Saliout 4 : enfin une station soviétique efficace !

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
20 février 2022 à 17h17
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Saliout-4 en préparation à Baïkonour, fin 1974. Crédits Roscosmos
Saliout-4 en préparation à Baïkonour, fin 1974. Crédits Roscosmos

Il aura fallu quatre années en dents de scie et plusieurs échecs cuisants, mais cette fois… Ca marche ? En décembre 1974, l'URSS envoie sa sixième station spatiale en orbite, et malgré quelques déboires, Saliout-4 sera la première à recevoir la visite de plusieurs équipages. Un succès déterminant qui prépare la suite.

Et cette fois en plus, le camp d'en face ne peut pas (trop) fanfaronner.

Saliout enfin sur les rails ?

Début décembre 1974, ingénieurs et techniciens qui préparent la station DOS-4 (qui s'appellera Saliout-4) pour son décollage ont une grande pression sur leurs épaules. Car entre 1971 et 1974, sur cinq envois de stations orbitales, seuls deux ont réussi comme prévu, et le programme coûte cher. Pour ne rien arranger, les stations soviétiques en orbite n'ont pas pu abriter beaucoup de missions. Une seule réussit sur Saliout-1, avant que ses trois occupants perdent la vie lors de leur retour sur Terre, tandis que « Saliout-3 » (guillemets de rigueur, il s'agit en fait d'une station militaire, Almaz-2), envoyée au début de l'année 1974 n'abrite qu'un seul équipage pour deux semaines. C'est loin derrière ce que les Américains ont réussi avec leur station Skylab, ses trois missions avec les capsules Apollo et la dernière rotation, qui a duré 84 jours. Mais patience ! Saliout-4 est la dernière de sa génération, et si elle réussit, les industriels pourront envisager avec le soutien politique une deuxième phase bien plus avancée.

La station Saliout-4, reconnaissable avec ses trois grands panneaux solaires. Elle est identique à la station DOS-3, qui n'a pas réussi à rester en orbite plus de quelques heures. Crédits URSS/Spacefacts.de
La station Saliout-4, reconnaissable avec ses trois grands panneaux solaires. Elle est identique à la station DOS-3, qui n'a pas réussi à rester en orbite plus de quelques heures. Crédits URSS/Spacefacts.de

Station tout confort

Le décollage a lieu le 26 décembre, avec une fusée Proton-K qui envoie le très grand module Saliout-4 de pratiquement 19 tonnes sur une orbite basse de 219 x 270 km d'altitude. La station allume ensuite ses moteurs pour se placer au-delà, à 340 km, afin de s'assurer entre plus de 9 mois d'opérations en orbite basse. Et le programme est chargé ! D'abord, les ingénieurs veulent montrer que ce grand module est viable. Il est équipé de trois panneaux solaires rotatifs, d'un tout nouveau recycleur-condenseur d'eau dans l'air ambiant, d'un système de chauffage d'eau pour des plats lyophilisés (une véritable amélioration par rapport aux conserves et autres aliments sous forme de « pâte dentifrice »)… Et s'il ne contient toujours qu'un seul port d'amarrage, l'aménagement intérieur a bénéficié des retours d'expériences précédents. Le 11 janvier 1975, un premier équipage de deux cosmonautes, Georgui Grechko et Alexei Goubarev, décolle pour rejoindre Saliout-4, sur leur capsule Soyouz 17.

28 jours plus tard

Leur mission sera un succès bienvenu. Après un jour en orbite, ils réussissent à s'amarrer sans problème avec la station, au sein de laquelle ils vont passer 28 jours. Un record soviétique, d'autant que les deux hommes se sentent pousser des ailes, allant jusqu'à travailler une vingtaine d'heures par jour (sport compris). Ils prennent tant d'avance dans le planning que les équipes au sol finissent par leur demander de lever le pied et de profiter un peu de l'expérience ! Leur mission sera longue pour les standards de l'époque, mais il y aura des rebondissements. Comme le miroir principal du télescope solaire de 25 cm de diamètre OST-1, qui sera endommagé de façon permanente suite à une erreur du système de pointage. Rien de grave heureusement, et les mesures pourront reprendre avant la fin de leur séjour, ponctué de beaucoup d'autres expériences, en particulier médicales. Soyouz-17 rentre dans l'atmosphère le 9 février, et se pose comme prévu au Kazakhstan malgré une tempête de neige.

