Indiescovery #8 | PikuNiku ou l'art de la diversion

Kevin Gainche
Spécialiste gaming
26 février 2019 à 17h40
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Indiescovery 8

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Où l'on parle d'apparences...

Lorsque l'on étudie un tantinet les jeux indépendants, et le jeu vidéo en général, difficile de ne pas voir une certaine tendance se dessiner. Dans leur grande majorité, les jeux vidéo abordent des sujets sérieux. Et si le jeu indépendant est fier de nous mettre face à des sujets difficiles, en l'abordant de manière métaphorique (comme dans Gris), ou bien frontale (à l'instar d'Enterre-moi, mon amour), les AAA (grosses productions type Call of Duty ou GTA) font tout leur possible pour camoufler leur propos à grand renfort de mise en scène spectaculaire, de gameplay bourrin et autre patte graphique propre à vous décoller la rétine.

Néanmoins, lorsque l'on gratte un tantinet cette surface, il est possible de trouver des choses très intéressantes, que l'on ne soupçonnerait pas au premier abord. L'évidence serait alors de parler des jeux Rockstar, qui sous prétexte de nous faire jouer l'odyssée d'un gangster ou d'un cow-boy, nous parle en réalité de sujets beaucoup plus profonds. Il suffit de jouer au dernier Red Dead Redemption pour s'en rendre compte. Mais comme je l'ai dit, m'étendre sur les productions de Rockstar serait trop facile, le studio étant connu pour la qualité de son écriture et la maestria de sa mise en scène.

« sous couvert de nous faire vivre une énième aventure de Kratos, nous livre en réalité une magnifique fable sur la paternité »


Parlons donc plutôt d'autres grosses productions beaucoup plus malignes qu'elles n'y paraissent. Le dernier God of War par exemple, qui sous couvert de nous faire vivre une énième aventure de Kratos, le chauve en colère qui passe sa vie à désosser des divinités à grand renfort d'objets contondants, nous livre en réalité une magnifique fable sur la paternité, et les liens familiaux. Une thématique que l'on peut aussi retrouver, de manière magistrale, dans The Last of Us.

Le Tomb Raider de 2013, qui reboote les aventures de Lara Croft en nous présentant un personnage plus jeune, à l'orée de sa carrière d'aventurière sans peur et sans reproche, est un autre exemple de jeu plus malin qu'on ne le croit. L'intégralité de cet épisode tourne autour de la transformation de Lara, qui passe de jeune fille innocente à aventurière badass après avoir pris un nombre incalculable de coups dans la gueule. Une manière de nous montrer, parfois avec des gros sabots certes, le passage à l'âge adulte et les douleurs qu'il entraine.

Indiescovery 8
PikuNiku, c'est avant tout un style


Même Call of Duty, dans ses meilleurs épisodes, à quelque chose à nous raconter au-delà des apparences, notamment sur les traumatismes et les horreurs de la guerre. Et c'est au final ce qui rend le jeu vidéo aussi intéressant à pratiquer... et à étudier.

C'est lorsque le fond et la forme, ensemble ou non, nous parlent de sujets profonds, qu'ils interrogent notre quotidien, le monde qui nous entoure que l'on touche à ce qui rend le jeu vidéo si spécial. Et le jeu qui nous intéresse aujourd'hui, PikuNiku, appartient à cette catégorie, car sous ses dehors de petit jeu rigolo, aux graphismes enfantins et aux blagues incessantes, il nous livre une petite fable sur les travers du capitalisme et de la société de consommation, tout en prônant les bienfaits de la rébellion contre l'ordre établi. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

PikuNiku

par
Arnaud De Bock, Rémi Forcadell, Alan Zucconi & Calum Bowen
(2019)


Indiescovery 8
De nombreux mini-jeux émailleront votre partie : ici, le Basskick


Lorsque l'on lance PikuNiku pour la première fois, difficile d'y voir autre chose qu'un sympathique petit jeu qui nous trimballe dans un monde vif et coloré, qui n'est pas sans rappeler les œuvres d'un enfant, ou bien des livres à destination des plus jeunes, comme la célèbre série des monsieur/madame, avec leurs bouilles rigolotes de bonhomme bâton.

Cette première impression vole toutefois en éclat dès le départ, puisque le jeu nous met directement face à une publicité mettant scène Monsieur Sunshine, qui nous vante les bienfaits de sa compagnie et de son argent gratuit, distribué avec largesse auprès des masses laborieuses en échange de leur denrée. Une manière, bien entendu, de les exploiter sans vergogne et d'endormir le peuple afin de s'enrichir sur leur dos, à la manière de tout bon capitaliste qui se respecte.

