Pornographie : les 23 propositions du Sénat pour mieux encadrer une industrie à la dérive

Alexandre Boero
Chargé de l'actualité de Clubic
28 septembre 2022 à 11h40
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© Shutterstock
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Après six mois de travaux et d'auditions, le Sénat dresse un rapport inédit et accablant du monde de pornographie. Il livre ainsi 23 recommandations pour enfin encadrer une industrie trop libertine.

Le Sénat l'indique lui-même : c'est une première dans l'histoire parlementaire. Les Sages ont en effet publié un rapport d'information entièrement consacré aux pratiques de l'industrie pornographique. Ce dernier a nécessité « plus de six mois de travaux [et] des dizaines d'heures d'auditions » de nombreuses victimes de violences issues du milieu de la pornographie. Le rapport tacle avec sévérité « une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes de façon générale ». Il évoque « l'hypocrisie et le cynisme des représentants du secteur », outre des représentations « sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires » lors de l'élaboration du document. Par le biais de ce rapport, les sénateurs entendent sensibiliser aussi bien l'opinion publique que le gouvernement.

Porter dans le débat public le sujet des violences pornographiques

Le premier axe autour de ces recommandations porte sur la nécessité d'imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques. Le Sénat veut faire de la lutte contre ces violences et la marchandisation des corps une priorité de politique publique. Pour aller plus loin, et cette fois sur le plan de la justice, les élus veulent faire des violences commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale : comprenez viol ou agression sexuelle.

Le rapport soutient aussi l'idée d'imposer des messages d'avertissement aux sites pornographiques « concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles ». Le Sénat veut, dans le prolongement, favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans le cadre de la pornographie.

De plus, le Sénat entend, comme deuxième axe de recommandations, faciliter les suppressions de contenus illicites ainsi que le droit à l'oubli. On peut ici parler d'amendes qui seraient imposées aux diffuseurs, plateformes et réseaux sociaux qui partageraient des contenus illicites. Il s'agirait de faire en sorte que toute condamnation d'un producteur de contenus pornographiques violents soit assortie d'une disposition indiquant que les vidéos incriminées sont illégales, et qu'elles doivent donc être définitivement supprimées.

De même, la création d'une catégorie de « violences sexuelles » dans les signalements de la plateforme Pharos est aussi fortement suggérée, tout comme le fait d'imposer aux plateformes d'accéder aux demandes de retrait de vidéos dans lequelles apparaissent les personnes filmées, pour renforcer l'accès au droit à l'oubli. Aujourd'hui, seuls les propriétaires de vidéos ont le droit de formuler ces demandes de retrait.

Protéger la jeunesse et interdire l'accès aux mineurs aux contenus pornographiques

C'est évidemment un épineux sujet, qui plus est d'actualité, en ce que les mineurs ont aujourd'hui un accès facilité, pour ne pas dire direct, aux contenus pornographiques violents et toxiques. « Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement », rappelle le Sénat.

Ces recommandations interviennent dans un contexte où l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) se bat pour imposer un contrôle à l'entrée des sites pornographiques, pour empêcher les mineurs d'y accéder. L'ARCOM, qui a mis en demeure 7 sites parmi les plus importants du secteur, a saisi le tribunal judiciaire qui, le 8 septembre, a décidé qu'il y aurait une médiation. « Nous souhaitons que cette médiation soit relativement courte, parce que le temps depuis l'adoption de la loi [Ndlr : votée en 2020] s'est écoulé, et s'écoule vite. La balle est dans le camp des sites », expliquait ce mercredi matin le président de l'ARCOM Roch-Olivier Maistre aux sénateurs. Et ce dernier d'ajouter, en réponse à leurs questions, qu'« aucun site étranger ne s'est mis en conformité avec la loi française en deux ans ».