En direct de la station ! Goubarev et Gretchko sont tout sourires. Crédits URSS/Kosmonavtika.com
En direct de la station ! Goubarev et Gretchko sont tout sourires. Crédits URSS/Kosmonavtika.com

Baïkonour, on a un problème

Jusque-là, le projet est un succès important. Les Soviétiques comptent alors réaliser trois missions habitées sur Saliout 4 : une première d'un mois, une de deux mois, et une troisième d'au moins deux mois. Il faut donc retourner sur la station assez rapidement. Le décollage de Soyouz 18 n'a cependant pas lieu avant le 5 avril depuis Baïkonour. Mais rapidement, le vol tourne court. Après 4 minutes et 47 secondes de vol, l'étage central échoue à se séparer de l'étage suivant, qui a déjà allumé son moteur. Le système de sauvegarde détecte l'anomalie et fonctionne : Soyouz-18 s'éjecte. Les deux occupants de la cabine, après un passage à 193 km d'altitude, subissent l'un des retours atmosphériques les plus violents de l'histoire spatiale et un passage à 21.3 G. Les deux cosmonautes survivent cependant, et atterrissent si près d'un précipice qu'ils sont sauvés car leur parachute s'accroche à un arbre. Mais où ? Ils n'en ont aucune idée : la radio est coupée, et il est bien possible qu'ils soient en République populaire de Chine (qui a, à ce moment de l'histoire, d'exécrables relations avec l'URSS). Heureusement, ils seront récupérés via une véritable odyssée, le jour suivant.

Soyouz leur réserve une petite surprise... Crédits URSS/kosmonavtika.com
Soyouz leur réserve une petite surprise... Crédits URSS/kosmonavtika.com

L'URSS, qui est forcée d'être transparente sur ses vols habités parce qu'elle prépare la mission Apollo-Soyouz (ou ASTP) qui aura lieu trois mois plus tard, admet l'échec de la mission mais loue ses valeureuses équipes de récupération ainsi que l'équipage, encore secoué par son expérience. La mission n'étant pas arrivée en orbite, elle ne reçoit officiellement aucun nom, Soyouz-18 étant transféré à la prochaine tentative (en Occident, elle est surnommée Soyouz-18a).

Le vrai Soyouz 18

Mais alors finalement, les Soviétiques arriveront-ils à réussir deux missions sur une station spatiale ? La réponse est oui. Car si le lanceur a des soucis, Saliout-4 fonctionne comme un charme. Piotr Klimouk et Vitali Sevastianov décollent avec leur Soyouz-18 le 24 mai 1975. L'approche cette fois dure deux jours, et les cosmonautes doivent passer en mode manuel pour la fin de la manœuvre d'amarrage de nuit, mais grâce à leur entrainement, cela ne pose aucun problème. Ils sont le premier équipage à réussir une deuxième mission dans une station orbitale soviétique ! Et pas n'importe quelle mission : pratiquement 200 expériences scientifiques en deux mois. Mesures médicales, photographies de la Terre, observations grâce au télescope OST-1… Ils deviennent aussi les premiers à observer des nuages noctulescents. Le 15 juillet, la mission Apollo-Soyouz démarre. Sur une autre orbite, Américains et Soviétiques s'échangent une poignée de main symbole de la fin de la « course à l'espace »… Et les deux occupants de Saliout-4 réussissent plusieurs fois à les joindre par radio.

Saliout 4, vers l'avenir !

Evidemment, la mission n'est pas sans quelques aléas techniques. Le système de recyclage d'eau donne vite des signes d'usure (il y a énormément de buée), il y a des pannes, et les cosmonautes ne sont pas aussi préparés que maintenant à passer deux mois en isolement (pas de Facetime avant d'aller se coucher). Reste qu'à leur atterrissage le 26 juillet, Klimouk et Sevastianov détiennent un nouveau record de longévité pour leur mission en orbite. Toujours un peu derrière les Américains, mais Saliout-4 aura permis la confiance dans les systèmes d'habitats de longue durée. Et puis il y a une belle opportunité : la NASA et l'US Air Force auront leur navette, mais elle est déjà en retard !

La vie à deux en orbite pendant deux mois ! Une nouveauté pour Klimouk et Sevastianov. Crédits URSS/kosmonavtika.com
La vie à deux en orbite pendant deux mois ! Une nouveauté pour Klimouk et Sevastianov. Crédits URSS/kosmonavtika.com

Pour des questions de planning, la troisième rotation habitée n'aura jamais lieu… Mais comme Saliout-4 est sur une orbite stable, il y a une opportunité. Pour prouver que les systèmes de Soyouz sont fiables et peuvent résister à des missions encore plus longues, les autorités soviétiques envoient une dernière mission vers Saliout-4, non habitée. Elle décolle le 17 novembre 1975 et se termine le 16 février. Personne à bord, mais cette fois, c'est sûr, les cadences de missions trimestrielles sont possibles. C'est la fin de la « première phase » des stations orbitales de l'URSS, qui se termine par un succès.

Et si les militaires se préparent à envoyer une nouvelle petite station Almaz, les autorités valident surtout la conception et la production de Saliout-6, qui ne décollera que quelques années plus tard, mais avec beaucoup plus d'ambition.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (3)

benben99
Cet accomplissement Russe a été un grand moment dans le développement de leur industrie aérospatiale. Ils ont de quoi être fiers.
blaisebarre
Merci pour cet article, très intéressant.
Temps_Nyx
Encore mal réveillé j’avais cru lire « Fallout 4 »…
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