Explorer 1 : à la découverte du premier satellite américain

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
08 mars 2020 à 14h00
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Explorer 1 - 1958
W. H. Pickering, J. Van Allen et W. Von Braun célèbrent le succès du satellite

C'est l'histoire du satellite qui n'a pas pu être le premier de l'humanité. Devancé par Spoutnik, Explorer 1 a tout de même lancé les Etats-Unis en orbite, et réussi une toute première collecte de données scientifiques.

Dans la seconde moitié des années 50, la course à l'espace est lancée. L'URSS et les Etats-Unis ont formé leurs blocs et savent que les prochains conflits pourront se jouer à coup de missiles intercontinentaux. Et que si on ajoute un peu plus de puissance sur ce type de fusée, il est possible d'atteindre une vitesse orbitale, et donc de devenir la première nation avec un satellite autour de la Terre.

Mais si le concept intéresse énormément les scientifiques, les lanceurs sont bel et bien développés par les militaires. Les ambitions se concentrent vite sur l'Année Géophysique Internationale, qui démarrait le 1er juillet 1957 et se termine le 31 décembre 1958 : soviétiques et américains ont annoncé en 1955 qu'ils comptaient profiter de l'occasion pour envoyer « de petits satellites ».

Explorer-1 sur Juno-1
Explorer-1 est un tout petit satellite

Une occasion en or loupée par les Etats-Unis en 1956

Les Etats-Unis ont raté l'occasion parfaite le 20 septembre 1956. Un missile Jupiter C décolle de Cape Canaveral et parcourt 5 100 km au-dessus de l'Atlantique, atteignant 1 100 km d'altitude. Et il aurait pu aller bien plus vite s'il avait embarqué autre chose dans le nez de la fusée que... du sable. Eh oui, la démonstration était une fois de plus aux mains des militaires. On peut se demander tout de même comment, 13 mois plus tard, c'est un satellite soviétique et pas américain qui a traversé le ciel dans son caractéristique « bip bip » !

En réalité, les efforts américains se sont trop dispersés. Le génie allemand et - officiellement - Nazi Wernher Von Braun et les cerveaux qu'il a ramenés avec lui après la guerre, n'a pas encore toute la confiance des américains. La NASA n'existe pas et chacune des trois riches branches de l'armée américaine veut sa fusée. Ainsi donc, l'US Army (et monsieur Von Braun) travaillent sur le programme Jupiter, l'US Air Force a lancé son programme Atlas, et la Navy travaille sur un lanceur nommé Vanguard. C'est ce dernier qui doit envoyer le premier satellite américain.

Oui mais voilà, le développement de Vanguard prend du temps, beaucoup de temps. En mai 1957, elle n'a volé que deux fois, et il lui manque encore la puissance pour envoyer un minuscule satellite autour de la Terre. Mais qu'importe, les soviétiques ont aussi des problèmes ! Le 15 mai, leur première tentative de vol avec la fusée R-7 échoue. Malheureusement pour les américains, la production soviétique est presque déjà lancée en série. Le 4 octobre, Spoutnik décolle et fait ses tours de Terre au nez et à la barbe des américains. Il faut se replacer dans le contexte et comprendre la psychose créée par ce petit satellite. Qui sait ce que les « rouges » pouvaient envoyer au-dessus de vos têtes ? Il était temps de répliquer. Le décollage de Vanguard est fixé au 6 décembre 1957.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Et en fait, tout ça n'a rien à voir avec Explorer-1. Pourquoi ? Parce que le 6 décembre 1957, en direct à la télévision, les Etats-Unis se ridiculisent. Le moteur de la fusée a un problème après quelques secondes de vol, et la fusée retombe en une énorme boule de feu sur le site de lancement. Les Etats-Unis sont désemparés. Au milieu des « unes » des journaux américains railleuses, le gouvernement donne le feu vert à l'équipe de l'US Army et son lanceur Juno (dérivé du missile Jupiter-C), avec un petit satellite scientifique créé par le tout jeune Jet Propulsion Laboratory en Californie.

C'est lui, Explorer-1, et même si les équipes travaillaient déjà dessus, cela ne faisait que quelques semaines. Il faut faire vite et répliquer à l'URSS, qui a déjà réussi à envoyer Spoutnik-2 et la chienne Laïka en orbite en novembre.

En réalité, le satellite Explorer 1 lui-même est assez minuscule comparé à ses concurrents soviétiques : 16,5 cm de diamètre, moins d'un mètre de long, elle ressemble à une mini-fusée. Et avec ses 13,5 kg dont 8,4 kg de charge utile, deux petits instruments ont un poids plume : un minuscule détecteur de micrométéorites et une expérience pour détecter les rayons cosmiques. Les chercheurs auraient bien aimé pouvoir en rajouter, mais le lanceur n'en a pas les capacités. Mais les américains font avec ce qu'ils ont sous la main, et préparent le décollage pour fin janvier.

Après un premier report, elle décolle le 1er février à 4h48 (Paris) et met Explorer 1 en orbite autour de la Terre. Les Etats-Unis peuvent pousser un énorme soupir de soulagement : ils ont sauvé la face et peuvent à présent annoncer qu'ils rattrapent leur retard sur les soviétiques. Même si comme on le sait, ce ne sera pas le cas avant le milieu des années 60 !

Explorer 1 lancement
Décollage ! Le premier satellite américain fonce vers l'orbite

Un petit satellite qui a fait de grandes découvertes

Cependant, même s'il fut très petit, Explorer 1 fut un succès retentissant. Le satellite a notamment réussi à communiquer avec les stations au sol pendant quatre mois, jusqu'au 23 mai 1958. Et les résultats seront amplement exploités, notamment du détecteur de rayons cosmiques, mèneront directement à la découverte des ceintures de Van Allen, qui concentrent une haute densité de particules à haute énergie. La recherche spatiale est lancée, et les universités américaines ne cesseront plus d'y participer grâce à leurs grands laboratoires et pôles de chercheurs.

Le programme Explorer ne s'est en réalité jamais vraiment terminé, il continue aujourd'hui via les programmes « small and medium explorer » de la NASA, dont les plus récents exemplaires sont le télescope chasseur d'exoplanètes TESS et le petit satellite d'observation de l'ionosphere ICON. Ce petit satellite, peint en noir et vert foncé (cela devait équilibrer les températures au sein du fuselage), si simple mais si efficace, fut donc le premier d'une longue série pour les Etats-Unis...

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (3)

Fodger
Moi qui croyait qu’on allait parler de MicroSoft …
jkgolconde
La preuve : « Le programme Explorer ne s’est en réalité jamais vraiment terminé… »
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