Carbone & Silicium, transcender le futur

26 septembre 2020 à 11h11
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Carbone and Silicium couverture 2 © Ankama - Mathieu Bablet

Sorti fin août à l’occasion de la rentrée littéraire, Carbone & Silicium
est déjà un incontournable. Dessiné et scénarisé d'une main de maitre par Mathieu Bablet, elle fourmille de réflexions habilement amenées sur le monde et son avenir.
Un bien bel augure pour ma première chronique BD sur Clubic n'est-ce pas ?

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Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.

Carbone & Silicium (2020)

de Mathieu Bablet

Dans un futur proche aux États-Unis, une organisation a mis au point une intelligence artificielle particulièrement aboutie, capable d’agir de façon autonome et de développer des sentiments, comme les humains. Les deux premiers robots dotés de cette intelligence nouvelle serviront de prototypes et de sujets d’expériences : ils s’appellent Carbone et Silicium.

Mais comment se contenter d’une vie de rat de laboratoire quand il y a tant de choses à découvrir à l’extérieur ? Nos deux robots vont rapidement s’affranchir de ces limites et construire leur rapport au monde, chacun à leur façon.

Carbone and Silicium image2 © Ankama - Mathieu Bablet

”De ces données dépendront votre compréhension du monde et votre rapport à lui.”

L’album aborde bien sûr la thématique de l’intelligence artificielle. Qu’appelle-t-on être vivant ? Que nomme-t-on individu ? Parce que Carbone et Silicium sont capables de rire, de s’ennuyer, d’être surpris, tristes ou déçus, cela signifie-t-il qu’ils sont des êtres humains à part entière ?

Dans cette société du futur qui cohabite au quotidien avec les robots, la réponse est non. Les robots voyagent en soute à côté des animaux, peuvent servir de poupée sexuelle et sont programmés pour vivre aussi longtemps qu’un chat, histoire d’être rentables. Difficile de voir le fonctionnement de cette société autrement que comme une usine à souffrance.

“Vous ne serez pas soumis aux traditions ni à la culture. Seule l’histoire avec un grand H vous servira de repère.”

Évidemment, au fil de son récit, c’est aussi la société actuelle que Mathieu Bablet nous force à regarder dans le blanc des yeux. Noriko, l’une des fondatrices du programme à l’origine de la création de nos deux héros, nourrit une véritable passion pour eux.

De son point de vue, Carbone et Silicium sont largement plus sages que les humains qui les ont créés. Et pour une raison toute simple : la culture, la religion, les traditions, n’ont pas participé à leur construction en tant qu’individus. Ils ont appris tout ce qu’il fallait savoir en quelques secondes, et découvrent maintenant le monde avec ces données en tête. Par ces mots, Noriko critique ce que l’humain est devenu, et le destin cruel qu’il a offert à la planète.

Dans son album, Mathieu Bablet nous emmène à la découverte de l’Inde qui déborde sous les déchets, de la chute du capitalisme aux États-Unis ou encore de la crise migratoire devenue ingérable en Europe. Pour Noriko, toutes ces tragédies font suite à la stupidité humaine nourrie par des siècles de traditions.

“Notre rapport au corps nous enferme plus qu’il ne nous libère, Silicium.”

Selon la scientifique, la supériorité de ses deux protégés vient aussi du fait que leur corps n’est qu’un accessoire. Je n’en dirais pas plus pour ne pas spoiler, mais le cerveau des deux robots et leur corps, qui leur permet de se déplacer, sont deux choses distinctes. Imaginer des individus qui peuvent s’affranchir des problèmes liés à une blessure ou à des incapacités physiques permet de voir la vie d’une façon complètement nouvelle. En cela, peut-on considérer que les robots sont… supérieurs aux humains ?

Mathieu Bablet illustre à merveille cette dissociation entre corps et esprit avec un style graphique différent pour le monde réel et le monde virtuel. Le virtuel n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, constitué de pixels et de couleurs froides. C’est au contraire un magma de pensées dans des tons ocres où les personnages évoluent en flottant. Visuellement, on sent que l’artiste s’en donne à cœur joie, emmenant le lecteur dans des villes peuplées de drones ou dans des monuments historiques indiens vides de touristes.

Carbone and Silicium image1 © Ankama - Mathieu Bablet

“Nous nous distinguons des animaux parce que nous avons la certitude de notre fin. C’est ce qui nous pousse à entreprendre des choses.”

La question du rapport au corps pousse aussi l’auteur à questionner ses personnages et son lecteur sur la mort. C’est je pense l’une des thématiques majeures de l’album. La mort de l’individu d’abord : la fin d’un être humain est inéluctable, celle d’un robot n’est pas obligatoire puisqu’on peut changer ses composants pour qu’il vive pour l’éternité.

Sauf qu’une machine immortelle n’est pas rentable… Carbone & Silicium parle de la mort de l’individu, mais aussi de celle du monde. Un monde qui en est à son crépuscule lorsque l’histoire démarre, et qui ne fera que se rapprocher de sa fin durant tout le récit.

“Il y a encore des guerres, des gens qui dorment dehors et d’autres qui meurent de faim. Est-ce que ce modèle est amené à changer au cours des prochains siècles ?”

