Jean MICHEL : AFAV, spécialiste de l'analyse de la valeur

Jérôme Bouteiller
Publié le 24 mars 2000 à 00h00
Jean Michel est Conseiller du Directeur del'ENPC (Ecole Nationale des Ponts et Chaussées). Il dirigedepuis 1998, en tant que président, l'Association Françaisepour l'Analyse de la Valeur (AFAV) et est lui-même consultantcertifié AV (CEXV). Jean Mi

PN - Monsieur Michel, bonjour .Beaucoup de personnes ignorent encore les activités menées parl'AFAV. Pouvez vous nous dire ce que recouvre l'expression"analyse de la valeur" ou AV ?

JM - L'analyse de la valeur (méthodeévoluant aujourd'hui plutôt vers le "management par lavaleur") a été inventée et développée à la fin desannées 50 pour assurer la compétitivité des entreprises parune conception plus rigoureuse des produits industriels commeaussi des services tertiaires. De façon schématique, disons quela méthode s'appuie sur cinq régles essentielles (cinqprincipes fondamentaux) :
- la focalisation des efforts de conception sur lasatisfaction des besoins des clients, utilisateurs oubénéficiaires de ces produits ou services (analysefonctionnelle des besoins qui donne alors naissance au cahier descharges fonctionnel ou CdCF) ;
- l'optimisation des coûts de réalisation etd'exploitation de ces produits ou services au regard despriorités ou critères de choix exprimés par les utilisateurs(réduction des coûts inutiles, élimination des fonctionstechniques non justifiées) ;
- une forte mobilisation de l'information, del'intelligence, des compétences et de la créativité dans leprocessus de conception (recherche et exploitation del'information utile, travail en groupe, usage des techniques decréativité) ;
- une rigueur méthodologique dans le déroulementdes études de conception et de reconception des produits etservices (plan de travail, conduite de projet) ;
- enfin la prise en compte des contraintesréelles qu'impose l'environnement dans lequel sont plongés lesproduits et services mis à disposition des utilisateurs (analysede système, gestion des interactionsproduit-environnement).
Disons encore que l'analyse de la valeur est unepuissante méthode de remise en cause des solutions existantes,de résolution de problèmes et d'innovation profonde. Elledéstabilise et donc peut être difficile à utiliser et mettreen oeuvre.

PN - Votre démarche s'inscrit dansune approche proprement "fonctionnelle" de la valeur.Existe-il des liens de complémentarité avec une approche plussystémique du concept de valeur ?

JM - Le concept de valeur est un des plusfourre-tout qui puisse exister. Aujourd'hui, il redevient à lamode comme le montre aisément la multiplication des publicationsde toutes sortes qui vantent les "bons trucs" demanagement pour créer de la valeur. Oui, l'idée de base del'analyse de la valeur ou AV, c'est bien le développement de lavaleur, c'est à dire de ce qui permet à un client ouutilisateur de disposer d'un produit ou service qui répond aumieux à ses attentes et cela au coût le plus intéressant pourlui. Dès lors, il y a possibilité pour ce produit ou ce servicede bien
se placer sur le marché et alors de dégager desmarges de compétitivité et des bénéfices pour l'entrepreneur.Les experts de l'AV définissent la valeur d'un produit ouservice comme la relation qui existe entre la satisfaction desbesoins du client et le coût de réalisation ou d'obtention dece produit ou service. Cette valeur est fondamentalement"systémique" dans la mesure où elle tend à prendreen compte toutes les composantes de besoin du client ainsi que
l'ensemble des éléments d'environnement quipeuvent agir sur sa satisfaction ou contraindre son action, commeencore toutes les données économiques (coûts, prix, marchés)de ce contexte. Retenons bien toutefois le fait que l'AV a faitses preuves en permettant de dégager de sérieuses marges decompétitivité sur des gammes de produits les plus divers et quecela n'a été possible que parce que l'AV se cale sur la valeurpour le client ou l'utilisateur et met en ¦uvre des démarchesde conception qui mobilisent de façon organisée et créativel'intelligence et les compétences des acteurs del'entreprise.

PN - L'analyse de la valeur ou"management par la valeur" est un concept à vocationglobalisante. Elle implique donc la mise en place d'unevéritable conduite du changement.

