L'Union européenne a mis en pause l'annonce de sanctions attendues contre Apple et Meta, en plein cœur de négociations commerciales tendues avec Washington. Cette suspension temporaire soulève des questions sur l'équilibre entre l'application des règles numériques européennes et les impératifs diplomatiques transatlantiques.

Union européenne - © Shutterstock
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Bruxelles s'apprêtait pourtant à frapper fort contre les deux géants américains pour des manquements présumés au Digital Markets Act (DMA), le règlement sur les marchés numériques. Les pratiques commerciales d'Apple concernant les systèmes de paiement alternatifs sur l'App Store et le modèle « payer ou consentir » (pay or consent) de Meta pour le traitement des données personnelles étaient spécifiquement visées. Cependant, cette offensive réglementaire a été stoppée net, du moins pour l'instant, en raison du contexte géopolitique.

Un report de dernière minute lié aux discussions commerciales

La Commission européenne avait initialement prévu d'annoncer des mesures contraignantes, potentiellement accompagnées d'amendes, à l'encontre d'Apple et Meta le mardi 15 avril 2025. Des ordonnances de cessation et d'abstention (cease-and-desist) étaient prêtes, et au moins une des entreprises avait été informée de ce calendrier. Ces sanctions devaient marquer une étape importante dans l'application du DMA, conçu pour limiter le pouvoir des grandes plateformes numériques.

Le report de cette annonce a été décidé juste avant des rencontres cruciales entre responsables européens et américains. Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, se trouvait à Washington pour des discussions, tandis que la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, rencontrait également Donald Trump. Dans ce climat de négociation intense visant à désamorcer un potentiel conflit commercial et à obtenir un accord jugé « équilibré » par l'UE, l'annonce de sanctions contre des fleurons technologiques américains aurait pu être perçue comme une provocation.

Donald J. Trump et Georgia Meloni ce 17 avril à Washington. © Maison Blanche
Donald J. Trump et Georgia Meloni ce 17 avril à Washington. © Maison Blanche

Les griefs spécifiques concernent des pratiques déjà scrutées par le passé. Pour Apple, il s'agit des restrictions imposées aux développeurs pour proposer des systèmes de paiement externes à celui de l'App Store, une question qui lui a déjà valu des amendes substantielles par le passé. Quant à Meta, c'est son offre payante sur Facebook et Instagram, censée offrir une alternative au suivi publicitaire mais exigeant toujours le consentement au traitement des données, qui est jugée non conforme aux exigences du DMA sur le choix réel laissé à l'utilisateur. Les enquêtes semblaient bouclées, mais la décision finale a été suspendue.

Pressions américaines et stratégie européenne

Donald Trump a publiquement critiqué le DMA et le Digital Services Act (DSA), les qualifiant de « forme de taxation » déguisée et d'« extortion » visant injustement les entreprises américaines. Il a même signé un mémorandum ordonnant une enquête sur ces régulations et d'autres « amendes, pratiques et pénalités injustes » de l'UE, agitant la menace de droits de douane rétorsifs. Des figures comme Mark Zuckerberg auraient également plaidé auprès de la Maison Blanche pour une intervention contre les amendes européennes.

Face à cette offensive, la position officielle de Bruxelles se veut ferme. Des porte-paroles de la Commission ont affirmé que la régulation technologique et les enquêtes sur les Big Tech étaient des sujets distincts et « non négociables » dans le cadre des pourparlers commerciaux. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, avait même évoqué par le passé la possibilité d'utiliser la taxation des services numériques, majoritairement américains, comme levier de négociation face aux États-Unis. Cependant, la décision de reporter les sanctions contre Apple et Meta suggère une approche plus pragmatique, visant à ne pas envenimer des discussions commerciales déjà complexes. Certains observateurs craignaient d'ailleurs que les premières amendes sous le DMA, bien que potentiellement « modestes » pour ne pas choquer les marchés, ne servent de prétexte à une escalade.

Ce report tactique a-t-il porté ses fruits ? Donald Trump aurait déclaré après ses rencontres avec les responsables européens qu'il n'y aurait « que très peu de problèmes » pour conclure un accord commercial avec l'UE. Néanmoins, les régulateurs européens insistent sur le fait que les décisions concernant Apple et Meta sont toujours attendues « à court terme », une fois le travail technique finalisé, sans toutefois préciser de nouvelle date. La question reste ouverte : l'UE maintiendra-t-elle sa ligne dure sur l'application du DMA une fois les négociations commerciales apaisées, ou cette pause annonce-t-elle une réévaluation plus profonde de sa stratégie face aux pressions américaines ? L'avenir proche dira si Bruxelles privilégie la rigueur réglementaire ou la realpolitik économique.

Source : Engadget