un coup de chance énorme, les USA ont fait n’importe quoi avec le GPS 3 pendant une décennie (résultat ils sont blindés pour les signaux militaires mais font 3 fois la masse des sats Galileo et coûtent bien plus cher) et il leur faudra tout de même au moins jusqu’en 2023 pour que la constellation soit effective. Les russes ne sont pas encore passés à Glonass-K et Beidou bien que commercialement très puissant n’a pas d’aussi bonnes performances que le système européen.<br /> J’insiste parce que ce projet a eu mauvaise presse pendant 15 ans, et maintenant il marche bien ce qui semble étonner tout le monde, mais on devrait vraiment s’en réjouir. En bonus les satellites à venir dans la décennie (2022-2030) vont encore donner un coup de fouet aux performances.
Element_n90
C’est bien beau cette aventure, mais de nos jours, que vaut les Spot par rapport à ce que peut faire le new space (Planet par ex) ?
ebottlaender
En terme de performance pure, Planet offre un meilleur service.<br /> Mais Spot images, c’est aussi la possibilité de remonter dans le temps sur presque 35 ans pour observer les changements, et un système très stable au fil des années. C’est parfait pour des services de cartographie publique, etc.
Gregouille
La constellation Galileo est suffisante pour une couverture mondiale 24/24 depuis juillet 2018 (26 satellites). Depuis décembre 2021, il y en a deux de plus. Et les récepteurs utilisent conjointement Galileo et GPS depuis des années.
Cmoi
Constellation suffisante peut-être…mais toujours pas complète depuis mon message d’il y a 1 an et 3 mois car il lui faut encore 6 satellites, et c’est prévu vers 2025.
ebottlaender
Non, c’est faux. Les satellites de 1è génération qui seront envoyés d’ici 2025 servent à assurer la continuité de service en cas de problème, ainsi qu’à remplacer les premières unités IOV qui fonctionnent très bien, mais qui ont dépassé leur durée de vie initiale.<br /> La constellation est complète et fonctionnelle.<br /> Par ailleurs il en reste 10 ou 12 à lancer, et non 6.
Cmoi
Euh…d’après les articles que j’ai lu sur le sujet, la constellation Galileo n’est pas considérée comme complète (et je parle bien de la 1ère Génération). Et il ne faut pas oublier que sur les 28 satellites actuellement en orbite :<br /> Galileo-IOV FM4 : Lancé en 2012, est indisponible après une perte de l’alimentation en 2014.<br /> Galileo-FOC FM1 et FM2 : Lancés en 2014 et placés sur une orbite incorrecte, puis replacer sur une orbite utilisable, ne sont plus utilisés depuis presque 1 an car certains récepteurs commerciaux ont des difficultés à calculer leur orbite.<br /> Galileo-FOC FM4 : Lancé en 2015 a été retiré en 2017 du service actif, officiellement pour une question de gestion de la constellation.<br /> Galileo-FOC FM23 et FM24 : Lancés en décembre 2021 sont en cours de validation, et ne sont pas encore actifs.<br /> Par conséquent, Galileo fonctionne actuellement avec 22 satellites. Constellation complète?*<br /> *Même avec les 2 nouveaux qui seront bientôt actifs, donc 24 au total.
ebottlaender
En fait c’est vrai, ça dépend un peu à qui on demande. C’est vrai qu’à l’origine la constellation devait compter 24 satellites actifs + 6 réserves en orbite, les 24 actifs définissant le fait d’être totalement globale et fonctionnelle.<br /> Après le problème des FM1 et FM2 qui ont toujours été en dégradé, il est resté un «&nbsp;trou&nbsp;» dans la couverture, qui une fois que les autres satellites sont arrivés en orbite a été considéré comme négligeable puisque les signaux sont complémentaires au GPS. Politique ou gestion de la constellation, c’est difficile à dire.<br /> Elle fonctionne actuellement avec 22 satellites sur 24 requis pour être pleinement globale, mais les ajustements d’orbite et de meilleures performances que prévues initialement (meilleure détection par ex.) font que l’effet est identique. Une fois les deux en cours de commissionnement actifs, le maillage sera encore meilleur.<br /> Comme écrit dans mon com précédent, les unités qui restent vont remplacer les IOV (3 actifs, un inactif) et constituer la réserve opérationnelle, pour arriver au 24 + 6 (ou 24+8, j’ai toujours un doute).
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