L'intelligence artificielle, la reconnaissance faciale biométrique et l'automatisation des contrôles, voilà autant de pistes évoquées par la Cour des comptes pour aider la Sécurité sociale à économiser des milliards d'euros. Et l'urgence guette.

La Cour des comptes recommande à l'Assurance Maladie d'agir au plus vite pour sauver ses finances © Alexandre Boero / Clubic
La Cour des comptes recommande à l'Assurance Maladie d'agir au plus vite pour sauver ses finances © Alexandre Boero / Clubic

Avec 15,3 milliards d'euros de déficit en 2024, la Sécurité sociale française traverse sa pire crise financière. Pourtant, les solutions technologiques existent déjà pour réduire drastiquement les fraudes, et optimiser la gestion de son budget. Le dernier rapport de la Cour des Comptes, publié lundi soir, nous explique qu'entre l'intelligence artificielle sous-exploitée d'un côté, et les systèmes obsolètes de l'autre, la France est en train de passer à côté d'économies colossales pour son système d'Assurance maladie.

L'intelligence artificielle pour voler au secours de la Sécurité sociale

Parmi les réformes nécessaires évoquées par la Cour des comptes pour « assurer un redressement pérenne des comptes sociaux », on retrouve la reconnaissance faciale biométrique. Cette dernière a récemment fait ses premiers pas dans l'administration française. Depuis septembre 2024 par exemple, les retraités à l'étranger peuvent remplacer leurs certificats d'existence papier par une simple authentification numérique. Résultat : 20 000 certificats dématérialisés en quelques mois, principalement utilisés par des Français et des Algériens de moins de 85 ans.

L'intelligence artificielle s'immisce aussi dans les hôpitaux publics. Gestion prédictive des stocks pharmaceutiques, automatisation des comptes rendus médicaux, optimisation des saisies d'identité… les possibilités sont infinies. Pourtant, seulement 30% des établissements ont adopté les outils de facturation automatisée développés depuis 2019 par la Direction générale des Finances publiques (DGFiP).

Les échanges automatisés de données révolutionnent, quant à eux, le contrôle des fraudes européennes. Pas moins de sept pays, parmi lesquels l'Espagne, le Portugal et la Belgique, partagent désormais leurs registres d'état civil en temps réel. Cette coopération numérique couvre à présent la moitié des pensions versées à l'étranger, rendant obsolètes les fastidieux contrôles d'existence manuels.

Pour la Cour des comptes, la détection intelligente des fraudes représente l'eldorado technologique de la Sécurité sociale. Avec 8,9 milliards d'euros de fraudes estimées, dont seulement 700 millions détectés, l'analyse de données massives par algorithmes pourrait transformer la donne. Si des efforts ont déjà été faits, avec la volonté d'imposer à terme une ordonnance numérique et son QR code, la Cour des Comptes recommande d'intensifier le recours à ces technologies d'avant-garde.

Les ratés technologiques coûtent très cher aux contribuables

Le constat est dur, mais aujourd'hui, les systèmes d'information de Santé publique France sont qualifiés de « largement obsolètes » par les magistrats financiers. Cette vétusté technologique handicape, selon eux, la gestion des stocks stratégiques et la préparation aux futures crises sanitaires. Un paradoxe, pour une administration qui stocke 1,35 milliard de masques.

La branche autonomie navigue de son côté entre une multitude de systèmes informatiques incompatibles. Départements, agences régionales de santé et CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) utilisent chacun leurs propres outils. Du coup, il est impossible à ce stade d'avoir une vision globale des 41 milliards d'euros gérés chaque année. Et les projets de convergence piétinent, faute de mandat clair pour créer un système national unifié.

Dans son rapport, la Cour des comptes regrette aussi que l'automatisation des contrôles sociaux reste embryonnaire, et ce malgré les solutions techniques disponibles. Le cumul emploi-retraite, qui concerne 700 000 personnes, s'appuie encore sur de simples déclarations. Parmi les recommandations faites, la Déclaration sociale nominative permettrait pourtant de croiser automatiquement les données, et de détecter les irrégularités en temps réel. Rien que cette mesure-là permettrait d'économiser 500 millions d'euros chaque année à la Sécu.

La proposition de la Cour des comptes détaillée © Cour des comptes
La proposition de la Cour des comptes détaillée © Cour des comptes

Quant au service public des pensions alimentaires, il illustre parfaitement ces retards technologiques. La Cour des comptes évoque des développements informatiques « engagés dans l'urgence », des taux d'erreur de 26% dans les demandes, et des délais de traitement excessifs. La numérisation bâclée coûte 46 millions d'euros de gestion, pour seulement 600 millions d'euros traités annuellement.

La France a les outils pour sauver sa Sécurité sociale, reste à savoir si elle aura le courage de les utiliser. À défaut, la Cour prédit un déficit de 24 milliards d'euros d'ici 2028. La numérisation n'est donc plus une option, mais une urgence vitale.