SpaceShipTwo, le successeur touristique espéré des gagnants du X-Prize…

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
28 mai 2023 à 17h00
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Le VSS Imagine, troisième appareil SpaceShipTwo, n'a encore jamais volé © Virgin Galactic
Le VSS Imagine, troisième appareil SpaceShipTwo, n'a encore jamais volé © Virgin Galactic

Virgin Galactic a (enfin) agité l'actualité avec son petit avion-fusée VSS Unity en cette fin mai. Mais saviez-vous que l'aventure remonte à 2004 ? L'industrie du tourisme spatial était alors pleine de promesses, et en quelques années, Richard Branson voulait faire voler des milliers de personnes. La réalité est plus complexe.

Et la rentabilité, n'en parlons pas !

Une origin story à haute altitude

Pour comprendre l'origine des avions-fusées SpaceShipTwo, il faut se souvenir du SpaceShipOne. En 2004, cet avion-fusée (aujourd'hui exposé au prestigieux Smithsonian Museum à Washington) réussit à dépasser trois fois la frontière de l'espace à 100 kilomètres d'altitude. L'avion, dessiné par Burt Rutan et réalisé par l'entreprise privée Scaled Composites, gagne haut la main l'Ansari X-Prize devant toutes les autres entités privées qui ont pris part au concours.

Il attire évidemment beaucoup l'attention, et notamment celle du milliardaire Richard Branson, qui rêve d'adapter la success story du groupe Virgin au secteur spatial. Estimant que la technologie est mature, il fonde Virgin Galactic en 2004, subventionne le dernier vol de SpaceShipOne et évoque déjà le tourisme spatial à qui veut l'entendre. En contact avec Burt Rutan et Scaled Composites à qui il fait miroiter des fortunes, il leur demande de dessiner pour sa start-up une nouvelle version de l'avion porteur, mais aussi de l'avion-fusée pour qu'il puisse embarquer deux pilotes et quatre touristes. SpaceShipOne entre au musée ? Place à SpaceShipTwo, celui qui va régulièrement emmener des gens faire des galipettes à la frontière de l'espace.

Le SpaceShipOne qui a volé trois fois au-delà des 100 kilomètres d'altitude © Scaled Composites
Le SpaceShipOne qui a volé trois fois au-delà des 100 kilomètres d'altitude © Scaled Composites

Pas une copie, une inspiration

Le concept reste donc le même : un avion-fusée largué en haute altitude (environ 15 kilomètres) équipé d'un moteur-fusée hybride qui le propulse à environ Mach 3,5 et piloté « droit vers le ciel » effectue un vol parabolique avec grosso modo 5 à 6 minutes d'impesanteur. Lors de la descente, un système de queue pivotante permet de stabiliser graduellement l'appareil pour son entrée atmosphérique, après quoi les pilotes reprennent les commandes en un vol plané jusqu'à la piste d'atterrissage. Complexe ? Qu'importe. Tout est bientôt adapté à la sauce « two » : le moteur, RocketMotorTwo, l'avion porteur WhiteKnightTwo, l'avion-fusée SpaceShipTwo…

En 2005, le design est graduellement finalisé, et Richard Branson n'attend pas qu'un quelconque matériel sorte des ateliers pour vendre ses premiers tickets pour l'espace. Eh oui, la liste d'attente sera longue, alors autant les acheter tout de suite, non ? Les tout premiers numéros sont vendus pour 200 000 dollars, et le milliardaire annonce qu'il volera lui-même dans l'avion-fusée en tant que « premier client ».

Le hangar de fabrication de The SpaceShip Company, avec VSS Unity à gauche et celui qui deviendra VSS Imagine à droite © Virgin Galactic
Le hangar de fabrication de The SpaceShip Company, avec VSS Unity à gauche et celui qui deviendra VSS Imagine à droite © Virgin Galactic

En coulisse, tout le monde s'active sur l'aéroport de Mojave, où est installée Scaled Composites. Une fois le concept finalisé, celle-ci forme une entité commune avec Virgin Galactic, baptisée « The Spaceship Company ». C'est elle qui va construire les avions porteurs et les avions-fusées. Oui, « les ». Parce qu'il n'y en aura pas qu'un ! Virgin signe un engagement pour deux porteurs et cinq avions-fusées, de quoi générer jusqu'à un vol par jour sur la feuille de route idéale de Virgin Galactic.

Un porteur un peu plus costaud

Le plus simple des deux appareils est indubitablement l'avion porteur. Pourtant, son architecture est loin d'être classique. Il s'agit d'un avion équipé de quatre réacteurs d'avion d'affaires (PW308), capable de grimper avec son chargement jusqu'à 16 kilomètres, et à vide jusqu'à 18 kilomètres d'altitude. Il a un double empennage, ce qui contraint fortement sa structure avec une seule grande aile centrale qui doit être renforcée.

