Des milliers de capteurs équipent les trains SNCF pour alimenter une maintenance prédictive devenue salvatrice. Elle aide à prédire les pannes et à améliorer l'entretien des rames de tout le pays. Et ce n'est qu'un début.

La SNCF s'aide de la maintenance prédictive pour la maintenance de son immense réseau © Alexandre Boero / Clubic
La SNCF s'aide de la maintenance prédictive pour la maintenance de son immense réseau © Alexandre Boero / Clubic

Si la SNCF est souvent taquinée pour les retards de ses trains, on a tendance à oublier que la compagnie ferroviaire est un immense puits technologique. Voilà qu'elle mise désormais sur la maintenance prédictive, pour anticiper les pannes. Pierre Audier, data scientist embarqué dans cette aventure depuis 2017, décrypte pour Clubic, depuis VivaTech, les « conversations » numériques des 360 trains NAT (Nouvelle Automotrice Transilienne) qui sillonnent l'Île-de-France. Son objectif ? Transformer les montagnes de données qu'il a en sa possession en oracle technologique capable de gérer les défaillances bien avant qu'elles ne surviennent.

La maintenance prévisionnelle transforme l'entretien des trains français

Contrairement aux idées reçues, la maintenance prédictive ne relève pas de la voyance technologique. « On n'a pas une boule de cristal qui va nous dire 'dans trois mois, cette porte-là ne se fermera pas' », précise d'emblée Pierre Audier, avec pragmatisme. « On va juste nous dire 'ah, deux semaines avant, parfois cela peut être trois jours avant, on a des signes de faiblesse ici ou là'. » Celui qui est aussi coordinateur équipe Maintenance Prédictive chez SNCF Voyageurs Matériel préfère parler de « maintenance prévisionnelle ».

Le technicien traque au quotidien les symptômes avant-coureurs dans le comportement des équipements. Un exemple illustre bien ces enjeux, celui des accès pour personnes à mobilité réduite. Une simple marche mobile défaillante sur un train peut clouer au sol un train entier. « Une marche mobile qui sort pour permettre à une personne de monter dans le train, si on n'arrive pas à la faire rentrer, le train ne part tout simplement pas », détaille Pierre Audier. L'impact, on le connaît, avec un retard prévisible, d'autant plus important selon l'horaire et la localisation de l'incident.

La SNCF mise donc sur l'intelligence, plutôt que sur la révolution. Plutôt que de bouleverser les plans de maintenance existants, l'entreprise ferroviaire optimise les processus éprouvés. « On n'a pas révolutionné la maintenance. Le plan de maintenance, il est tel qu'il est », explique Pierre Audier. Ici, on évite ainsi les résistances internes, tout en préservant un avantage concurrentiel crucial, face à l'ouverture du marché ferroviaire.

Pierre Audier © Alexandre Boero / Clubic
Pierre Audier © Alexandre Boero / Clubic

Des données par milliers pour alimenter les algorithmes

Parlons des trains NAT, ces Nouvelles Automotrices Transiliennes que Pierre Audier connaît bien et qui ont fait basculer dans une nouvelle ère le transport francilien depuis 2010. Sous leur carrosserie familière, on retrouve une véritable mutation technologique. Pierre Audier nous offre une petite comparaison : « Avant la NAT, pour un mètre linéaire de train, il y avait un mètre de câble par un mètre de train. Là, on passe à un kilomètre de câblage par mètre de train. » Autrement dit, un train de 100 mètres embarque désormais 100 kilomètres de câbles !

Chaque rame embarque des centaines de capteurs qui surveillent en permanence les systèmes critiques : la pression des compresseurs, la position des portes, les valeurs de courant et de tension de la caténaire, ou la température de la climatisation. Cette toile d'araignée numérique interconnecte tous les systèmes. « Pour piloter la climatisation, on va être connecté aussi avec le réseau traction », explique Pierre Audier.

L'objectif ? Adapter automatiquement la ventilation en fonction du poids des voyageurs détecté par les capteurs des bogies. Le calculateur embarqué orchestre ce ballet technologique en mode sniffer : « Il voit passer les données sur le réseau du train, il peut les enregistrer, mais il ne peut pas écrire dessus. » C'est cette passivité volontaire qui garantit l'intégrité des systèmes de sécurité.

Le traitement de cette masse d'informations s'effectue principalement en langages Python et MATLAB, avec des algorithmes déployés sur des infrastructures cloud AWS (Amazon Web Services), mais aussi dans des data centers internes au groupe SNCF. Pierre Audier précise ne pas vraiment travailler sur les données en temps réel. « J'ai des enregistrements qui peuvent arriver toutes les 2h ou toutes les 8h. » Cette latence permet d'anticiper des maintenances programmées, plutôt que de gérer des urgences.

La révolution des gigas de données pousse la SNCF à évoluer

Le saut technologique est assez vertigineux entre les générations de trains. Les données générées par les NAT représentent « à peu près 10 mégaoctets par jour » selon Pierre Audier, soit l'équivalent de quelques photos en haute définition. Avec humour, le data scientist nous dit qu'il s'en accomode. Mais les nouvelles générations changent la donne : « Le TGVM, c'est plusieurs gigas par jour. » Cette explosion des volumes – multipliés par plusieurs centaines – impose de repenser entièrement les architectures de stockage et de traitement.

Imaginez un médecin capable d'ausculter simultanément des milliers de patients. C'est exactement le défi que relève l'intelligence artificielle dans l'analyse des comportements ferroviaires. « Pour une porte donnée, je peux avoir une centaine d'indicateurs statistiques », détaille Pierre Audier. « Sur 2 400 ou 3 600 portes par exemple, on va avoir énormément d'indicateurs statistiques. »

© SNCF

Devant une telle complexité, les algorithmes de regroupement automatique (clustering) jouent les détectives numériques, en rassemblant les équipements qui présentent des symptômes similaires. Les experts peuvent ensuite identifier précisément les défaillances : « une courroie qui est détendue, un temps d'ouverture porte qui n'est pas bon », cite par exemple Pierre.

Tout cela transforme l'efficacité opérationnelle selon une logique imparable : pourquoi vérifier ce qui fonctionne parfaitement ? Pierre Audier utilise l'analogie du contrôle technique automobile optimisé : « La personne ne va pas passer du temps à vérifier des choses qui marchent. » Résultat : les trains sont immobilisés moins longtemps, les infrastructures de maintenance sont libérées plus rapidement, et existe la possibilité de programmer des interventions opportunistes, quand un train entre en atelier pour un autre motif. Un cercle vertueux qui bénéficie à tous les acteurs du système ferroviaire.