Des tonnes de vivres, d'expériences et des questions diplomatiques arrivent sur l'ISS pour les mois à venir

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
22 février 2022 à 16h00
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Le cargo Progress MS-19 arrive, sur fond de nuages. Crédits : Roscosmos
Le cargo Progress MS-19 arrive, sur fond de nuages. Crédits : Roscosmos

À quelques jours d'écart, un cargo russe Progress et un cargo américain Cygnus sont arrivés sur la Station spatiale internationale. Les sept membres d'équipage ont reçu de quoi vivre et poursuivre leurs centaines d'expériences… Le contexte sur Terre a beau être de plus en plus tendu, leur mission dépend de la collaboration.

C'est peut-être l'heure pour une photo de groupe ou un grand dîner.

Préparez les écoutilles !

C'était la semaine dédiée à l'arrivée des nouveaux cargos. Le 17 février, deux jours après son décollage, le véhicule russe Progress MS-19 ouvrait le bal en s'amarrant de façon totalement automatisée au module Poisk. Il amenait pratiquement 2,5 tonnes de fret, dont 430 kg de carburant de manœuvre, 420 litres d'eau potable et 40 kg d'azote sous pression pour les systèmes de bord.

Les 1,6 tonne de cargo restantes se trouvaient dans la soute pressurisée de Progress : des vivres, des vêtements, du matériel pour continuer d'activer le laboratoire Nauka, un nouveau kit de réparation pour s'occuper des fissures à l'arrière du module Zvezda, six petits satellites qui seront éjectés « à la main » lors d'une future sortie spatiale et du matériel pour différentes expériences. Les deux cosmonautes occupés par ce déballage, le segment non russe (USOS) s'est à son tour préparé pour l'arrivée d'un cargo, le Cygnus NG-17, qui a décollé samedi dernier.

Capture du cargo Cygnus NG-17, avant son amarrage sur le module Unity de la station. Crédits : NASA
Capture du cargo Cygnus NG-17, avant son amarrage sur le module Unity de la station. Crédits : NASA

Du frais dans le fret

Amarré hier (21 février) à l'aide du grand bras robotisé Canadarm2, Cygnus apportait à son tour 3,5 tonnes de matériel et de vivres, y compris des fruits et légumes frais (avocats, tomates, raisins, poires…).

Côté matériel, il y a cette fois de quoi installer les panneaux solaires qui arriveront dans le prochain cargo Dragon de SpaceX, des réservoirs d'appoint pour l'oxygène et l'azote comme du côté russe, un nouvel éclairage pour le bras robotisé, des pièces de scaphandres et une multitude d'expériences scientifiques. Certaines sont financées par des acteurs privés, comme une étude de Colgate-Palmolive sur le vieillissement de la peau en orbite.

Ce cargo Cygnus, qui restera environ un mois et demi sur la station, aura aussi pour mission de corriger l'altitude de l'ISS (généralement, c'est plutôt le côté russe qui s'en charge), et il transporte des CubeSats, dont certains seront largués directement depuis le cargo avant qu'il ne reparte se désintégrer dans l'atmosphère terrestre en avril.

S'occuper pour ne pas évoquer la crise ?

Pour les sept occupants de la Station (deux Russes, un Allemand, quatre Américains), ces deux véhicules et leur contenu vont leur permettre de poursuivre leurs activités, dans ce qui s'annonce comme un mois studieux : plusieurs semaines d'expériences, la préparation de sorties extravéhiculaires du côté américain (installation de panneaux) comme du côté russe (activation du bras robotisé européen ERA). Quatre semaines bien chargées avant les rotations d'équipages de l'ISS au début du printemps.

Les départs et arrivées démarreront le 18 mars avec le décollage de Soyouz MS-21. En tout cas, c'est ce qui est prévu. Il n'aura échappé à personne que les tensions entre la Russie et l'Occident (en ordre dispersé entre puissances européennes et les États-Unis) sont à leur apogée depuis 2014, avec le morcellement puis l'annexion d'une partie de l'Ukraine. Les astronautes, qui sont généralement les premiers défenseurs et d'ardents avocats pour la coopération internationale, doivent vivre une ambiance particulière. Cependant, à moins d'un conflit généralisé (et d'une évacuation), les travaux et même la vie sur l'ISS dépendent d'une collaboration entre tous les acteurs. Cela fait 21 ans que ça dure… et depuis 2014, ça n'a pas (trop) posé de problèmes.