Le déport des pilotes (l'un des deux empennages est vide) oblige à un atterrissage plus technique que pour un avion classique. En effet, tout retard de l'un des trains entraîne un effort considérable sur l'aile. Enfin, il était prévu à l'origine que l'empennage puisse embarquer des passagers pour des vols de type « 0 g » afin que les touristes puissent vivre une première fois cette expérience avant leur vol suborbital dans l'avion-fusée. Ce projet a discrètement été mis de côté depuis. Le premier avion porteur, le VMS Eve (du nom de la maman de Richard Branson) fait sa sortie inaugurale sur le tarmac de Mojave en juillet 2008.

C'est l'avion porteur qui transporte sous son fuselage les SpaceShipTwo avant qu'ils soient largués pour atteindre l'espace © Virgin Galactic
C'est l'avion porteur qui transporte sous son fuselage les SpaceShipTwo avant qu'ils soient largués pour atteindre l'espace © Virgin Galactic

Aile delta et queue pivotante

Du côté de l'avion-fusée, l'affaire est plus complexe. Les ingénieurs et responsables ont vite compris qu'il ne suffisait pas de faire un SpaceShipOne plus grand, en particulier du côté du moteur. Ce dernier est un moteur hybride, il utilise un gaz liquéfié (du protoxyde d'azote) et des ergols solides sous forme de billes. Cet ensemble est censé être très stable et fiable, mais il a montré au cours de ses essais des variations de puissance que Sierra Nevada Corp (SNC), qui développe le moteur, a mis beaucoup de temps à résoudre.

Le 26 juillet 2007, lors d'un test impliquant 4,5 tonnes de protoxyde d'azote, une réaction spontanée crée une explosion et tue malheureusement deux employés (et en blesse un troisième) dans les locaux de Scaled Composites à Mojave. Mais en 2008, puis 2009, SNC annonce de gros progrès et plusieurs centaines d'allumages moteurs réussis, aussi le programme va-t-il de l'avant. Le premier avion-fusée est le VSS Enterprise. Avant 2010, Virgin annonce aux plus de 700 clients qui ont déjà un ticket qu'ils pourront commencer à voler vers l'espace en 2011 ! Mais le programme de test en vol n'a pas encore commencé.

C'est tout un système aérodynamique, mais aussi mécanique... © Virgin Galactic
C'est tout un système aérodynamique, mais aussi mécanique... © Virgin Galactic

Un long programme de test

Le VMS Eve et le VSS Enterprise volent pour la première fois en duo le 22 mars 2010. Il n'est pas encore question de largage, et il n'y a même pas de pilote aux commandes de l'avion-fusée. Mais son comportement aérodynamique est étudié en détail. Cela conduira d'ailleurs à quelques modifications mineures qui auront des conséquences sur le calendrier.

Le 10 octobre 2010 est un grand jour pour le programme, car pour la première fois, le VSS Enterprise est largué pour un vol plané de retour sur la piste, avec deux pilotes aux commandes, Peter Siebold et Michael Alsbury. En 8 mois, ce sont pas moins de 15 largages avec vol plané qui ont lieu, et les équipes de Scaled Composites expliquent que l'avion-fusée se comporte à merveille. Mais des doutes sur les moteurs demeurent. Si longtemps d'ailleurs que le programme de test du VSS Enterprise va plus vite que le développement moteur. Cette fois, c'est une question de poussée qui n'est peut-être pas suffisante pour amener l'avion jusqu'à 100 kilomètres d'altitude. Ou même 80. Et il y aurait toujours des instabilités.

Le premier vol avec allumage du moteur a lieu le 29 avril 2013, avec une poussée minimale juste suffisante pour propulser l'avion-fusée au-delà de Mach 1. Le 5 septembre, les deux pilotes dépassent les 20 kilomètres d'altitude lors du deuxième vol avec allumage, qui atteint Mach 1,4. Des rumeurs évoquent cependant une instabilité en vol, d'autres encore des soucis de moteur. Après l'atterrissage, chaque essai fait l'objet de nombreuses vérifications qui durent plusieurs mois le temps que l'ensemble des équipes analyse les données. Le troisième vol avec moteur n'aura lieu que 4 mois plus tard, le 10 janvier 2014, et là encore, les observateurs extérieurs se perdent en conjecture, même si l'appareil monte à 22 kilomètres d'altitude et se pose sans encombre. Les vols sont de plus en plus espacés !

Idéalement, les prochains appareils VSS Unity compteront 6 sièges pour encore plus de touristes transportés © Virgin Galactic
Idéalement, les prochains appareils VSS Unity compteront 6 sièges pour encore plus de touristes transportés © Virgin Galactic

Le pire crash des vols suborbitaux

Malgré tout, le pire des essais reste bel et bien celui du 31 octobre 2014. À cette occasion, le moteur devait rester allumé plus de 30 secondes. Le largage a bien lieu, mais lors de la phase d'accélération, au-delà de Mach 1, une erreur du copilote due à un mauvais design du levier central déclenche le pivot du système de queue. Le VSS Enterprise se disloque en vol. Éjecté de la cabine, grièvement blessé, le pilote Peter Siebold réussit par miracle à activer son parachute de secours, tandis que Michael Alsbury périt dans l'aventure.

