Dernier tour de piste pour les avions spatiaux de Virgin Galactic ?

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 19 mai 2024 à 17h33
La courbure de la Terre vs celle du nez de l'avion fusée de Virgin Galactic © Virgin Galactic
La courbure de la Terre vs celle du nez de l'avion fusée de Virgin Galactic © Virgin Galactic

Le 8 juin, le VSS Unity fera son dernier tour de piste sur le Spaceport America, au Nouveau-Mexique (États-Unis). Virgin Galactic prépare sa prochaine génération, qui devrait démarrer les vols commerciaux dès 2026. Mais le groupe va surtout devoir chercher des fonds, car sans revenus, c'est une véritable course contre la montre qui commence.

Les équipes de Virgin Galactic s'affairent à préparer un nouveau vol du VSS Unity. Il faut, comme à chaque fois, l'équiper d'un nouveau moteur-fusée hybride, ces derniers étant à usage unique. Puis, ce sont des tests au sol ainsi qu'avec l'avion porteur, le VMS Eve, tandis que d'autres équipes vont s'activer dans la cabine.

Pour sa prochaine parabole à plus de 80 kilomètres d'altitude (50 miles, la frontière, au moins américaine, des vols spatiaux), le VSS Unity embarquera un « astronaute chercheur », qui effectuera plusieurs expériences scientifiques pour le compte d'Axiom Space, en plus de trois touristes plus classiques venus faire des cabrioles devant le noir infini du cosmos et la courbure de la Terre.

Pour ce vol suborbital, le 12e de l'avion-fusée, Virgin Galactic embarquera son 30e passager. C'est à la fois beaucoup, car le tourisme spatial suborbital, ça n'existait pas avant 2021 (ironiquement, des passagers allaient en orbite avant ces plus petites aventures à la frontière de l'espace), et peu, puisque Virgin Galactic s'enorgueillit d'une liste de plus de 700 clients.

Le VSS Unity va bientôt tirer sa révérence © Virgin Galactic
Le VSS Unity va bientôt tirer sa révérence © Virgin Galactic

Le VSS Unity fonctionne bien, mais…

Lesdits clients vont majoritairement devoir patienter, et patienter encore. En effet, le prochain vol du VSS Unity sera son dernier. L'entreprise a pris cette décision l'an dernier, pour des raisons économiques. Unity a été assemblé en 2014 et 2015, alors que Virgin Galactic menait ses tests en vol avec son prototype précédent, le VSS Enterprise, lequel a subi un accident et un crash majeur en octobre 2014.

Il a ensuite fallu plusieurs années pour remettre le programme sur les rails et assurer davantage de sécurité sur les vols (toutefois, l'avion spatial est entièrement piloté, il n'a aucun système d'éjection d'urgence). En 2018, il réussissait sa première parabole véritablement suborbitale à plus de 80 kilomètres d'altitude. Celle prévue le 8 juin est la 12e, dont 9 se sont faites avec des passagers.

VSS Unity a par ailleurs fait l'objet de plusieurs campagnes de modifications mineures pour lui permettre de voler plus régulièrement. Ces campagnes ont lieu une fois par mois, selon Virgin Galactic, même si l'appareil n'a maintenu cette cadence qu'entre avril et novembre 2023. C'était cependant une véritable entrée en service commerciale ! Reste un problème de fond : même si Unity vole bien, il coûte cher à une entreprise qui perd déjà énormément d'argent.

Cesser de voler pour sauver les meubles

Si Virgin Galactic choisit de mettre à la retraite son iconique avion spatial, c'est parce que la firme (installée en Californie) le fait voler à perte. Les revenus des vols paraboliques n'ont pas grimpé à plus de quelques millions, tandis qu'à chaque trimestre, le groupe perd entre 110 et 200 millions de dollars. Cette facture abyssale n'est que le prolongement d'une situation qui dure depuis deux décennies.

Mais depuis fin 2019, Virgin Galactic est entrée en Bourse et doit donc publier ses comptes. Les responsables ont choisi, au moment de l'introduction tout comme maintenant, de se cacher derrière des promesses d'un grand nombre de vols futurs avec les prochains appareils. En effet, le modèle commercial consistait à utiliser plusieurs années le VSS Unity et son successeur, le VSS Imagine, pour réaliser un nombre croissant de vols : plusieurs par mois, puis plus d'un par semaine pour atteindre le seuil de rentabilité. Les documents partagés aux investisseurs évoquaient 66 passagers en 2020, presque 650 en 2021, et même plus de 1 500 en 2023…

L'agence italienne a fait voler trois de ses membres, pilotes et chercheurs, avec des expériences scientifiques dans le VSS Unity © Virgin Galactic

Le retour d'expérience n'a pas été très concluant, Virgin Galactic perd beaucoup trop d'argent pour le moment en ne volant qu'une fois par mois, et depuis l'an dernier, tous les travaux concernant le VSS Imagine sont en pause. Il ne rentrera probablement jamais en service ou sera profondément modifié. Le décalage entre promesses et réalité est tel que des investisseurs ont porté plainte auprès de l'autorité des marchés financiers, accusant Virgin Galactic d'avoir embelli ses prévisions avant son entrée en Bourse.