Évidemment l'ISS n'est pas la seule concernée par la collaboration avec la Russie. Soyouz décolle de Guyane, par exemple... Crédits : ESA/CNES/CSG/Arianespace/S. Martin
Évidemment l'ISS n'est pas la seule concernée par la collaboration avec la Russie. Soyouz décolle de Guyane, par exemple... Crédits : ESA/CNES/CSG/Arianespace/S. Martin

Entre cohabitation et frictions

En effet, pas question dans un cas extrême de faire plus que fermer les écoutilles qui séparent les sections russes et USOS de la Station… et les occupants pourraient refuser de le faire, notamment pour des questions de sécurité. Il n'y a pas de « bouton rouge » pour tout à coup éjecter les modules des voisins, qui sont interconnectés notamment depuis l'extérieur, et quand bien même, cela ne servirait à rien. Pour des questions matérielles d'abord, puisque l'ordinateur central et le pilotage de l'ISS sont installés dans le module russe Zvezda, tandis que les panneaux solaires américains fournissent l'électricité nécessaire aux deux segments.

Côté humain aussi, on peut ajouter que l'astronaute américain Mark Vande Hei est venu sur l'ISS en Soyouz avec ses collègues russes (et qu'il n'en repartira pas avant le mois d'avril). D'autres collaborations et échanges du genre sont déjà prévus avec Anna Kikina sur Crew Dragon à l'automne prochain, tandis que les secteurs spatiaux russes, américains et ukrainiens ont réussi malgré la crise de 2014 à collaborer jusqu'ici. Le Cygnus NG-17 en est un magnifique exemple. Son lanceur Antares utilise des moteurs russes, un premier étage ukrainien, des composants américains, et le cargo comporte lui-même un compartiment pressurisé italien.

Reste donc à savoir si la crise actuelle aura des répercussions sur ce type de programme, voire sur l'ISS elle-même.

Il aura fallu quatre années en dents de scie et plusieurs échecs cuisants, mais cette fois… Ca marche ? En décembre 1974, l'URSS envoie sa sixième station spatiale en orbite, et malgré quelques déboires, Saliout-4 sera la première à recevoir la visite de plusieurs équipages. Un succès déterminant qui prépare la suite.
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Source : Nasaspaceflight

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (11)

fredolabecane
Quelqu’un se souvient de 2010, la suite de 2001 l’odyssée de l’espace? Russe et américain se retrouvent sur le même vaisseau, ils s’approchent d’Europa (sic!) et ne savent pas si ils pourront revenir sur terre car la guerre entre les russes et les ricains est déclarée…belle ambiance sur le vaisseau!<br /> Quelques coïncidences étranges… je vous conseille a tous de le revoir, ce film est génial.
Gmp13000
Il n’y à pas de suite au film de Stanley kubrick!<br /> Regardez l’original!
AtomosF
« Soyouz décolle de Guyane » Sérieux ! Je ne savais absolument pas ! Pour moi c’était exclusivement à Baïkonour !
tfpsly
Film basé sur les bouquins, 2001 2010 et… 2061 et 3001.
Klauss
Le 18 mai 1991, le cosmonaute Sergei Krikalev quittait la Terre pour la station spatiale soviétique Mir. Pendant qu’il était là-haut, à plus de 350 km d’altitude, le pays qui l’avait envoyé a cessé d’exister. Il devint alors, l’espace de quelques mois, le « dernier citoyen soviétique ».<br /> cherchez : cosmonaute-union-sovietique-sergei-krikalev/
ebottlaender
27 tirs et le prochain est prévu dans le mois qui vient !<br /> Soyouz dispose du plus grand nombre de sites de lancement : Baïkonour, Plesetsk, Vostotchnyi et Sinnamary (on dit souvent Kourou, mais Soyouz est sur le site de la ville d’à côté en Guyane).
benben99
L iss a besoin de la Russie.
cid1
Toujours des articles précieux pour leurs petits détails et très intéressants.<br /> Par exemple je ne savait pas que le bras robotisé était européen.
Gmp13000
Je suis d’accord, mais vu que les cinéastes actuels n’arrivent même pas à refaire un remake correct de « Massacre à la tronçonneuse », il n’y à pas de suite…
ebottlaender
Le bras robotisé que l’on a l’habitude de voir est Canadien (le Canadarm2). Mais sur les flancs du nouveau module russe arrivé l’année dernière (le MLM Nauka), il y a un bras robotisé expérimental européen, qui s’appelle ERA (European Robotic Arm).<br /> Sa mise en service a été longtemps retardée.
cid1
Merci beaucoup pour ces infos supplémentaires, continuer à nous faire de beaux articles qui font rêver
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