JM - C'est vrai. On est en plein dans laquestion de la conduite du changement, ce qui inévitablement vaengendrer des peurs ou des réactions parfois négatives dans lamise en ¦uvre d'actions AV ou MV. Mais tous ceux qui ontpratiqué réellement la méthode en connaissent les bénéficeset savent contourner les traditionnels obstacles au changement.Il est important de souligner ici que la caractéristique majeurede l'AV, c'est qu'elle cherche à impliquer les hommes et leséquipes dans la démarche d'innovation. Contrairement aux auditsexternes qui préconisent des solutions sans impliquer leshommes, l'AV part de l'hypothèse qu'il ne peut y avoir progrèssans mobilisation des compétences et sans mise en synergie desintelligences.

PN - Il y à encore peu de temps, lemanagement par la qualité voir la TQM (total quality management- management de la qualité totale) étaient le maître mot deschefs d'entreprise. Le management par la valeur s'inscrit-ilcomme le successeur de la qualité ?

JM - Vieille histoire. L'AV est née bienavant que ne se développent les approches qualité. Lorsquecelles-ci se sont développées (avec une certaine légitimité),il est vite apparu que l'AV (et notamment l'analyse fonctionnelleet l'expression fonctionnelle de besoin) était un des outilsessentiels de la qualité. On en est venu naturellement àintégrer l'AV dans la démarche de qualité totale et on ditassez aisément aujourd'hui que l'AV aide à définir la qualitéau niveau de la conception du produit (on parle alors de qualitéen conception). Le Cahier des Charges Fonctionnel (CdCF), outilspécifique de l'AV, est devenu un des best-seller de la qualitéet tout le monde économique et industriel recommande le recoursau CdCF tant par les maîtres d'ouvrage que par les maîtresd'¦uvre (ou concepteurs) ou encore par les entrepreneurs dansleurs propres développements.

Aujourd'hui, la qualité subit les feux d'unecertaine critique. Sans doute est-on allé trop loin danscertains formalismes associés à la démarche qualité. Sansdoute a-t-on voulu trop normaliser, trop réglementer, sans qu'unvéritable bénéfice économique apparaisse à l'issue de tantd'efforts vers la qualité totale. L'AV a pu aussi paraîtredémodée un moment, mais ses principes de base restentpertinents et tous les concepteurs et innovateurs le savent bien.Dès lors, il est probable qu'on assistera dans un proche avenirà un retour de balancier de la qualité totale vers lesdisciplines "Valeur" (ce que j'appelle désormais lavalorique) et surtout vers le management par la valeur.

PN - A propos, pouvez nous donner unedéfinition de la valeur ?

JM - Comme indiqué précédemmment, lesgens de l'analyse de la valeur définissent (c'est unedéfinition aujourd'hui reconnue au niveau international et pardes normes) la valeur d'un produit (un service, une organisation)comme la relation entre la satisfaction du besoin del'utilisateur de ce produit (ou client de ce service) et le coûtde réalisation ou d'obtention de ce produit. La valeur est doncune subtile équation, subjective, personnelle, qui conditionnel'acte d'achat du client. Il apparaît dès lors hautementsouhaitable d'optimiser (accroître, développer) cette valeur etla perception de celle-ci par un travail innovant sur laconception du produit en question. Et là, les outils etprocédures spécifiques de l'AV permettent d'atteindre desrésultats intéressants.

PN - L'AV entretien des liens étroitsavec la notion de compétitivité. Quels sont, de ce point devue, les facteurs clés de l'avantage compétitif pour uneentreprise ?

JM - Difficile de répondre à une telllequestion de façon générique ou universelle. Je suispersonnellement enclin à penser que chaque entreprise est un casparticulier et qu'elle doit déterminer elle-même ses propresfacteurs clés de compétitivité. Tout dépend à l'évidence ducontexte et ce qui est vrai de la très grosse multinationale n'arien à voir avec ce qui est propre à une PME-PMI ; tel facteurde succès est essentiel dans l'industrie high-tech alors que telautre sera déterminant dans l'entreprise plus traditionnelle.S'il faut quand même répondre à votre question, je dirai qu'àmon sens les facteurs clés de la compétitivité résidentdans:
- le développement des compétences intrinsèquesde l'entreprise et cela de plus en plus (ce qui conduit àregarder le problème aujourd'hui sous l'angle de la mobilisationjudicieuse, intelligente des ressources humaines) ;
- la capacité à réagir vite et de façoninteractive et ouverte, ce qui passe par de nouvelles pratiquesd'information et de communication, par un fonctionnement enréseaux de compétences et par une démarche active de veille oud'intelligence économique (mais je n'aime pas le discoursambiant sur l'intelligence économique présentée comme unenouvelle panacée) ;
- le calage impératif sur la satisfaction duclient et donc sur le développement de la valeur qu'on luiapporte (pas de valeur, pas de client, pas de marché donc pasd'entreprise) ;
- une recherche nouvelle d'efficacité dans lesprocessus de conception des produits et services en prenant plusnettement en compte cette valeur pour le client et surtout enadoptant un point de vue plus ouvert, plus large, plussystémique (ce qui irait dans le sens d'une prise en compte deperspectives aujourd'hui essentielles telles que la maîtrise ducoût global ou encore le développement et la compétitivitédurables - sustainable development, eco-efficiency, etc.-).
A bien y regarder, ce qui peut assurer lacompétitivité c'est surtout l'intégration judicieuse dedifférentes contributions humaines, informationnelles etméthodologiques dans le projet de l'entreprise. En ce sens,l'approche Management par la Valeur est intéressante par cetteintégration systémique de multiples composantes deprogrès.