Ce 28 septembre au Sénat, Roch-Olivier Maistre s'est insurgé contre les sites pornographiques qui "font feu de tout bois", selon lui, pour échapper à la loi française © Capture d'écran
Ce 28 septembre au Sénat, Roch-Olivier Maistre s'est insurgé contre les sites pornographiques qui "font feu de tout bois", selon lui, pour échapper à la loi française © Capture d'écran

Le Sénat recommande justement de confier aux agents de l'ARCOM le pouvoir de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Il souhaite confier au régulateur la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires « aux montants dissuasifs » à l'encontre des sites qui demeurent accessibles aux mineurs. De plus, il préconise d'imposer un écran noir sur les sites pornograhiques, tant que l'internaute n'a pas fait vérifier son âge par le biais d'un tiers de confiance.

De façon plus large, les Sages du Palais du Luxembourg soutiennent eux aussi la mise en place de dispositifs de vérification d'âge, « avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL ». Ils veulent également l'activation par défaut d'un contrôle parental, dès lors qu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur. Voilà un vrai début de réponse à la lutte contre les dérives engendrées par la pornographie.

Alexandre Boero

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Journaliste, chargé de l'actualité de CLUBIC. Reporter, vidéaste, animateur et même imitateur-chanteur, j'ai écrit mon premier article en 6ème. J'ai fait de cette vocation mon métier (diplômé de l'EJC...

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Journaliste, chargé de l'actualité de CLUBIC. Reporter, vidéaste, animateur et même imitateur-chanteur, j'ai écrit mon premier article en 6ème. J'ai fait de cette vocation mon métier (diplômé de l'EJCAM), pour écrire, interroger, filmer, monter et produire au quotidien. Des atomes crochus avec la Tech, certes, mais aussi avec l'univers des médias, du sport et du voyage. Outre le journalisme, la prod' vidéo et l'animation, je possède une chaîne YouTube (à mon nom) qui devrait piquer votre curiosité si vous aimez les belles balades à travers le monde, les nouvelles technologies et Koh-Lanta :)

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Commentaires (14)

