Au moins treize personnes se sont suicidées et plus de 900 ont été condamnées, en lien avec le système informatique Horizon, de Fujitsu. Le rapport d'enquête de la Poste britannique dévoile l'ampleur dramatique d'une erreur judiciaire majuscule.

La Poste Britannique et Fujitsu sont au cœur d'un des plus gros scandales du siècle au Royaume-Uni. © Tupungato / Shutterstock.com
La Poste Britannique et Fujitsu sont au cœur d'un des plus gros scandales du siècle au Royaume-Uni. © Tupungato / Shutterstock.com

Le système informatique Horizon de Fujitsu a causé l'une des plus graves erreurs judiciaires britanniques. Entre 1999 et 2015, plus de 900 personnes ont été poursuivies et condamnées à tort, à cause d'un bug informatique. Un rapport d'enquête, publié le 8 juillet 2025, en dit plus sur l'impact humain colossal du scandale, renforcé par le maintien du mensonge autour de la fiabilité du logiciel.

Un logiciel comptable défaillant pourtant maintenu en service pendant des années

Horizon, au cœur du scandale, est un système développé par une filiale de la société japonaise Fujitsu. Il fut déployé à partir de 1999, avec pour mission de moderniser la comptabilité des bureaux de poste britanniques. En réalité, ce logiciel de point de vente et de gestion financière présentait des défauts majeurs que ses concepteurs connaissaient parfaitement. Le rapport établit que des employés de Fujitsu et du Post Office (la Poste britannique) savaient que Horizon pouvait générer des « gains et pertes illusoires » dans les comptes des agences.

Malgré ces défaillances largement documentées, les dirigeants ont maintenu le mensonge de la fiabilité absolue du système. Les sous-postiers qui osaient signaler des anomalies comptables – parfois de plusieurs milliers d'euros – étaient systématiquement accusés de vol ou d'incompétence. Paradoxalement, ce même logiciel défaillant continue d'être utilisé aujourd'hui, même si le Post Office prévoit de s'en séparer d'ici deux à trois ans, selon son président Nigel Railton.

La capacité à persister dans l'utilisation d'Horizon interroge forcément, d'autant plus que Fujitsu continue de briguer des contrats publics majeurs. L'entreprise candidate actuellement pour gérer la frontière douanière post-Brexit avec l'Irlande du Nord, un marché de plus de 400 millions d'euros, qui suscite l'indignation des parlementaires britanniques qui dénoncent une « irresponsabilité corporative ».

Des vies brisées par les fausses accusations informatiques

Le bilan humain du scandale Post Office Horizon dépasse l'entendement. Sir Wyn Williams, le président de l'enquête, révèle dans son rapport que treize personnes au minimum ont mis fin à leurs jours après avoir été faussement accusées de vol et de fraude comptable. Des tragédies qui résultent directement des poursuites injustifiées fondées sur les données erronées du système informatique défaillant.

Cinquante-neuf autres victimes ont envisagé le suicide, dont dix ont tenté de passer à l'acte. Seema Misra, injustement emprisonnée alors qu'elle était enceinte, témoigne avec une douloureuse franchise dans les médias britanniques : elle n'aurait tout simplement pas survécu sans sa grossesse, rapporte Sky News. Christopher Head, le plus jeune sous-postier accusé à 18 ans, compare la procédure d'indemnisation à « un second procès ».

Au-delà des tentatives de suicide, l'enquête documente une litanie de souffrances, qui vont de l'alcoolisme à la dépression, en passant par les troubles alimentaires, les faillites et les divorces. Betty Brown, 92 ans aujourd'hui, est la doyenne des victimes. Elle a aussi témoigné avec amertume, révoltée par une affaire administrative devenue une tragédie humaine. La seule qu'ont en commun les personnes lésées, c'est qu'elles ont toutes le sentiment d'avoir perdu 20 ans de leur vie.

Comment les victimes obtiennent enfin justice et réparations

Au total, le Post Office britannique a poursuivi 700 personnes entre 1999 et 2015, tandis que 283 autres cas furent traités par d'autres instances judiciaires. La bataille juridique menée par Sir Alan Bates et 555 sous-postiers en 2017 a été un tournant décisif. Leur action collective contre le Post Office a abouti à un accord de 58 millions de livres (67 millions d'euros) en 2019, ouvrant ainsi la voie aux annulations de condamnations.

Le gouvernement britannique a donc mis en place quatre dispositifs d'indemnisation distincts pour réparer, ou plutôt pour tenter de réparer les préjudices subis. Au 2 juin 2025, plus d'un milliard de livres furent versés à plus de 7 300 bénéficiaires. Les montants individuels varient puisque, comme on peut le lire chez nos confrères de la BBC, certaines compensations dépassant le million de livres, selon le professeur Chris Hodges, président du conseil consultatif indépendant sur les indemnisations Horizon.

L'enquête fleuve fait dix-neuf recommandations pour éviter la répétition d'une telle tragédie. Le gouvernement a jusqu'au 10 octobre 2025 pour répondre officiellement aux préconisations. Car la seconde partie du rapport, attendue d'ici fin 2025 ou début 2026, arrive vite. Elle se concentrera sur les responsabilités individuelles et institutionnelles de cette catastrophe, qui a même été portée à l'attention du grand public, outre-Manche surtout, avec le drama télévisé Mr Bates vs The Post Office.