Saliout 6, quand l'URSS voyait plus grand qu'une simple station orbitale

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
26 février 2023 à 17h00
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Saliout 6 avec un module Soyouz accroché, observé lors de l'approche (ou du départ) d'un équipage. Notez le Soyouz sans panneau solaire © URSS / N.A.
Saliout 6 avec un module Soyouz accroché, observé lors de l'approche (ou du départ) d'un équipage. Notez le Soyouz sans panneau solaire © URSS / N.A.

Après cinq années compliquées avec la première génération de ses stations orbitales, l'Union soviétique se prépare, en 1977, à une avancée technologique majeure. Saliout 6 est le véhicule le plus complexe et ambitieux de sa génération en orbite terrestre, un grand succès spatial pour l'URSS.

Les États-Unis mettront des décennies pour rattraper leur retard sur les stations orbitales.

Saliout, saison 6 !

Alors que les États-Unis se réjouissent du lancement des deux sondes Voyager parties explorer notre Système solaire en ce début d'automne 1977, l'Union soviétique a elle aussi des raisons de sourire. En effet, dans le domaine des vols habités, après ses succès lunaires et trois missions records sur la station Skylab, la NASA n'a pu concrétiser les promesses formulées par le programme de navettes STS, qui est en retard et en surcoûts.

L'URSS, de son côté, s'est entêtée, à raison, sur une série de stations spatiales en orbite basse. Celles-ci n'ont pas toujours été fiables, ont révélé toute la difficulté de mettre en place une logistique avec des rendez-vous en orbite et mis en exergue les contraintes de la vie isolée à plus de 250 kilomètres d'altitude. Mais industriels, militaires et responsables du programme public se sont attablés et ont produit une deuxième génération de véhicules, fondée sur le retour d'expérience. Le 29 septembre 1977, Saliout 6 décolle depuis Baïkonour, sous la coiffe d'une fusée Proton.

Saliout 6 a directement été conçue pour plusieurs années d'opérations © URSS / N.A.
Saliout 6 a directement été conçue pour plusieurs années d'opérations © URSS / N.A.

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Vue de l'extérieur, Saliout 6 ressemble aux stations précédentes : un cylindre avec une section large de 4,15 mètres de diamètre, et une plus resserrée avec les points d'accroche de ses trois panneaux solaires. Elle intègre les éléments les plus réussis des missions passées : système d'orientation, ordinateur de bord, support vie… L'isolation thermique et acoustique est améliorée, et il y a jusqu'à 20 hublots répartis autour de ce grand module.

Mais celui-ci dispose aussi de grandes nouveautés. La section avant peut être isolée, dépressurisée, et est équipée d'une écoutille pour des sorties extravéhiculaires. Les cosmonautes disposent d'ailleurs pour ça de scaphandres flambant neufs d'un nouveau modèle, Orlan. L'évolution majeure de Saliout 6 est qu'elle dispose de deux ports d'amarrage : un à l'avant et un autre à l'arrière. Ils peuvent tous deux être utilisés par des véhicules habités Soyouz, ou même par ce tout nouveau véhicule cargo qui n'a pas encore volé en 1977, Progress.

Un programme chargé et complexe

En s'appuyant sur les missions passées, les autorités en charge du programme ont minutieusement préparé celles de Saliout 6. La possibilité d'avoir deux véhicules amarrés décuple les possibilités, et c'est une option assez spécifique qui a été retenue : disposer d'un équipage en mission longue (entre 3 et 6 mois, voire plus) et envoyer plusieurs missions de courte durée (5 à 10 jours) ainsi que des cargos de ravitaillement durant leur séjour.

