Le X-38, projet de navette stoppé trop tôt… ou trop tard

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
03 juillet 2022 à 17h17
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Le programme X-38 n'a pourtant pas manqué d'ambition. Crédits NASA
Le programme X-38 n'a pourtant pas manqué d'ambition. Crédits NASA

Alors que le concept d'une station spatiale internationale est acté dans les années 90, la NASA s'engage sur un concept original : le X-38 ou Crew Return Vehicle. Une navette de secours, capable de ramener en sécurité l'équipage sur Terre en quelques heures. Le projet capote en 2002…

Et il anéantit de nombreux espoirs avec lui.

Votre mission : ramener des astronautes

En 1995, la coopération internationale a le vent en poupe. Les navettes STS américaines s'amarrent à la station russe MIR, les travaux commencent sur les modules qui, une fois assemblés, formeront l'ISS… Et le casse-tête logistique pour assurer les rotations d'équipages et leur sécurité fait déjà débat. En effet, il y a deux moyens pour envoyer des astronautes sur la future station : les capsules Soyouz et les navettes STS. Or ces dernières ne restent en orbite qu'une semaine ou deux, et il n'est pas possible d'en maintenir une en permanence en condition de vol pour pouvoir rapatrier un équipage dans le besoin. Une soudaine dépressurisation, un incident médical… La station prévue pour 7 personnes ne peut se permettre de ne ramener sur Terre que ceux qui sont en Soyouz ! Face à la menace d'un équipage réduit, la NASA propose, sous l'impulsion d'équipes du centre spatial Johnson et du centre Dryden, un nouveau concept : le X-38 ou CRV, le Crew Return Vehicle.

Y aller, c'est bien... En revenir, c'est mieux. Crédits NASA
Y aller, c'est bien... En revenir, c'est mieux. Crédits NASA

Le X-38 idéal…

Amené en orbite au sein de la soute d'une navette STS, ou bien sous la coiffe d'une fusée « classique », le CRV est ensuite amarré sur la Station Spatiale Internationale. Et de là, il joue le rôle de véhicule de secours, avec une écoutille toujours ouverte et jusqu'à 7 places pour les occupants de la Station. En cas d'urgence, il peut être désamarré avec une procédure accélérée en quelques minutes seulement, avant d'entamer un retour vers la Terre en quelques heures (trois, idéalement). Pour cela, il est équipé d'un petit module de service à l'arrière qui contient les ergols nécessaires pour se freiner puis quitter l'orbite, et qui est éjecté juste avant l'entrée dans l'atmosphère. Le CRV est ce que l'on appelle un corps portant, sa forme est aérodynamiquement idéale pour traverser les couches les plus denses et y survivre. Après quoi, arrivé à moyenne vitesse et basse altitude, il déploie un parapente qui lui permet de se diriger jusqu'à une piste. Le X-38 atterrit grâce à des patins, un système plus simple à mettre en place et plus léger qu'un train d'atterrissage classique.

Les Européens à bord ?

Sur le papier, c'est une solution sûre et élégante. Relativement peu couteuse aussi, parce que le X-38 est censé être un véhicule réutilisable, et qu'il n'y a en théorie pas besoin de plus d'une ou deux unités orbitales. Mieux, les américains arrivent à obtenir le support de l'agence spatiale allemande DLR, un soutien de poids ! Il est question d'adapter le CRV pour un décollage d'une fusée Ariane, un projet alléchant pour les européens… Non ? En réalité, il se trouve que le projet franco-allemand (puis européen) de navette, Hermes, est au point mort, abandonné officiellement depuis 1992. Il y a encore quelques espoirs, notamment en France : ce ralliement allemand autour du X-38 est aussi une façon politique de tourner la page et pour certains, d'enterrer définitivement le projet. Dur Dur… La NASA, décide de faire un pas en avant, et sélectionne l'entreprise Scaled Composites pour réaliser trois prototypes d'essai à tester en vol, dans l'atmosphère, avant d'approuver totalement le CRV.

