Le yuan numérique est (pour l'instant) un échec : de mauvais augure pour l'euro numérique ?

Samir Rahmoune
Publié le 30 décembre 2022 à 10h05
© Millenius / Shutterstock
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En circulation depuis maintenant deux ans, le yuan numérique est pour le moment un échec en Chine.

Selon un ancien officiel de la Banque populaire de Chine, le e-yuan n'aurait pas encore rencontré son public au sein de l'Empire du Milieu.

Une circulation cumulée d'à peine 14 milliards de dollars

C'est pendant une conférence organisée en collaboration avec l'université Tsinghua sur la finance numérique qu'est intervenu Xie Ping, ancien haut fonctionnaire de la Banque centrale chinoise.

Dans ses propos rapportés par le média Caixin et dont l'agence Reuters se fait l'écho, le yuan numérique, mis à l'essai dans plusieurs villes et provinces du pays, est pour le moment boudé par la population. Les chiffres présentés montrent selon lui que « l'utilisation a été basse et très inefficace ».

« La circulation cumulée du yuan numérique au cours des deux années du procès n'a été que de 100 milliards de yuans (14 milliards de dollars) », a-t-il ajouté. Pas de quoi peser dans un pays dont le PIB s'élevait l'an dernier à 17 730 milliards de dollars.

Le terrain est déjà occupé par le liquide et les cartes bancaires

Il faut dire que l'horizon des moyens de paiement semble pour le moment bouché pour cet outil de transaction. Comme l'explique Xie Ping, « le liquide, les cartes bancaires et les mécanismes de paiement tiers en Chine [ndrl : comme Alipay] ont formé une structure de marché des paiements qui a répondu aux besoins de consommation quotidiens ».

Dans ces conditions, le e-yuan apparaît comme un objet assez superflu pour les consommateurs, le fruit d'une volonté politique hors-sol dont les bénéfices sont assez maigres. Les possibilités offertes par le yuan numérique sont en effet assez faibles.

Il n'offre ainsi que peu de services par rapport à un Alipay qui avait lui aussi fait irruption au milieu du duopole formé par le cash et la monnaie scripturale, et s'était fait une place en permettant à l'usager d'accéder à des services d'assurance, d'investissement ou de prêt à la consommation.

Remplacer le Bitcoin en Europe et en Chine

Les autorités européennes devraient analyser ce début difficile dans le détail. L'Union européenne veut en effet elle aussi, dans les années à venir, mettre sur le marché son propre euro numérique. Elle est motivée en ce sens, comme l'est Pékin, par l'essor des crypto-monnaies, qu'elle voit comme un rival illégitime à son monopole d'émission monétaire. Sont notamment dans son viseur les stablecoins tels que l'USDT ou l'UDSC.

Et comme on peut le lire dans l'un des documents produits par les instances de Bruxelles, il s'agira d'abord « de préserver le rôle de la monnaie publique comme point d’ancrage monétaire du système de paiement ».

Mais si la volonté de garder en main une compétence régalienne est compréhensible, il n'en reste pas moins que l'efficacité de l'outil sera corrélée à l'ampleur de son adoption. Or, comme on le voit avec l'exemple chinois, la monnaie numérique gouvernementale offre assez peu d'incitations et subsiste reléguée à l'arrière-fond du portefeuille national.

Une monnaie sans les avantages de la crypto ni de l'argent courant

Quand on regarde le détail, on comprend rapidement la réaction du public. La monnaie numérique, en tant que « crypto-monnaie étatique », s'appuie sur la blockchain. Comme pour toutes ces monnaies (à l'exception de projets tels que le Monero), il est techniquement possible de retracer l'ensemble des transactions effectuées par une unité, et par conséquent, de mettre à nu le propriétaire. C'est l'inverse donc du liquide, et cela reste même éloigné des monnaies scripturales, les banques étant légalement tenues au secret, hors demande expresse et limitée de la justice.

Si la question de la vie privée est importante, la monnaie numérique est aussi moins pratique que les moyens de paiement traditionnels. Elle ne peut ainsi pas être accumulée pour donner naissance à travers les intérêts à une rémunération. Pire, elle peut aussi, selon la volonté de l'institution d'émission, être programmée pour des utilisations bien précises (comme dans le cas d'aide sociale), ou même être dotée d'une date d'expiration après laquelle les unités non consommées par des transactions deviendraient inutilisables. Des écueils bien solides que l'Union européenne devra prendre en compte.

Samir Rahmoune
Par Samir Rahmoune

Journaliste tech, spécialisé dans l'impact des hautes technologies sur les relations internationales. Je suis passionné par toutes les nouveautés dans le domaine (Blockchain, IA, quantique...), les questions énergétiques, et l'astronomie. Souvent un pied en Asie, et toujours prêt à enfiler les gants.

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Iceslash

La monnaie numérique n’a que des limitations actuellement ! L’argent a-t-elle une odeur que le monde ne peut s’en passer?

lefranstalige

Excellente nouvelle!!!