Et si la fin est proche, pourquoi ne fait-on rien pour l’en empêcher ? Mathieu Bablet s’exprime à travers ses deux robots qui regardent cette société d’un œil neuf. Comme un bébé, mais qui aurait déjà les capacités de réflexion d’un adulte. Et ce qu’ils voient n’est pas très flatteur… L’histoire se déroule dans le futur et les protagonistes principaux ne sont pas humains. Pourtant, l’histoire nous touche personnellement, d’une façon ou d’une autre.

Carbone & Silicium n’est pas juste une lecture, c’est une expérience qui nous met face à qui nous sommes, et au rôle nous jouons dans le drame qui est en train de se dérouler. Si l’histoire est fictive, elle a de terribles accents de réalité. Mais point question d’être moralisateur ou pédagogue : c’est au travers du récit qu’on en vient à s’interroger sur nous-mêmes.

Menée par un scénario habile et portée par un dessin carrément hypnotique, Carbone & Silicium est une lecture qui ne laisse pas indemne, c’est certain. Notons enfin qu'Alain Damasio – référence de la science-fiction française dont nous vous parlions dans une précédente chronique – signe la postface de l’album. Autant d’arguments qui prouvent que Carbone & Silicium est incontournable, pour les amateurs de BD… et de SF !

Carbone & Silicium (2020) est édité chez Ankama.

Lise Famelart

Experte et passionnée de bande dessinée, Lise est également à l'aise dans la high tech comme un cookie sur le web... ou un poisson dans l'eau (comme disent les anciens).

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Commentaires (2)

smover
Je dois dire que cette critique -comme souvent avec S|F ! - me donne énormément envie de craquer. Mais j’ai déjà craqué sur l’arnaque Shangri-là et sa belle couverture à sa sortie, avec depuis une très forte envie de fuir les «&nbsp;œuvres&nbsp;» de Mathieu Bablet si elles sont du même acabit.<br /> Quand on ouvre Shangri-La on subit des personnages au dessin franchement laid et bâclé (ils sont souvent difficiles à reconnaître et leurs expressions affichent un manque de subtilités rarement osé).<br /> Mais surtout, l’histoire qui se veut une caricature de notre société est d’une immaturité incroyable. On croirait qu’un lycéen écœuré du monde en pleine crise existentielle et hormonale en tire un portrait qui offre une absence totale de finesse. Tout est laid, difforme, voire même vulgaire en matière de SF tant c’est caricatural à un point rarement atteint. Sans compter que tous les thèmes abordés ont déjà été vus et revus ailleurs.<br /> Shangri-La pour moi c’est comme une horrible Série B au scénario bâclé qui mélangerait un peu tous les thèmes du moment, avec une réalisation ignoble, mais qui parfois et de façon incompréhensible, laisserait entrevoir dans certains décors et certains plans un vrai talent. Bref ça a été un traumatisme par son immense médiocrité (surtout du scénario) tant j’ai eu l’impression après lecture de m’être fait avoir comme ses habitants qui se précipitent comme des moutons sur le dernier appareil sorti par l’horrible-multinationale-qui-contrôle-tout. Je me rappelle même avoir été en colère en refermant le bouquin de voir qu’un truc aussi nul pouvait avoir été autant mis en avant en magasin, et que je m’étais fait avoir.<br /> Alors quid de ce Carbone et Silicium ?<br /> Est-ce que l’auteur aurait cette fois pris le temps de soigner un scénario décent voire intéressant avec un minimum de subtilités ? Comment pourrait-il en être capable avec ce qu’il a commis précédemment ?<br /> Etant d’habitude plutôt bien en phase avec les avis des auteurs de cette chronique S|F je suis intrigué : le thème semble super et bien construit, et si c’était un autre auteur j’aurais déjà acheté l’album. Mais là j’irais le feuilleter en librairie avant, pour en avoir le cœur net, histoire d’être sûr. Une fois suffit.<br /> Très belle chronique en tout cas, comme d’habitude, qui fait vraiment envie !
raymondp
Merci pour cette chronique.<br /> Malheureusement, je partage également le point de vue de smover concernant Mathieu Bablet après avoir lu shangri-la.<br /> Effectivement, BD très mise en avant par les libraires.<br /> Le style de dessin est «&nbsp;particulier&nbsp;», surtout pour les visages, malgré un talent certain pour dessiner les grands plans.<br /> Pour le scénario, shangri-la enchaîne les poncifs : méchants humains, méchantes multi-nationales, méchants gouvernements, les seuls «&nbsp;bons&nbsp;» finissent atrocement, bref, tout le monde est méchant et tout est noir. Le scénario, assez caricatural, n’est là que pour nous convaincre de cet état de fait. No future. A part faire augmenter les ventes d’anti-dépresseur ou de pousser au suicide, je ne vois pas.<br /> Cette nouvelle BD a l’air du même tonneau. Les animaux «&nbsp;humanisés&nbsp;» de shangri-la ont été remplacés par des androïdes, mais on devine que leur fin sera funeste. J’espère néanmoins que cette BD trouvera son public.
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