Il faut préciser qu'il y a des impératifs. L'un des plus importants est celui du véhicule Soyouz. La version utilisée en 1977 est Soyouz 7K-T, et ce véhicule a une particularité : il est dépourvu de panneaux solaires. Son électricité est fournie par des batteries, et il doit s'amarrer assez vite à une station orbitale ou ramener ses passagers sur Terre, car son autonomie n'est que de 3 jours environ. Mais même lorsque tout se passe bien, la durée de vie estimée des systèmes de bord est de 3 mois, ce qui est insuffisant pour des rotations d'équipage très longues. Ce sont donc les cosmonautes des missions de courte durée qui amènent une capsule Soyouz neuve et repartent sur Terre avec une ancienne.

L'arrivée du premier cargo Progress. Lui non plus n'utilise pas de panneaux solaires © URSS / N.A. par Spacefacts.de
L'arrivée du premier cargo Progress. Lui non plus n'utilise pas de panneaux solaires © URSS / N.A. par Spacefacts.de

Plus d'un tour dans sa manche pour durer

Autre nouveauté avec Saliout 6, la station peut recevoir du carburant livré par un cargo Progress. Dès sa conception, les responsables soviétiques ont eu à cœur d'offrir à cette nouvelle génération une durée de vie de plusieurs années. Or, avec une orbite de 220 x 275 kilomètres, il faut périodiquement utiliser des moteurs pour rehausser l'orbite de Saliout. Elle est donc dotée de réservoirs et de moteurs pour son orientation, mais aussi pour se propulser.

Un système novateur pour l'époque permet de transférer du carburant, stocké dans un module Progress, jusqu'au réservoir de Saliout 6 (au cas où, Progress aussi peut, avec son moteur principal, se charger de la correction de trajectoire). Seule contrainte, il faut que le cargo soit amarré sur le port arrière de la station. Enfin, l'automatisation est un peu plus poussée. Entre les missions longues, il est prévu des périodes de plusieurs mois sans personne à bord.

À l'heure de l'inauguration

La mise en orbite réussie de Saliout 6 est donc un grand moment pour le spatial soviétique, préparé longtemps en amont. Pour parer à toute éventualité, les industriels ont même dû préparer une deuxième coque (qui sera utilisée ensuite pour Saliout 7). La station orbitale est officiellement rattachée au programme civil, il y a donc une communication poussée lors de son départ et moins de 2 semaines plus tard, lors du décollage de la première mission habitée qui s'y rend, Soyouz 25. Mais les Soviétiques ont un peu péché par excès de confiance pour la mise en service…

Saliout 6 est une station spacieuse, sans toutefois les mêmes équipements qu'aujourd'hui © URSS / N.A. par Spacefacts.de
Saliout 6 est une station spacieuse, sans toutefois les mêmes équipements qu'aujourd'hui © URSS / N.A. par Spacefacts.de

Le 10 octobre, Soyouz décolle et s'approche de Saliout 6 comme prévu, mais le programme va vivre son premier embarras avec plusieurs heures de vaines tentatives pour s'amarrer. Vladimir Kovalyonok et Valeri Ryumine réussissent à chaque fois à atteindre l'écoutille, mais le système ne se verrouille pas. Ils font quatre tentatives l'une après l'autre, puis une cinquième un peu plus tard, sans succès…. Impossible de s'amarrer !

Les batteries de leur Soyouz se vident lentement, mais sûrement. À tel point qu'ils n'ont plus le temps de tester un amarrage sur le port arrière de Saliout 6, et que les deux malheureux cosmonautes doivent se résoudre à retourner se poser au Kazakhstan. D'ailleurs, ils n'y sont pour rien, une enquête montrera qu'il s'agissait d'un défaut du système sur leur Soyouz. Pourtant, les autorités russes choisissent de ne plus envoyer en orbite que des équipages constitués d'au moins un cosmonaute expérimenté (mesure qui restera en vigueur jusque dans les années 90).