Essai en vol d'un X-38 largué par un bombardier B-52. Crédits NASA
Essai en vol d'un X-38 largué par un bombardier B-52. Crédits NASA

Des essais, beaucoup d'essais

Le X-38 (qui est un temps appelé X-35, un nom déjà utilisé par l'US Air Force) est donc un appareil à corps portant. Scaled Composites ne part pas de rien, car le véhicule est très largement inspiré du X-24a, qui a volé entre 1969 et 1971. Les prototypes destinés aux vols atmosphériques ne répondent pas à des exigences spatiales, ils sont donc fabriqués avec une coque en époxy et une structure en aluminium, ce qui permet d'accélérer le programme. Il y a deux prototypes initiaux, nommés V131 et V132. Ils mesurent 7.5 mètres de long, 3.54 mètres de large et 2.56 mètres de haut. Et ce ne sont pas exactement les dimensions du futur véhicule spatial, qui sera 20% plus grand (presque 10m de long)… Mais c'est plus pratique pour les tests qui décollent sous l'aile d'un bombardier B52. Car pour rappel, le X-38 n'a pas de moteur ! Le premier exemplaire est livré dès fin 1996, et le premier vol captif est réalisé en juillet 1997.

Malgré tout, la forme aérodynamique du CRV doit encore évoluer, car elle n'est pas tout à fait adaptée à sa mission. La NASA réalise deux vols avec le prototype V131 en mars 1998 et février 1999, pour étudier la descente autant que le déploiement du parapente directionnel. Et ce sont avec ces données que l'exemplaire est renvoyé chez Scaled Composites pour des modifications de coque… Mais pas uniquement. L'exemplaire modifié, nommé V131-R dispose du logiciel de vol et de déploiement du parachute, de petits moteurs pour régler son orientation, d'un train à skis rétractable, etc. Il a tout d'un vrai, et embarque même la plus grande voile du monde, qu'il utilisera pour une série de tests réussis en 2000 et 2001. Le V132 (qui a encore l'ancienne forme) réussit lui aussi ses essais. En revanche, alors que Scaled Composites a démarré la construction d'un dernier exemplaire prototype V133 (taille réelle) ainsi que du premier CRV destiné à la démonstration en orbite (le V201), le programme va brusquement s'arrêter.

C'est vraiment un grand, un très grand parachute/parapente. Crédits NASA
C'est vraiment un grand, un très grand parachute/parapente. Crédits NASA

Quand l'administration dit stop

Il faut noter qu'à une période où le budget de la NASA est déjà particulièrement contraint, le programme X-38 coûte cher. Déjà 700 millions dépensés en l'an 2000, alors que Scaled Composites n'a pas engagé le gros de la facture pour les « vrais » exemplaires destinés à l'espace. Le programme dans son ensemble, d'abord estimé à 2 milliards de dollars, pourrait en coûter le double… Alors que les navettes STS cannibalisent toujours le budget, et que la construction de la Station Spatiale Internationale a elle aussi dérapé. En 2002, après les élections et l'invasion de l'Irak, les coupes sont sévères (un plan d'économies appelé « Core Complete » vise le minimum pour l'ISS) et le programme X-38 est annulé dans un processus qui durera à peine 4 mois et laissera peu de place aux arguments techniques ou logiques.

