Explorer 11, le premier mini-observatoire Gamma orbital

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
09 janvier 2022 à 17h17
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Maquette (?) d'Explorer 11, qui reste attaché après la mise en orbite à son dernier étage propulsif. Crédits NASA
Maquette (?) d'Explorer 11, qui reste attaché après la mise en orbite à son dernier étage propulsif. Crédits NASA

A la fin des années 50, l'observation des rayons gamma anime tout le domaine de la physique. Et avec le début de l'ère spatiale, l'un des tout premiers satellites dédiés à comprendre le cosmos, Explorer-11, était un observatoire Gamma. Un véritable micro-satellite avant l'heure !

En ne détectant presque rien, il a cependant fait avancer la compréhension de l'univers !

Gamma n'est pas un variant

Les particules énergétiques plus chargées que les rayons X (au-delà des 100 keV) sont appelées rayons gamma. Ces derniers sont générés par certains des événements cosmiques les plus extrêmes, depuis les éruptions solaires jusqu'aux supernovas, pulsars, trous noirs… Mais l'atmosphère terrestre absorbe une partie des particules chargées, une gageure à la fin des années 50 alors même que différentes théories s'opposent sur les sources d'émission gamma dans l'univers.

C'est ainsi que des missions en ballons à haute altitude ont lieu alors que les premiers satellites sont envoyés en orbite. Leur potentiel est vite étudié pour l'astronomie gamma, et il est estimé que seul un satellite saura détecter sans ambiguïté des sources de rayons gamma célestes dans la gamme énergétique la plus basse.

Détecteur artisanal

Sauf qu'à la fin des années 50, la technologie n'est pas encore totalement au rendez-vous, que ce soit pour les lanceurs ou pour les satellites eux-mêmes. Les premières unités américaines sont limitées à 11 kg de charge utile, les premiers panneaux solaires sont rudimentaires, et il n'existe pas de dispositif de stabilisation performant pour les satellites de ces générations… Pour autant, les travaux démarrent dès 1958 sur le détecteur de rayons gamma au MIT.

Le boitier doit être compact, adapté à un niveau d'énergie précis (ici 50 meV et plus) et surtout, ne doit pas réagir avec d'autres sources de particules énergétiques. La particule gamma incidente doit donc être détectée simultanément avec un détecteur Tcherenkov et un dispositif sandwich scintillateur. Heureusement pour les scientifiques, un nouveau lanceur orbital est disponible dès la fin 1958, Juno II.

Vue d'artiste d'Explorer 11 à son apogée orbitale. Un concept très ambitieux pour son époque. Crédits NASA.
Vue d'artiste d'Explorer 11 à son apogée orbitale. Un concept très ambitieux pour son époque. Crédits NASA.

Du bureau d'études à la pratique

En théorie, Juno II est capable d'envoyer une quarantaine de kilos de charge utile en orbite terrestre. Mais ça, c'est sur le papier… En réalité, le lanceur est mal né et cumule les problèmes. Après deux décollages acceptables, Juno II subit revers sur revers en 1959 puis 1960. Avec un taux d'échec de plus de 50%, inutile de préciser que l'équipe scientifique n'est pas sereine pour son décollage, qui aura finalement lieu le 27 avril 1961. Explorer-11 pèse finalement 37 kg, et transporte en plus de son « télescope » des panneaux solaires, des bandes magnétiques pour enregistrer les signaux lorsque le satellite est hors de portée des stations au sol, et de quoi transmettre ses relevés.

Pour l'orientation du satellite… Il n'y en a pas vraiment. Au lancement, la stabilisation est réalisée par rotation, l'angle précis de l'injection orbitale est obtenu parce que l'ensemble tourne sur lui-même à 5,6 tours par seconde (340 rpm) ! Mais en quelques semaines, à cause de subtiles perturbations (effet électromagnétique), la rotation décroit et change d'axe : Explorer-11 doit alors tourner sur lui-même comme une hélice à 5 tours minute. Toujours est-il que le satellite lui-même n'a aucune idée de son orientation, ce sont les données transmises qui doivent permettre de l'interpréter, et tout repose sur le détecteur gamma… En effet, il faut déduire des émissions gamma liées à l'atmosphère terrestre et au Soleil toutes les positions des autres mesures. Un programme bien optimiste !