Deuxième départ

Il faudra donc attendre 2 mois de plus pour le décollage de Soyouz 26, mais heureusement, le pilotage automatisé de la station ne pose pas de problème dans l'intervalle. Cette fois encore, le lancement se passe bien. Simplement, quand la capsule s'approche, le 11 décembre, de Saliout 6 par l'arrière, il y a un doute sur l'état de l'écoutille avant à la suite des ennuis de la mission précédente. Mais Youri Romanenko et Georgi Gretchko vont s'amarrer sans problème, puis pénétrer dans Saliout 6. Leur mission marque le début opérationnel de la station. Celle-ci va recevoir de nombreux visiteurs dans les mois et les années qui vont suivre, et l'attention portée à sa conception va rapidement payer.

Prêt pour la première sortie en scaphandre de l'ère Saliout ? © URSS / N.A. par Spacefacts.de
Prêt pour la première sortie en scaphandre de l'ère Saliout ? © URSS / N.A. par Spacefacts.de

Les grands débuts de Saliout 6

Neuf jours après leur arrivée, le 20 décembre, les deux cosmonautes enfilent pour la première fois les scaphandres Orlan et sortent sur les flancs de Saliout 6 pour vérifier l'extérieur du port d'amarrage avant. Cela faisait presque 9 ans que des Soviétiques n'avaient plus réalisé d'EVA ! Cette dernière faillit d'ailleurs se terminer de façon dramatique, Romanenko ayant oublié d'accrocher son câble de sécurité au moment de se propulser au-dehors. Heureusement, son collègue s'en est chargé…

Leur mission ne subira pas d'autre péripétie particulière, et le mois suivant, deux autres fonctions indispensables à Saliout 6 prennent place sans incidents : le vol de Soyouz 27 le 10 janvier pour une visite courte, puis la première arrivée d'un cargo Progress le 20 janvier. Après 4 mois en orbite, Saliout 6 est pleinement fonctionnelle. C'est effectivement le début d'une nouvelle phase pour les vols habités, en URSS et dans le monde.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (4)

ivico
J’adore quand vous mettez le (c) copyright adossé à « URSS ». Y’a un truc qui cloche.<br /> Par ailleurs, en dehors de cette addition hors norme, le (c) n’a pas de valeur en europe. Le droit d’auteur oui par contre.<br /> Cessez de mettre (c) partout cela n’a pas de sens.
gothax
Article superbe merci Eric
ayaredone
Romanenko : j’espère qu’il a offert une bouteille de vodka à son collègue. Dériver dans l’espace ca doit être une mort franchement pas excitante.
benbart
Aucun rapport avec l’article de qualité qui nous est offert !<br /> Et bien que le fameux (C) n’a pas d’existence légale en europe( à vérifier d’ailleurs ), il en n’est pas loin d’une convention pour mentionner les ayant droits d’un document.<br /> Et la propriété collective reste néant moins une propriété, donc communiste, l’URSS est (était ?) tout de même propriétaire.<br /> Par ailleurs, il est possible que ça soit juste un point technique qui ne change rien à l’article, sa qualité et sa forme.<br /> Merci pour cet article de qualité !
ebottlaender
Petite explication : en réalité c’est très simple, on essaie au maximum de créditer nos images et leur origine. Lors de l’écriture de l’article et son illustration, j’ai donc choisi des photos prises à l’époque, lesquelles ont été prises soit par les industriels d’état, soit par les astronautes, le tout pour le compte de l’Union Soviétique. Pays qui, d’ailleurs n’existe plus (ils risquent pas de réclamer les images), on met donc URSS/N.A. pour Non Attribué. On pourrait aussi ne rien mettre, mais ça permet à minima de rappeler que ce sont des photos d’origine. A cela je prends quand même soin d’ajouter le site qui les hébergeait quand ce n’est pas un média d’information, sachant le boulot que font certains pour bien légender et classer ces photos d’époque.<br /> L’usage du (c) est probablement incorrect en effet, il s’agit d’un crédit, non d’un copyright (mais c’est fait soit automatiquement dans la mise en forme, soit lors de la relecture).<br /> Sachez enfin que l’illustration c’est complexe, et que le but ici est surtout d’éviter d’avoir des images bateau type shutterstock…
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