La machine à cash est en panne

La Bourse, par ailleurs, n'a pas été l'Eldorado espéré. Richard Branson et ses équipes prévoyaient d'utiliser le levier financier pour accélérer le développement de l'entreprise, portée par ses vols et l'expérience offerte à ses clients. Or, non seulement il y a eu bien peu d'heureux élus, mais les investisseurs n'ont pas été d'une patience extrême.

Plébiscité quelques mois après l'introduction en Bourse, le titre a plongé dans les limbes du NYSE, et les perspectives ne sont pas bonnes. La valeur unitaire des actions flirte actuellement avec 1 dollar, ce qui représente un danger pour l'entreprise, car si le titre reste 6 mois sous le dollar, elle sera « délistée » et ne sera plus cotée à la Bourse de New York.

C'est là une véritable claque, que le groupe espère contourner en proposant à ses actionnaires des regroupements d'actions. La décision sera prise au deuxième trimestre. La plupart des conseils aux investisseurs leur recommandent cependant de passer leur chemin, car Virgin Galactic ne va pas pouvoir générer de revenus significatifs avant au moins 2026. C'est fort ennuyeux pour une entreprise qui n'a plus que 860 millions de dollars de cash dans sa caisse, et qui en débourse actuellement 113 millions par trimestre !

On espère que le Delta plane

Pour Virgin Galactic, la planche de salut espérée est celle de sa nouvelle génération d'avions spatiaux, nommée « Delta Class ». On en sait aujourd'hui très peu sur leur design final, même si plusieurs éléments laissent penser qu'ils reprendront de nombreux éléments de la génération du VSS Unity. Les appareils de la Delta Class utiliseront les retours d'expérience des vols de l'entreprise pour décoller à un rythme final espéré à pratiquement une fois par jour.

Virgin Galactic aimerait dévoiler le premier d'ici la fin de l'année, puis mener des essais en vol en 2025 avant une mise en service commerciale en 2026. Cet agenda est ambitieux, compte tenu des calendriers auxquels Virgin Galactic est habituée. Mais même d'ici là, l'entreprise devrait réduire la voilure, au moins temporairement. Pas question de conserver des équipes pour ne rien faire au Spaceport America, sans touristes à accueillir. Les activités vont être renforcées autour du nouveau site de production de la firme en Arizona (il semble que ce soit bientôt terminé pour le groupe installé sur l'ancien site à Mojave, en Californie).

Le site de Virgin Galactic en Arizona avec ses nouvelles installations © Virgin Galactic

Des espoirs de (re)vol

Tous les imbroglios ne sont pas levés pour autant concernant les activités de la Delta Class. Les appareils de cette dernière devraient profiter du même avion porteur que Unity, le VMS Eve. Et aussi de ses co-appareils, qui devaient être produits d'ici 2025. Mais finalement, la production attendra…

Virgin Galactic est en litige avec Boeing. L'industriel a réalisé l'étude de préproduction de ces avions et réclame une facture non payée de 26 millions de dollars ! Décidément, on peut se demander si le dernier vol du VSS Unity ce 8 juin sera autre chose que le chant du cygne pour Virgin Galactic face à toutes ces difficultés… Même s'il ne faut pas l'enterrer trop tôt, la firme existe tout de même depuis 2004. Il ne reste plus qu'à voir si les fameux appareils de nouvelle génération réussiront le terrible challenge qui leur sera imposé.

Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (3)
bmustang

c’est un rêve qui tourne au désastre et à l’escrocrie, fin de l’histoire

kroman

Dommage, les milliardaires ne pourront plus s’envoyer en l’air🥲
À défaut du petit Unity on pourrait en mettre une centaine sur le Starship pour redistribuer plus vite les richesses mondiales :rocket: :fireworks::sweat_smile:

alsaco67

J’adore l’astronomie, la cosmologie, depuis près de 50 ans mais quand il s’agit de problèmes financiers d’une société pour uniquement permettre à des milliardaires de faire un tour dans l’espace, cela me laisse froid .