Décollage d'Explorer 11 : tout le monde croise les doigts ! Crédits NASA
Décollage d'Explorer 11 : tout le monde croise les doigts ! Crédits NASA

A l'assaut des mesures en orbite

Le décollage de Juno II, exceptionnellement, se passe bien ! Enfin, presque. L'orbite atteinte est finalement trop haute. A 473 x 1793 km d'altitude, le satellite passe du temps dans les ceintures de Van Allen… Qui justement « capturent » les particules à haute énergie et peuvent fausser les mesures. S'agissant d'un lancement dans le début des années 60, c'est pourtant déjà un exploit : Explorer-11 est en orbite, et il fonctionne presque comme prévu ! Oui, presque. L'enregistreur à bandes est en panne, certes. Et les transmissions sont plus hasardeuses que prévu. Et finalement, détecter la Terre et le Soleil sur les relevés s'avère plus difficile que prévu. Et après deux mois, un souci lié à l'alimentation électrique mène à des pannes du détecteur. Mais… Mais au final, Explorer-11 fonctionne.

Au final, les équipes n'arrivent qu'à isoler des enregistrements de 141 heures de données, réparties sur 7 mois. Ce qui peut paraître peu, mais étant donné les conditions de mesure, reste exceptionnel ! Après analyse poussée, il y a détection certaine de 22 rayons gamma. Ce qui est peu, très en-dessous des attentes de la mission. Mais est-ce peu parce que le satellite était extrêmement rudimentaire, ou peu parce qu'il y avait moins de sources de rayons gamma célestes que les résultats attendus ? Il ne faudra pas (trop) longtemps pour affiner les résultats d'Explorer-11, puisque le télescope orbital OSO-3 en 1967 permet cette fois de localiser les différentes sources de rayons gamma (y compris produites au sein de notre galaxie).

En octobre dernier, la NASA a choisi COSI, qui poursuivra l'héritage d'Explorer-11 : c'est un nouveau télescope gamma orbital ! Crédits NASA
En octobre dernier, la NASA a choisi COSI, qui poursuivra l'héritage d'Explorer-11 : c'est un nouveau télescope gamma orbital ! Crédits NASA

L'important, c'est de participer

Reste qu'Explorer-11 n'a pas servi à rien. En effet, à la fin des années 50, la question des origines de l'univers faisait beaucoup plus l'objet de débats qu'aujourd'hui, et le Big Bang n'était qu'une solution parmi d'autres. Il existait ce qu'on appelle la Théorie de l'Etat Stationnaire (Steady State Theory), pour laquelle l'expansion de l'univers était expliquée par la création en continu de matière et d'antimatière. Sauf qu'au sein de ce modèle cosmologique, cette « génération » créerait énormément de sources de rayons gamma, qui aurait en retour énormément réagi avec le détecteur embarqué d'Explorer-11. Le très faible nombre de relevés de rayons gamma identifiés est donc un argument direct pour réfuter la Théorie de l'Etat Stationnaire. Ce ne fut pas le seul, bien sûr, et ce modèle a été abandonné au vu des nombreuses mesures subséquentes (notamment avec l'aide du fonds diffus cosmologique et de sa température), mais le petit satellite de 38 kg a fourni sa petite pierre à l'édifice.

Source : DREW Ex Machina.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (1)

benben99
Ils auraient pu détecter les rayons gammas à partir de la terre s’ils avaient construit une antenne assez grosse.
ebottlaender
Non, une partie des gammas sont filtrés par l’atmosphère, cela ne dépend pas de la taille de l’antenne.<br /> Aujourd’hui une partie de l’observation gamma est bien réalisée sur Terre, c’est vrai, mais c’est uniquement valable pour la partie du spectre qui est à très haute énergie.
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