xryl
Ce dernier a nécessité « plus de six mois de travaux [et] des dizaines d’heures d’auditions »<br /> Et combien de centaines d’heures de visionnage ?
gothax
@xryl : Et de consommation de pilule bleu?<br /> Blague à part : un viol est interdit par la loi donc dans ce milieu s’il y a un viol ça tombe sous le coup de la loi point, tous les milieux sont confrontés à ces problèmes, les politiciens devraient aussi balayer leur tapis!<br /> Un porno avec un(e) mineur(e) est interdit par la loi … Point donc loi / prison<br /> Le soucis est l’accès de ces sites par les mineures … Faut éduquer et responsabiliser les parents quitte à envoyer les parents en prison si les moyens multimédia mis à la disposition de leur enfant n’est pas bloqué. Et puis des amendes de plusieurs millier d’euros … Et comme en Chine et Corée pour les jeux: les enfants dans un centre de rééducation.
arbor111
Le débat, comme le sujet, sont les premières victimes de notre hypocrisie. Je me souviens d’une conférence du PDG d’un fabricant de DD qui avait dit quelque chose du genre « Les gens veulent des disques durs de plus en plus gros pour les remplir de pornos ». Interdire le porno ou le rendre moins facile d’accès, ne le rendra que plus attractif. Quant au viol, j’ai un peu travaillé dans ce milieu, et ce fantasme était celui qui revenait le plus souvent. Pas étonnant que cette industrie en fasse une certaine forme de commerce (ce que je ne cautionne pas).
Remoss
Franchement, ils pensent vrmnt que la petite France va pouvoir contraindre à elle seule les gros sites pornos domiciliés à l’étranger de changer leurs contrôles d’accès et à contrôler leur contenu?<br /> Ce n’est qu’à un niveau européen que des lois pourront être édictées et devenir suffisamment contraignantes… (ex: RGPD)<br /> Ensuite, ce sont les parents qui sont responsables de leurs enfants, pas l’état…
Droz
" imposer aux plateformes d’accéder aux demandes de retrait de vidéos dans lequelles apparaissent les personnes filmées "<br /> C’est vraiment le minimum, j’espère qu’ils feront au moins passer ça.
Ccts
Je pense qu’il faut systématiser et rendre facile d’accès les systèmes de contrôle parental. Aux parents ensuite de les paramétrer en fonction de l’âge de l’enfant. Beaucoup de parents sont déjà largués avec PRONOTE alors les systèmes de contrôle … il faut rendre cela facilement accessible en laissant les parents accompagner les enfants.
Korgen
Mais qui va scanner sa carte d’identité ou donner son n° de CB pour un site porno gratuit ? Personne !<br /> Les sites pornos visés vont tout simplement migrer à l’étranger sous peine de disparaître, et ils auront bien raison !
Altenna13
Clairement c’est un soucis. De plus dur de faire confiance , au vue de tout les piratage de banque de données.<br /> Par contre il faut définitivement simplifier le contrôle parental.(qui marche pas trop mal sur console par ailleurs)
phoenix2
« interdire l’accès aux mineurs aux contenus pornographiques » lol, quand on voit des parents donner un smartphone à un enfant de 5 ans juste pour être tranquille, c’est pas gagné.
xryl
Non seulement c’est le minimum, mais pour moi c’est aussi le maximum, car tout le reste, c’est juste de la br.nlette intellectuelle. Sérieusement, le viol est un crime quelque soit la forme, pas besoin de pondre une nouvelle loi qui répète l’ancienne et donne aux avocats plus de liberté de la contourner. Le droit à l’image et le retrait de ses données est aussi dans la loi depuis le RGPD. La protection des mineurs (âge minimum pour le visionnage) existe également, et il est interdit de diffuser du porno à des mineurs (ça existe déjà). Bref, à part ressucer ce qui existe déjà, ça apporte quoi là ?<br /> Créer un nouveau motif pour le revenge porn, là c’est utile. Contre les deepfake, aussi, même si dans les 2 cas, c’est déjà puni par les lois contre la diffamation.<br /> Créer une loi qui implique la responsabilité du site/webmestre si une vidéo n’est pas retirée dans les 24h dès lors qu’un « acteur » en fait la demande, quitte à ajouter des amendes en cas d’abus (par exemple pour un/e acteur/rice qui se fasse payer légalement avec un contrat puis fait systématiquement retirer ses propres vidéos). Le principal c’est de retirer vite avant que cela ait de trop grosses conséquences.<br /> De toute façon, il ne peut pas exister un système de vérification fiable de l’âge dans ce milieu de l’anonyme, ce n’est pas la peine de tergiverser des années. Les mineurs/pirates/autres trouveront toujours un moyen de contourner les restrictions, soit en passant par des VPN, en utilisant une fausse CB, etc… Bref, c’est le boulot des parents de responsabiliser leurs enfants, pas celui de l’état, c’est pas comme si ces images venaient d’elle même à l’utilisateur (genre dans les pubs télé, hein!).<br /> Tous les calembours dans ce post sont volontaires
mcbenny
