Le Bitcoin, outil privilégié pour financer des activités criminelles ? C'est faux, d'après un rapport d'un ancien patron de la CIA

Cyril Fiévet
Cyberculture
19 avril 2021 à 11h10
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Bitcoin - because fuck banks © Claudio Schwar Purzlbaum / Unsplash

« L'usage de Bitcoin pour des activités illégales est plutôt limité » : c’est ce que conclut un nouveau rapport américain produit par un ancien patron de la CIA, qui contredit singulièrement les discours officiels associant la crypto-monnaie au crime organisé.

« Les grandes généralisations sur l'utilisation de Bitcoin pour du financement illicite sont largement exagérées ». Telle est l’une des deux conclusions du rapport An Analysis of Bitcoin’s Use in Illicit Finance (Une analyse de l’usage de Bitcoin dans la finance illicite), rendu public le 6 avril 2021. Le rapport est d’autant plus d’actualité que des rumeurs faisant état d’une possible charge de la part du Département du Trésor des États-Unis ont fait surface ce week-end. « Plusieurs institutions financières vont être accusées de blanchiment d’argent utilisant des crypto-monnaies », a-t-on vu apparaître sur Twitter le 18 avril, sans autre précision et sans qu'aucune source ne soit indiquée pour corroborer l’information.

Un ancien de la CIA aux commandes de ce nouveau rapport

Quoi qu’il en soit, le sujet de l’usage illicite de Bitcoin et des crypto-monnaies a fait l’objet de multiples études. Mais la particularité (et l’intérêt) de ce dernier rapport tient beaucoup à la personnalité de son principal auteur, Michael Morell. Spécialiste du renseignement durant 33 ans, ancien directeur adjoint de la CIA, et même directeur de l’agence par deux fois (en 2011, puis de 2012 à 2013), avant de rejoindre la cabinet de stratégie géopolitique Beacon Global Strategies... Une voix pour le moins crédible quand on évoque le financement du terrorisme, le crime organisé ou le blanchiment d’argent.

Le rapport, rédigé avec deux autres consultants, a été commandité par le Crypto Council for Innovation, un lobby visant à promouvoir l’adoption des crypto-monnaies et représentant quelques poids lourds de l’industrie de la fintech (dont Coinbase, Fidelity Digital Assets ou Square). Mais Morell prévient dès la préface : « Je dirai ce que je vois, avec objectivité et transparence, comme je l'ai fait tout au long de ma carrière d'analyste du renseignement »

Michael Morell
Michael Morell

Deux salles, une ambiance

Depuis sa création en 2009, Bitcoin est irrémédiablement associé à des pratiques illégales. Début 2021, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, avait plusieurs fois insisté sur l’usage de la crypto-monnaie sur le Dark Web ou pour le blanchiment, estimant que Bitcoin favorisait le « funny business ».

Le rapport de Morell en convient, Bitcoin a bien été utilisé par le passé dans des activités illicites, qu’il s’agisse de places de marché de produits illégaux comme Silk Road ou de tentatives de ransomware

Mais cela a, selon lui, engendré « des deux côtés de l’Atlantique » des réactions exagérées : « des déclarations officielles suggérant que Bitcoin est principalement utilisé à des fins illicites », encore accentuées par des « titres racoleurs » dans les médias. Des postures « mal informées et non fondées sur des données », « un battage médiatique bien supérieur à la réalité », aux dires de quelques-uns des nombreux experts (de la finance, du terrorisme, du renseignement, de la cybersécurité) interrogés par les auteurs du rapport.

Chainalysis 2021 Crypto Crime Report
Chainalysis 2021 Crypto Crime Report

Ce dernier évoque d’ailleurs plusieurs études récentes montrant combien l’usage illicite de Bitcoin est en réalité très marginal. En janvier 2021, le cabinet d’analyse des données blockchain Chainalysis avait montré que « les activités illégales liées aux crypto-monnaies représentaient 1 % de l’activité totale en 2020 ». Et pour ce qui concerne Bitcoin uniquement, la société CipherTrace estimait en février 2021 que « l'activité illicite représente moins de 0,5 % du volume total des transactions ».

Dans tout ça, l’immense majorité des activités financières illégales utilisent bien davantage le système bancaire traditionnel que les crypto-monnaies, remarque le rapport. Et Bitcoin, qui n’est, rappelons-le, pas une crypto-monnaie anonyme, est loin d’être l'outil préféré des criminels. « Les preuves s’accumulent pour montrer que les activités illicites quittent Bitcoin pour aller vers des crypto-monnaies réellement basées sur l’anonymat », note Morell. Plusieurs crypto-monnaies réputées intraçables, dont Monero (pointé dans le rapport et dont l’usage est en hausse), Zcash ou MobileCoin (intégré depuis peu à la messagerie Signal en Grande Bretagne, pour offrir une méthode de paiement confidentielle) ont été créés, précisément, pour offrir davantage d’anonymat que Bitcoin.