Ces monnaies digitales « CBDC » sont un moyen de control de la population contre lequel il faut absolument résister.

Ceux qui y voient une alternative régulée à Bitcoin n’ont rien compris.

Avec les CBDC, les gens seront traqués comme jamais. C’est un super outil pour les gouvernements mais avec un prix à payer énorme en termes de libertés pour les gens.

D’ailleurs, je n’imagine pas que le passage d’une monnaie classique passe à sa version digitale par choix mais par la force, par l’obligation des pouvoirs en place.

Ceux qui estiment que la sécurité (illusoire) que ces CBDC pourrait donner en échange du bout de liberté qu’ils perdent en échangent devraient y réfléchir à deux fois.

1984 de G. Orwell est bien plus présent qu’on ne le pense!

a-snowboard

Parce qu’avec ta CB t’es pas traqué peut être ?

Parce qu’avec le bitcoin t’es pas traqué ? Il y a eu un article l’autre jour avec l’arrestation de certains de la mafia qui utilisé des cryptomonnaies…

Ce qui va faire la différente, c’est une indépendance justicière forte. Et des saisies/vérifications qui ne pourront se faire qu’avec l’accord de la justice.

g-m1n1

Jamais compris l’intérêt d’un e-Yuan ou e-€.

Neustrie

Bien sûr que l’on est traqué, mais c’est différent, avec une monnaie numérique, on est pieds et poings liés. Exemple, je refuse d’être vacciné (actualité récente), on ferme mon compte pour m’obliger à le faire, il y a plein d’autres exemples à donner, cet argent numérique sera contrôlé par l’état, il ne faut pas l’oublier, c’est notre liberté qui sera jetée à la poubelle.

toast

Avec le BTC tu es traqué, mais ce n’est pas le principal point ici.
BTC est non censurable, décentralisé et la politique monétaire est écrite, à terme déflationniste et quasi hors contrôle humain.
Avec les MNBC (ou CBDC), on passe au niveau supérieur en terme de contrôle :
Déjà, avec Tracfin, tu peux te voir un virement bloqué parce que suspicieux au regard du contrôle bancaire, et on parle de sommes pas délirante ici. Avec les MNBC, le contrôle peut passer au niveau des gouvernements et non des banques et un quidam peut se voir interdit de transférer son argent.
Les MNBC sont programmables et comme indiqué dans l’article on peut les cibler à un usage précis. Aide sociale, ok, mais uniquement si l’argent est destiné à un but précis (fini, les polémiques, souvent fausses, des allocation rentrée scolaire qui partent dans des TV 4K). Pas sûr qu’on apprécie.
Les banques centrales ont un contrôle complet de la politique monétaire et n’ont plus besoin de passer par les banques pour l’impression monétaire (ce qui passe par le crédit à l’heure actuelle). Elles peuvent faire tourner la planche à billet à volonté.
Le BTC n’a jamais eu pour objectif de masquer les transactions, mais bien de rendre le système monétaire indépendant de décisions humaines, changeantes et fluctuantes, et pas toujours dans l’intérêt de tous.

À mon sens, les MNBC sont loin d’être une bonne chose pour nous tous.

Werehog

Quand on pense au « problème » des allocations de rentrée qui ne sont pas utilisées pour leurs fins , je ne comprends pas qu’on n’ait toujours pas un système comme les tickets resto. Avec un ticket resto tu es relativement bien contrôlé dans son utilisation (alimentaire), c’est pas parfait mais ça limite les débordements. On pourrait très bien faire les allocations de rentrée comme ça par exemple. C’est à la portée informatique de n’importe quelle chaîne de magasins de contrôler qu’un produit peut être payé avec un bon bien précis.

Bombing_Basta

La monnaie numérique existe déjà, c’est quand on paye avec sa carte, son téléphone, par virement…

Y’a que du numérique dans ces cas là.

C’est complètement absurde de vouloir refaire la roue.

Tu m’étonnes que ça prend pas, c’est incompréhensible pour l’utilisateur.

lefranstalige

Les CBDC ne visent pas à remplacer ta CB mais ton cash… quant à Bitcoin, il y a l’aspect tracking mais l’aspect rejet de la transaction. Les CBDC permettront de definir les transactions qui seront acceptées ou non et même de saisir les fonds. Pas avec Bitcoin. En plus la couche transactionnelle de Bitcoin (Layer2 comme Lightning Network) rend la tracabilité beaucoup plus difficile.

lefranstalige

Tu ne comprends pas comment la monnaie fonctionne aujourd’hui, comment elle est créée, comment les banques fonctionnent pour gérer les flux d’argent ou comment fonctionne le système de recentrage des transactions par cartes . Ce n’ai pas grave mais je t’invite à essayer de comprendre.

Il y a bien une différence entre ton euro d’aujourd’hui et un « euro numérique ».

Ça demande du temps pour l’expliquer et je ne l’ai pas en ce moment. Mais Google pourra aider.