Le jour de la fermeture officielle du programme. On peut voir en fond le squelette de la version qui devait mener des essais en orbite. Crédits NASA
Le jour de la fermeture officielle du programme. On peut voir en fond le squelette de la version qui devait mener des essais en orbite. Crédits NASA

Un arrêt politique, donc, qui finalement s'avérera payant, puisque 9 mois plus tard, le drame tragique de la navette Columbia (7 morts) stoppe les vols de navettes : le X-38 n'aurait été prêt à temps et n'aurait probablement plus servi une fois les navettes STS à la retraite. D'autres spécialistes avancent pourtant l'argument inverse, si le X-38 avait été en fonction au tournant des années 2010, la navette aurait pu être prolongée… Mais alors d'autres programmes n'auraient vu le jour que plus tard (comme les capsules du programme Commercial Crew). Dommage ? Peut-être. Le X-38 ou CRV restera un concept, malheureusement trop peu abouti, qui visait à la sécurité des équipages avant tout.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (15)

cid1
Je ne connaissais pas cette partie de la conquête spatiale, merci Eric de nous l’avoir faite découvrir, vous devriez écrire un livre, vous avez le niveau
Blackalf
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Martin_Penwald
2 milliards, c’est rien du tout. Et c’est pour tout le projet, pas une somme annuelle. Quand on voit le budget de la défense là-bas …
Korgen
Excellent article, merci. Cependant j’ai une petite question, n’ayant pas de moteur comment était prévue la sortie d’atmosphère et la mise en orbite ? C’est le bombardier qui se mettait sur le vecteur et dépassait la vitesse de libération ?
MattS32
Si j’ai bien compris la mise en orbite était prévue avec une fusée classique ou une navette.<br /> Le largage depuis un bombardier n’était que pour des essais de vol retour.
Korgen
En effet c’est plus cohérent ^^ Je voyais mal comment un bombardier pouvait atteindre la Vl
eykxas
Quand ton budget total est de 13 milliard, et que tu n’as que 6 milliards de disponible pour tout ce qui est vol spatiaux, il est facile de comprendre que 4 milliards pour un petit vaisseau de secours, c’est beaucoup beaucoup trop.
ebottlaender
C’était un peu la pire période budgétaire pour la NASA, le début des années 2000. Ils avaient moitié moins que maintenant, et il fallait mettre de côté grosso modo 1 milliard par vol de navette…
ebottlaender
C’est très gentil, merci en tout cas pour ce commentaire !<br /> Comme les autres l’ont commenté, j’ai pu écrire un livre, et j’en ai d’ailleurs réalisé un autre en autoédition super-limitée l’année suivante (2018, Année Spatiale). Néanmoins on voit souvent l’écriture d’un livre comme un super sommet inaccessible… C’est pas vraiment le cas Surtout, c’est énormément de travail super-chronophage, pour des clopinettes au bout, à moins de vendre des dizaines de milliers d’exemplaires. Je trouve ça plus intéressant de me concentrer à expliquer les choses ici, sur quelques revues spé et sur le site du CNES (à l’occasion). J’avais aussi tenté de lancer ma revue en 2021, mais ça avait coincé.
cid1
D’abord merci pour ton post, je suis heureux que tu aie déjà écrit deux livres, je vais l’acheter et le lire comme je lis tes très bons articles, comme dirait « Spock » « live long and prosper », merci.
MonsieurSpock
Je me souviens dans mon jeune âge, le siècle dernier, avoir travaillé sur un projet de navette européenne nommé Hermes qu’elle était bien et tout, mais abandonnée car ça coutait des tas de bras…
Popoulo
Un grand bravo pour les bouquins et comme toujours, pour les articles d’une excellente qualité.
loremipsum
Merci pour l’article !<br /> Mais au final, ils font comment pour sauver leurs fesses en cas de pépin dans l’ISS ? Ils tirent à la courte paille pour savoir qui sont les chanceux qui pourront rentrer en Soyouz ?
ebottlaender
Ben du coup je referai un article pour vous parler de ça… Mais grosso modo pour partir, il faut que le véhicule dans lequel ils arrivent soit toujours là (ou bien un remplacement). Chaque astronaute a une place dans un véhicule capable de revenir sur Terre <br /> Et dans la période où il n’y avait que Soyouz, c’est une des raisons pour lesquelles il n’y a eu pendant certaines périodes que 2 ou 3 astronautes dans la station.
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