« Il y a donc quelque chose de pourri au royaume de PikuNiku »


Il y a donc quelque chose de pourri au royaume de PikuNiku, et c'est à vous, dans les baskets d'une petite boule rouge dotée uniquement de pieds, de trouver quoi.

Au fil de vos pérégrinations, vous découvrirez que Mr Sunshine est partout, et en bon despote qui se respecte, il observe tout et tout le monde tout le temps. Au détour d'un arbre, vous pourrez voir jaillir une caméra de surveillance épiant vos moindres faits et gestes. Allez faire un tour dans la forêt, et vous pourrez voir ses robots livreurs couper les arbres sans vergogne, mettant en péril la vie des personnes habitant les lieux. Habitants qui, pour la plupart, ne semblent pas voir ce qui se déroule sous leur nez, trop occupé à jouir de « l'argent gratuit » distribué en quantité astronomique par Mr Sunshine.

Sous ses dehors chamarrés et mignons, PikuNiku nous dépeint donc une dystopie ultra-capitaliste qui sonne un peu trop juste lorsque l'on regarde ce qui se passe autour de nous. Par petite touche, le jeu aborde une bonne partie des problèmes qui gangrènent notre monde. Peur de l'autre, pollution, culte de l'apparence, surconsommation et autre mainmise du grand capital sur la société sont autant de thématiques que l'on pourra découvrir au tournant d'une séquence de jeu ou d'un dialogue. Des thématiques graves donc, et particulièrement sérieuses, qui dansent comme une trame de fond, quasi invisibles, et très faciles à rater lorsque l'on ne prend garde qu'à la plastique de PikuNiku.

Indiescovery 8
Un jeu qui vous demande de célébrer votre victoire comme objectif principal ne peut pas être un mauvais jeu !

Le jeu, tant sur le fond que sur la forme, est une sorte d'allégorie du monde dans lequel nous vivons. Derrière les couleurs chamarrées, et l'aspect simpliste qui nous saute aux yeux, se cache une réalité plus sombre, plus violente, rampante presque, mais belle et bien présente lorsque l'on sait ou regarder.

En choisissant cette représentation volontairement simpliste du monde, l'équipe derrière le jeu nous incite à voir au-delà des apparences, au-delà de notre première impression. Une démarche militante donc, porteuse de sens et de valeurs, qui nous bercera durant les quelques heures que dure PikuNiku. Et si l'on est loin d'une incitation à la révolution en règle, ou d'un manifeste politique en bonne et due forme, cela reste très plaisant à découvrir.

Or PikuNiku, ce n'est pas que cette vision dystopique du monde caché sous des couleurs chatoyantes. Je m'en voudrais de le réduire à cela, car il possède bien des qualités, dont celle d'être drôle. Comme pour dédramatiser son propos, et nous coller un uppercut de bonne humeur, il déborde d'un humour plein et entier, qui fait la part belle à l'absurde en toute circonstance. A commencer par le personnage principal, dont la démarche bringuebalante et la fâcheuse manie à donner des coups de pieds sur tout ce qui bouge suffisent à faire sourire.

Indiescovery 8
Dommage que vous n'ayez pas le son, car vous manquez un « excellent » morceau de dubstep

Au fil de la lutte contre les plans machiavéliques de Mr Sunshine, il sera possible de croiser de nombreuses situations abracadabrantesques, du concours de danse contre un robot à la visite d'une dimension parallèle dominée par un toast tout puissant en passant par une partie de cache-cache endiablée avec un caillou parlant. Une ribambelle de petits moments, idiots au possible, qui ne manqueront pas de vous faire sourire, pouffer, voir rire aux éclats. Un humour qui se glissera dans les moindres recoins, en particulier dans les dialogues. Il est en effet possible de parler à tous les personnages du jeu, et ces derniers ne seront jamais avares d'un bon mot ou d'une petite vanne qui fera souvent mouche, grâce au talent des auteurs derrière le jeu. Mention spéciale aux petites phrases que lâcheront les citoyens après que vous leur ayez décoché quelques ruades dans la caboche.

« PikuNiku, c'est donc un étrange amalgame. »



PikuNiku, c'est donc un étrange amalgame. Un jeu mignon tout plein aux relents de dessin animé pour enfant, un humour omniprésent qui flirte avec le non-sens et l'absurde, des mécaniques de jeu simples, à cheval entre aventure, plateforme et puzzle, qui cachent propos engagé sur le monde moderne et ses travers tout en nous incitant à nous révolter contre. Un drôle de mélange donc, qui nous démontre encore une fois qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture, que l'habit de fait pas le moine ou toute autre expression surannée qui me permettra de vous faire comprendre qu'il faut se méfier des apparences.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :

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