Je crois que la partie principale de ce rapport n’a pas été comprise/perçue par la plupart.<br /> Il s’agit des problèmes rencontrés dans l’industrie elle-même, pas du porno dans la société.<br /> On parle de conditions de travail, de travail sous contrainte, de viols dans le carde d’une activité professionnelle, de comportements dégradants, etc.<br /> Une actrice (puisqu’il s’agit essentiellement de femmes dans ce cas) qui accepte un tournage n’a semble-t’il pas toute latitude de connaître l’étendue des scènes qu’elle va tourner, ou bien les limites posées ne sont pas respectées, les attitudes et gestes des partenaires, au-delà de ce qui constitue la mise en scène n’est pas respectueux des autres partenaires etc.<br /> Pour rappel, lors d’un acte sexuel consenti par toutes les parties, il reste possible pour tous les participants d’interrompre le rapport, de refuser « une pratique ». Ne pas accepter ça de l’autre et forcer « la pratique », c’est un viol. Même en plein milieu d’un rapport sexuel consenti.<br /> Dans le porno d’aujourd’hui, il ne s’agit plus uniquement de mauvais acteurs/actrices disant un texte inepte dans une situation caricaturale qui mène à un rapport sexuel impromptu et visiblement satisfaisant pour les partenaires, mais bien plus souvent la présentation d’actes de type dominateurs, humiliants, violents etc. Et il semble que les personnes « dominées » ne le sont pas tout à fait volontairement et uniquement dans le cadre de leur rôle, mais aussi dans la réalité du tournage. Et dans leur vie dans l’industrie.<br /> SI vous réfléchissez 1 minute à la vie sexuelle que vous avez, je suis à peu près sûr que vos rapports sont entourés de geste « d’affection », d’une forme de partage et d’écoute de l’autre. Je ne me souviens pas avoir perçu ça dans la moindre video porno depuis un sacré bout de temps !
Korgen
SI vous réfléchissez 1 minute à la vie sexuelle que vous avez, je suis à peu près sûr que vos rapports sont entourés de geste « d’affection », d’une forme de partage et d’écoute de l’autre. Je ne me souviens pas avoir perçu ça dans la moindre video porno depuis un sacré bout de temps !<br /> Les filles qui font du porno ne le font pas pour les sentiments ou l’affection mais pour le fric.
promeneur001
Il manque une chose : une convention du travail comme ça existe dans tous les secteurs.<br /> Le but d’une convention est de dire ce qu’est une bonne condition de travail : contrat, rémunération, santé, liberté, etc.
promeneur001
On parle des femmes, mais profiter de la faiblesse des personnes se rencontre aussi chez les trans et les homos. Tout le monde est touché.<br /> Il est bien qu’on s’occupe enfin du milieu du porno, mais profiter de la faiblesse des personnes existe partout dans l’économie et la société en général. Ne pas dire non dans le milieu du travail est un vrai fléau.
xryl
Tous les crimes que tu décris sont déjà listés et punis dans la loi. Il y a une jurisprudence assez conséquente pour les écarts entre le « contrat de travail » et la réalité.<br /> La principale différence, entre un travailleur classique qui va faire des heures sup non rémunéré et qui va attaquer son employeur aux prudhommes, et un travailleur du sexe, c’est que, en cas d’abus, dans un cas, on est sur un délit, et dans l’autre sur un crime donc pénal. Ce qui implique deux cours de justice différentes (tribunal d’instance vs conseil des prudhommes), qui ne sont pas souvent au courant des lois et règles de l’autre. Même si le travailleur subit un viol ou un acte sexuel non consenti, ce n’est pas de la compétence des prudhommes, mais s’il le refuse et qu’il est viré, alors ça le devient. S’il demande des dommages pour rupture du contrat suite à un viol, c’est les prudhommes, mais la condamnation de l’employeur et/ou du violeur c’est le TGI.<br /> Que dire du présumé « violeur » qui lui suit les directives de son employeur? D’après la loi, il est responsable du viol, donc il porte la culpabilité, par contre, d’après les prudhommes, il y a une relation hiérarchique donc l’employeur est responsable, etc…<br /> Le manque de respect dans le cadre du travail (l’humiliation, mais pas l’harcèlement), c’est du ressort des prudhommes, etc…<br /> C’est un problème de fond de la société et de la manière dont elle a été « architecturée », c’est à dire avec différentes « justices » suivant les cas, sans prendre en compte initialement la problématique des cas mixtes comme le porno, mais aussi les pompes funèbres, etc… (en fait, tous les métiers préjugés comme « sales »)<br /> Là, c’est pas au Sénat, à mon avis, de changer ça, mais à l’assemblée nationale. Pas sûr que ça arrive cependant, car autant que les sénateurs s’occupe du porno, ça fait rire, autant si c’était les députés, ça ferait crier dans les chaumières quoi, ils ont rien de mieux à faire?
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