PN - A contrario, quel sont lesfacteurs patents de non-compétitivité ?

JM - Ils sont classiques etont été largement présentés dans de nombreux ouvrages demanagement, mais on s'étonne toujours quand on voit lesentreprises fonctionner au quotidien et quand on relève lesmultiples points de non-compétitivité. Je retiendrai volontiersles suivants dans la mesure où ils reviennent très souvent dansles analyses :
- l'incapacité à se mettre mentalement dansl'esprit d'une compétition ouverte, aujourd'hui mondiale quiabolit les frontières, les murs de protection, les chassesgardées, les monopoles de droit ou de fait, qui abolit aussi lescertitudes (je pense par exemple à celle que constitue lediplôme que l'on obtient en France à l'âge de 20-23 ans et quidétermine à lui seul 80% de votre carrière à moyen et longterme) ;
- la difficulté à faire oeuvrer ensemble descompétences diverses, à jouer de la diversité des apports, àrendre possible les synergies (et la fertilisation croisée) etcela en grande partie à cause des fonctionnements en structurescloisonnées, en baronnies défendant leurs pauvres territoires,à cause aussi de raideurs dans les schémas d'organisation quiont du mal à accepter le concept de réseaux ouverts decompétences ;
- la focalisation excessive sur les seulsprocessus de production qu'on cherche désespérément àoptimiser, mais sans vraiment reposer la question de la valeurdes produits qui sont proposés ; en ce sens, la management en"routine"(ou des routines) domine trop lefonctionnement au quotidien de l'entreprise au détrimentd'approches plus dynamiques telles que le management par projetet le management par la valeur ; à noter aussi que les approchesde la qualité totale ont souvent été mal intégrées et ont puavoir tendance à renforcer (fossiliser) les "routines"sans
véritablement remettre en cause leur valeur ouleur bien fondé.

J'aimerais ajouter quelque chose qui renvoie àla culture des équipes dirigeantes, notamment françaises. Il mesemble que nos élites dirigeantes (je pense là aux grandesstructures industrielles, mais non aux PME-PMI) ne sont pasvraiment orientées vers la défense (ou mieux la promotion)compétitive et globale de l'innovation. Soit on se renferme dansdes approches purement gestionnaires qui se déterminentuniquement en fonction d'enjeux de pouvoir (et donc
conduisent à un certain type de management à monsens sans réel intérêt aujourd'hui), soit on fonce têtebaissée dans l'invention de nouveaux produits ou procédéscensés révolutionner le monde mais sans véritablement pouvoirpasser au stade de l'innovation et surtout à celui de laconquête du marché. En d'autres termes, être bon en gestion ouêtre bon en capacités d'invention ne suffisent pas pour assurerl'innovation compétitive et à nouveau, on ne peut
qu'appeler des approches managériales plusglobales, plus dynamiques et interactives, fondées sur uneécoute en profondeur des besoins et sur une mobilisationsystémique des compétences.

PN - L'analyse de la valeur est-elleune discipline reconnue par l'AFNOR ?

JM - Oui. L'AFAV (Association françaisepour l'analyse de la valeur) a été pilote de nombreux chantiersde normalisation relatifs à l'AV et à la qualité et lacoopération AFAV-AFNOR a largement débordé dans le passé cestrict cadre normatif. Si j'interprète plus largement votrequestion, je dirais que l'AV est pleinement reconnue par lesinstances officielles nationales ou européennes. Ainsi,plusieurs documents normatifs sur l'AV ont été élaborés auplan européen ; l'analyse de la valeur est aussi considéréepar les relais publics comme une des technologies
majeures pour la compétitivité. L'AFAV travailleen liaison étroite avec le Ministère de l'Industrie, en France,comme avec les structures consulaires ou patronales ; ellesoutient enfin une forte démarche partenariale avec d'autresassociations qui oeuvrent pour la compétitivité (AFITEP pour laconduite de projet, ADETEM pour le Marketing, MFQ pour laqualité, etc.). Voir : http://www.afav.asso.fr

PN - Neteconomie s'interroge beaucoupsur les questions liées à la valeur de l'information. Quelleest votre point de vue sur ce sujet ?