Bitcoin illegal

Police en mode blockchain

Dans tout ça, Bitcoin semble donc ne pas être le vrai problème des autorités en charge de lutter contre les financements occultes et le blanchiment. « Il est plus facile pour les autorités de tracer les activités illégales utilisant Bitcoin qu’il ne l’est de suivre les activités transfrontalières utilisant les transactions bancaires classiques, et encore bien plus facile qu’avec l’argent liquide », résume Morell, qui cite un expert avançant même que « si tous les criminels utilisaient une blockchain, on pourrait éradiquer toute activité financière illicite ».

C’est d’ailleurs ce qui conduit les auteurs à une seconde conclusion : « La blockchain sur laquelle sont enregistrées les transactions Bitcoin est un outil sous-utilisé, dont les forces de l'ordre et la communauté du renseignement peuvent mieux tirer parti pour identifier et contrer les activités illicites ». Morell constate que la plupart des gouvernements ont tardé à saisir l’importance des blockchains, et insiste longuement sur l’intérêt qu’ils auraient à se l’approprier : « la blockchain permet aux forces de l'ordre d'adopter une stratégie proactive bien plus sophistiquée pour identifier les activités illicites ».

En somme, loin d’être le paradis de la fraude et du blanchiment d’argent qu’on a bien vouloir décrire, Bitcoin favoriserait en fait la transparence et n’aurait que peu d’intérêt pour les criminels, tandis que la technologie qu’il a démocratisée pourrait s’avérer un outil de premier plan pour traquer les activités illégales.

Cyril Fiévet

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Cyril Fiévet est ingénieur, journaliste et auteur. Il couvre depuis une vingtaine d’années les technologies de pointe, l'innovation et les tendances émergentes. Il a publié plusieurs centaines d’artic...

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Cyril Fiévet est ingénieur, journaliste et auteur. Il couvre depuis une vingtaine d’années les technologies de pointe, l'innovation et les tendances émergentes. Il a publié plusieurs centaines d’articles dans une vingtaine de médias sur la cyberculture, l'évolution des usages numériques, l’intelligence artificielle, les interfaces homme-machine, les blockchains... et 7 livres annonçant successivement l’avènement d’Internet, des blogs, des robots ou des crypto-monnaies.

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Commentaires (10)

LeToi
Plus il va être médiatisé, plus il sera utilisé par le grand public et moins par la « pègre »…
nicgrover
La CIA le dit, ou plutôt un ex-employé de la CIA le dit, alors on peut lui faire confiance…<br /> La CIA brille par sa franchise, son ouverture d’esprit et bien d’autres qualités que le commun des mortels ne possède pas…
keyplus
en meme temps c est les memes qui disent qu il n y vait pas d’ecoute par la nsa donc…
Brobok
Haha, je ne vois pas comment même même cet ex-agent pourrait, dans son champ de vision, avoir une mesure, même statistique, des activités criminelles financé par les cryptomonnaies, puisqu’elle sont, par définition, anonymes. C’est comme s’il pouvait nous prédire si un qbit est à 0 ou à 1; Encore faudrait il aussi savoir ce qu’il considère criminel: les détournement de fonds public (de Chine vers les états unis par exemple) ? La fraude fiscale (autre que d’américains) ? Le trafic de drogue centre-américain qui remplit les caisses de banques américaines ? La corruption ? Les mercenaires ?
lefranstalige
Sur le même principe, on ne peut donc pas dire que Bitcoin est essentiallement utilisé pour des activités criminels.<br /> Vous allez peut-être me dire que, le DarkWeb utilise les cryptos (Monero de plus en plus et Bitcoin de moins en moins) mais ça représente une infime partie de l’activité illégale.
tux.le.vrai
Ce n’est pas parce qu’un grand nombre de personnes se droguent (et pas seulement quelques narcotrafiquants qui la fabriquent) que la drogue n’est pas dangereuse.<br /> Article sans intérêt.
Kerri
Faire une comparaison avec la drogue reviendrait plutôt à dire: « 99% des drogues sont utilisées dans un cadre légal (médicinal,…). Seul 1% le sont dans un cadre illégal. »
iksarfighter
En tout cas les crapules qui en ont acheté pour leur business dès le départ on fait une jolie plus-value…
tux.le.vrai
d’accord pour ce sens mais l’idée est incomplête car elle ne met pas en avant le coté TOXIQUE des crypto monnaies telles que le bitoin
pecore
«&nbsp;un lobby visant à promouvoir l’adoption des crypto-monnaies&nbsp;» demande un rapport à «&nbsp;Une voix pour le moins crédible quand on évoque le financement du terrorisme, le crime organisé ou le blanchiment d’argent&nbsp;» et comme par hasard ce rapport ne va que dans le sens de son commanditaire et présente les blockchains et cryptomonnaies comme remède à tous les maux de la société. C’est crédible, franchement ?
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