Une histoire tragique pour un projet qui pataugeait déjà avant le drame. Mais, à la surprise générale, cet accident ne va pas mener Virgin Galactic à la banqueroute, ni son design de SpaceShipTwo aux oubliettes. Après un discours public volontariste et consacré à « faire de SpaceShipTwo le véhicule spatial le plus sûr », l'entreprise rejette l'ensemble des responsabilités du crash sur ses pilotes, et ce, même si l'enquête pointe des problèmes de design importants sur ce véhicule qui requiert une attention constante, et de nombreuses corrections et interactions de la part du pilote et de son acolyte. Qu'importe. Fin 2015, Virgin Galactic annonce la mise en service prochaine de son deuxième véhicule dévoilé le 19 février 2016 : VSS Unity.

Durant l'action du moteur dans les couches denses de l'atmosphère, la double queue de l'appareil doit rester dans l'axe © Virgin Galactic
Durant l'action du moteur dans les couches denses de l'atmosphère, la double queue de l'appareil doit rester dans l'axe © Virgin Galactic

Finalement des progrès

Si l'entrée en service commercial est sans cesse retardée, l'arrivée du VSS Unity, qui bénéficie déjà des retours d'expérience du premier appareil, marque un progrès solide pour la campagne de test. Le premier vol plané a lieu le 3 décembre 2016, et le premier vol avec moteur allumé, le 5 avril 2018. L'appareil grimpe à 25 kilomètres d'altitude et frôle Mach 2 ! Cette fois, l'enchaînement est rapide. Pour la première fois, un SpaceShipTwo dépasse 35 kilomètres d'altitude le 29 mai, puis 52 kilomètres le 26 juillet. Et le 13 décembre 2018, enfin, l'appareil dépasse la frontière de l'espace (considérée comme telle aux États-Unis) à 50 miles ou 80 kilomètres d'altitude, en grimpant à 82,7 kilomètres.

Virgin double la mise deux mois plus tard le 22 février, avec une première passagère au sein du VSS Unity, la responsable du programme des astronautes de l'entreprise, Beth Moses. Une fois encore, le vol sera largement commenté en aval, même s'il se termine avec un atterrissage réussi à Mojave après une parabole à 89,9 kilomètres d'altitude. Virgin Galactic cacherait des problèmes avec l'appareil derrière des modifications pour l'installation de sièges et l'aménagement de la cabine, tout comme le transfert des opérations au Spaceport America, au Nouveau-Mexique.

Des vols très espacés… avant aujourd'hui ?

Le SpaceShipTwo va finalement passer plus de deux ans sans retourner à la frontière de l'espace. Entre-temps, la crise sanitaire est passée par là, et plusieurs reporters évoquent des problèmes structurels qu'il a fallu régler après le dernier vol. Ces rumeurs vont prendre du poids en 2021, car une fois de plus, le VSS Unity ne fera que deux vols avec le moteur, pour monter au-delà des 80 kilomètres d'altitude.

Un bilan mitigé, mais un coup de force médiatique, car Richard Branson, lors de son vol le 11 juillet 2021, grille la priorité à Jeff Bezos qui avait l'ambition de devenir le premier milliardaire à bénéficier de son propre appareil pour se rendre à la frontière de l'espace. Branson vole avec trois copassagers qui sont tous des employés de Virgin Galactic ainsi que deux pilotes. Il ne s'agit donc pas de la fameuse « ouverture commerciale » attendue par plus de 600 (ou 700, ou 800, selon les différents dirigeants) personnes qui attendent depuis maintenant plus de 15 ans que l'avion spatial les emmène jusqu'à l'espace.

Richard Branson est devenu le premier milliardaire fondateur de son entreprise spatiale à l'utiliser pour se rendre dans l'espace © Virgin Galactic
Richard Branson est devenu le premier milliardaire fondateur de son entreprise spatiale à l'utiliser pour se rendre dans l'espace © Virgin Galactic

D'autant plus que pour cette parabole, les autorités américaines s'en mêlent. L'avion-fusée est sorti de son corridor réservé et documenté, et de nouveau, il se prépare à une longue période sans nouveau vol, pour des renforcements structurels. L'avion porteur part également en révision, pour 6 mois annoncés qui se transforment rapidement en un an, puis 18 mois.

Mais à présent, Virgin Galactic le promet, l'entrée en service commercial se fera bientôt, avec des vols réguliers grâce à toutes les mises à jour et améliorations. Un prochain avion encore plus adapté pour le tourisme et les hautes cadences nécessaires débarquera à son tour, si l'entreprise compte viser un jour la rentabilité (ce qui impliquerait des vols tous les 3 jours environ) : le VSS Imagine. Le vol parabolique de ce 25 mai était donc seulement la 5e aventure à la frontière de l'espace pour un appareil SpaceShipTwo, en plus de 18 ans !

Eric Bottlaender

Spécialiste espace

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (3)

nicgrover
Non merci pas pour moi même si j’avais les millions…
fredolabecane
Encore un jouet pour milliardaires pleins au as…
nap1805
Merci Eric, j’aime beaucoup tes articles.
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