JM - Votre question me conduirait àprendre beaucoup plus que l'espace réservé à cet entretienpour y répondre. Je vous renvoie, si vous le voulez bien à mespublications (http://wwwparis.enpc.fr/~michel-j/INDEX.html). Engros, ma position est la suivante. Schématiquement,l'information n'est pas un bien, elle n'est qu'un regardpersonnel subjectif
instantané sur le monde, regard d'un acteur, d'ungroupe d'acteurs, d'une communauté (l'exemple malheureux actuelsur les évènements du Kosovo le montre parfaitement).L'information dont l'objectivité (et la matérialité) n'existepas, ne peut donc pas avoir de valeur au sens donné plus haut.Parler de la valeur d'une perception, c'est tomberinévitablement dans le "jugement de valeur".L'information, considèrée comme regard, comme perception, estalors
confrontée au regard de l'autre qui se détermineen son for intérieur sur le sens qu'il peut lui donner, sur lesinterprétations. Point, c'est tout, n'allons pas chercher plusloin. Toutefois (et là on peut creuser la réflexion) pourcirculer, pour être échangée, l'information va devoir fairel'objet d'un processus d'extraction, d'élaboration, elle vadevoir être moulée, fondue, incrustée, encapsulée sur unsupport (un article de revue, un livre, un bout d'espace serveur,etc.) qui est alors lui-même l'objet d'un processusd'éditorialisation, de fabrication et de diffusion. C'est ce
que je pourrais appeler de façon vraiment banalela "documentation de l'information". Cette facettematérielle de la documentation de l'information peut fairel'objet d'un traitement d'optimisation selon les principesd'analyse de la valeur, car le document (au sens trèsgénérique du mot) a bien à l'évidence une utilité et uncoût associé. Il est donc possible de lui appliquer unprocessus d'optimisation de sa valeur et de procéder à untravail de management de ou par sa valeur. Mais je m'opposeraitoujours aux thèses de ceux qui prétendent qu'une information aplus de valeur qu'une autre, ce qui conduirait à dire qu'on peutclasser de manière hiérarchiquement ordonnée les regards, lespoints de vue, les idées (mais au nom de quelscritères?).

PN - Les NTIC sont actuellement unsujet qui revient de façon rémanente dans toutes lesdiscussions sur l'économie de l'immatériel. Quelles sont selonvous les nouvelles perspectives offertes par l'essor de cestechnologies ?

JM - C'est une véritable révolution quiest en train de se produire avec les nouvelles technologies del'information et de la communication. Non pas que cestechnologies soient en elles-mêmes révolutionnaires (letéléphone, l'ordinateur, la télévision sont devenues depuislongtemps nos plus usuelles prothèses), mais tout simplementparce que leur convergence, leur intégration au quotidien dansles pratiques des hommes et des organisations conduisent à deschangements profonds dans les modes de communication et detravail. On parle d'entreprise éclatée, d'université virtuelle; on évoque de plus en plus le télétravail ou encore lesnouvelles formes d'apprentissage autonome synchrones ousynchrones ; on constate chaque jour d'avantage l'impact desréseaux ouverts (et notamment de la messagerie électronique)sur la transformation des structures traditionnelles.

Globalement, les TIC (technologies del'information et de la communication en oubliant délibérémentle N) rendent les individus et les groupes à la fois plusautonomes et plus interactifs, elles stimulent le développementde leurs compétences et leur envie de progresser. Ellespermettent aussi la capitalisation et la fertilisation croiséedes connaissances et des expériences. Elles sont le principalvecteur de développement d'une réelle économie del'immatériel. recentrée et bien fondée sur la puissance de laressource humaine communicante. Je suis persuadé en tout cas queles TIC sont un des outils privilégiés d'un développementoriginal du Management par la Valeur, dont les principes de basesont finalement très proches de cette nouvelle économie del'immatériel.

PN - Monsieur JeanMichel, je vous remercie !
Entretien réalisé en Avril 1999par Patrice Nordey
Jérôme Bouteiller
Par Jérôme Bouteiller

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