Vidéos truquées de responsables américains, fausses aides gouvernementales, abonnements déguisés… Un rapport épingle les publicités politiques frauduleuses qui circulent sur Facebook malgré des règles supposément strictes. Et pendant que les arnaques prospèrent, Meta encaisse.

Cet été, un faux discours de la porte-parole de la Maison Blanche a promis un chèque d’aide de 5 000 dollars à des milliers d’internautes nord-américains. D’autres vidéos ont fait parler Bernie Sanders, Elizabeth Warren ou encore Donald Trump de programmes sociaux inexistants. Toutes ces annonces étaient payantes, validées par Facebook et Instagram, puis retirées bien plus tard pour cause de désinformation. D’après une enquête du Tech Transparency Project, une soixantaine des plus gros annonceurs politiques de la plateforme ont eu recours à des pratiques trompeuses ou frauduleuses, injectant collectivement des dizaines de millions de dollars dans la régie pub de Meta en sept ans. Entre modération et revenus, le géant du réseau social semble avoir choisi son camp.
Meta et les deepfakes politiques, une affaire rentable
Pour mener son enquête, le Tech Transparency Project s’est appuyé sur les données de la bibliothèque publicitaire de Meta, où sont archivées les annonces politiques depuis les ingérences russes dans l’élection américaine de 2016.
En épluchant les comptes des 300 plus gros annonceurs politiques et sociaux, les chercheurs ont identifié 63 acteurs ayant recours à des pratiques trompeuses. Au total, ces comptes ont diffusé un peu plus de 150 000 annonces depuis 2018, pour un budget cumulé d’environ 49 millions de dollars. Rien qu’entre le 3 avril et le 1ᵉʳ juillet 2025, au moins 45 d’entre eux ont encore investi plus de 18 millions de dollars dans des campagnes publicitaires sur Facebook et Instagram.
Dans le détail, il s’avère que ces publicités exploitent une actualité sociale souvent anxiogène et tirent parti de la confusion qui entoure les aides publiques et la Sécurité sociale pour capter l’attention de publics vulnérables, en particulier des personnes âgées. Elles mettent en scène des personnalités connues, comme Donald Trump, Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Alexandria Ocasio-Cortez ou encore Elon Musk, dans des vidéos générées ou retouchées grâce à l’IA. Le message promet des versements exceptionnels de plusieurs milliers de dollars ou des cartes permettant de payer des soins médicaux et des dépenses du quotidien, alors qu’aucun programme officiel de ce type n’existe.
Derrière ces annonces, on trouve grande surprise des réseaux publicitaires organisés, et particulièrement actifs. Sur la période de 90 jours étudiée par le TTP, End the Wokeness a investi plus de 2,3 millions de dollars et s’est hissé au deuxième rang des dépenses publicitaires politiques. Health Benefits for Seniors a consacré 902 890 dollars et figurait au 18ᵉ rang, Senior Health Daily USA 705 366 dollars pour se classer 32ᵉ, I Love My Freedom plus d’un demi-million de dollars au 45ᵉ rang et Relief Eligibility Center 141 368 dollars tout en restant dans le top 1 % des 21 899 annonceurs Meta diffusant des publicités sur les « questions sociales, politiques et électorales ».
Si l’on élargit la période d’observation, les montants grimpent encore : Senior Health Daily USA a déjà dépassé 1,3 million de dollars depuis sa création fin mai 2025, Freedom Asset Advocates a franchi 1,5 million avant d’être désactivé, et un ensemble de six comptes liés à Paradigm Press totalise à lui seul plus de 3,4 millions de dollars.

Entre business publicitaire et protection des internautes, Meta a tranché
Officiellement, Meta interdit les pratiques commerciales trompeuses et exige des annonceurs politiques qu’ils prouvent leur identité avec une pièce d’identité et une adresse américaine. Mais dans les faits, le TTP a déjà montré, dans une enquête menée en 2024, que des dizaines de pages politiques sur Facebook étaient administrées depuis l’étranger, notamment aux Philippines, au Vietnam et au Bangladesh, alors même que la plateforme prétend réserver cet espace aux acteurs basés aux États-Unis. L’analyse publiée en 2025 confirme que cette faille persiste : des comptes ont pu continuer à acheter de la visibilité en dehors du territoire nord-américain, sans fournir les preuves d’identité requises.
Si ces acteurs parviennent à se glisser dans l’écosystème publicitaire de Meta, c’est aussi parce que l’examen initial des annonces repose largement sur un système automatisé. Les publicités sont approuvées sans véritable contrôle humain et ne sont souvent retirées qu’après coup, lorsque des utilisateurs ou des chercheurs signalent des abus. Ainsi, parmi les 63 annonceurs trompeurs identifiés par le TTP, tous ont vu au moins une partie de leurs messages supprimés au cours des douze derniers mois. Pourtant, au 30 septembre 2025, près de la moitié – 30 exactement – continuaient à diffuser des campagnes sur Facebook et Instagram.
Meta assure avoir désactivé 35 comptes liés à ces réseaux, mais généralement après des dizaines, voire des centaines d’annonces déjà diffusées. Six de ces comptes avaient dépensé plus d’un million de dollars avant d’être fermés. Selon des documents internes cités par le Wall Street Journal, la plateforme tolèrerait même jusqu’à huit à 32 avertissements automatiques pour fraude financière avant de couper définitivement un compte publicitaire.
Une politique qui s’explique sans doute par l’importance des revenus générés : les campagnes sociopolitiques participent à un marché publicitaire qui a progressé de 22 % en 2024 chez Meta, pour dépasser les 160 milliards de dollars. D’anciens employés cités par le média affirment d’ailleurs que la direction hésite à bloquer les clients qui dépensent massivement, même lorsque leurs contenus enfreignent les règles, dénonçant un arbitrage assumé en faveur du chiffre d’affaires immédiat.
Cette permissivité commence toutefois à susciter des réactions. En juin dernier, la CNBC rapportait que 42 procureurs généraux américains avaient sommé Meta de mieux encadrer les publicités d’investissement trompeuses, pointant l’inefficacité de ses contrôles automatisés. Dans le même temps, comme l'a rappelé le New York Times, un juge fédéral de Californie a refusé de rejeter une plainte accusant Facebook de négligence pour n’avoir pas tenu sa promesse de lutter de bonne foi contre ces annonces frauduleuses. Une pression qui dépasse d’ailleurs le sol états-unien, alors qu’à Singapour, le gouvernement a donné à Meta jusqu’à la fin du mois pour retirer les contenus se faisant passer pour des responsables publics, sous peine d’une amende initiale de 770 000 dollars qui augmenterait chaque jour de retard.