Taiyuan, troisième base de lancement chinoise… Et la mieux gardée ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
12 juin 2022 à 17h17
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Lancement d'hiver à Taiyuan pour une fusée CZ-2D. Crédits CASC
Lancement d'hiver à Taiyuan pour une fusée CZ-2D. Crédits CASC

Plus au Sud que le désert de Jiuquan, moins encaissé que les vallées de Xichang, le site de lancement de Taiyuan est le troisième site « historique » pour les fusées chinoises. Les décollages s'y enchainent à bonne cadence… mais dans le silence. Le site, très important pour les militaires, est sous bonne garde.

On n'y envoie pas que des fusées vers l'espace.

Un peu de place dans les collines

Niché dans une zone de moyenne montagne à 1 500 m d'altitude, le site de lancement de Taiyuan partage quelques caractéristiques avec les sites des Jeux olympiques d'hiver de 2022. Il y fait très froid en hiver, il y neige peu, et cette région du Shanxi chinois (à 300 km à l'Ouest de Pékin) n'est pas très passante. Elle est pourtant accessible via une voie de chemin de fer, aussi le site de Taiyuan génère rapidement un intérêt pour les militaires. D'abord, comme d'autres sites établis lors de la guerre froide, la base n'est pas à Taiyuan même : la cité est située à 180 km de là. Ensuite, géographiquement, c'est intéressant… pour les missiles balistiques. La Chine disposant en effet de centres technologiques et d'une grande concentration d'habitants à l'Est, les tests de missiles se font vers l'Ouest. Or depuis Jiuquan, qui est proche de la frontière, c'est compliqué. Il y aura donc une base à Taiyuan, d'autant que le site est dans un enchaînement de collines. La base est active en 1968.

Les vues satellites du site montrent peu de choses. Crédits N.A.
Les vues satellites du site montrent peu de choses. Crédits N.A.

Pour les lancements de satellites, on le sait, la Chine aura été lente à démarrer ses activités. Pour Taiyuan, longtemps elle n'en a même pas eu besoin ! Mais le site est bien placé pour les décollages à des orientations polaires. La Chine y enverra le tout premier satellite météorologique du pays, Fengyun-1A, pour inaugurer le site de lancement ZL-7, tout neuf (et son lanceur CZ-4A qui ne sera pas pérennisé). Un succès qui va faire lentement changer de visage le site de Taiyuan… Mais pas avant la fin des années 90. En effet, après deux décollages seulement de CZ-4A, le site ZL-7 est d'abord inactif. Puis il est modifié à partir de 1994, dans une optique commerciale.

Venez décoller (discrètement) à Taiyuan !

En effet, juste après la guerre froide, la Chine d'alors n'est pas mise au banc des autres nations spatiales. C'est même une entreprise américaine qui veut envoyer des satellites pour construire sa constellation globale de satellites de communication en orbite basse : Iridium ! Ce qui n'est alors que le troisième vol orbital depuis le site de Taiyuan a lieu le 1er septembre 1997, avec un nouveau lanceur, CZ-2C, équipé d'un petit étage supérieur à propulsion solide. Les vols s'enchaînent jusqu'à juin 1999, faisant connaître le site de Jiuquan à l'international, avec une excellente réputation puisque ce sont tous des succès. En 1999, une autre collaboration très importante décolle de Taiyuan : le satellite CBERS-1, conçu en partenariat avec le Brésil. Mais c'est la fin de la période faste des satellites commerciaux étrangers : les Etats-Unis sont en froid, Iridium a fait faillite, Taiyuan redevient calme… Du moins pour les fusées. La Chine y teste toujours ses missiles, y compris ses premiers exemplaires hypersoniques.

Il n'y a pas de "grande fusée" décollant depuis Taiyuan, comme les CZ-3, CZ-5 ou CZ-7 Crédits CGTN
Il n'y a pas de "grande fusée" décollant depuis Taiyuan, comme les CZ-3, CZ-5 ou CZ-7 Crédits CGTN

Du calme jusqu'à l'industrie

Entre 2000 et 2002, il n'y a pratiquement pas de décollages depuis Taiyuan. Comble de malchance, le dernier vol prévu pour la fusée suborbitale CZ-1D échoue. Mais la disette est bientôt terminée : l'ère des satellites d'observation et des ambitions scientifiques chinoises en orbite polaire débute, en même temps que le lanceur qui les enverra là-haut, CZ-4B. Au début des années 2000, les équipes sur place sont de plus en plus sollicitées pour des lancements spatiaux. Un, puis deux à trois tirs sont prévus chaque année, et les responsables identifient le besoin de changer de site de lancement pour une infrastructure plus souple d'emploi et plus moderne. Ils font donc construire au sein de la base, la zone de lancement 9 (ZL-9). Cette dernière est inaugurée en 2008 et prend quasi-immédiatement la relève, avec la capacité d'accueillir CZ-2C, CZ-4B et CZ-4C. Elle évoluera dans la décennie suivante pour accueillir le véritable « cheval de trait » du spatial chinois en orbite basse, CZ-2D, à partir de décembre 2016. Aujourd'hui, la base accueille entre 10 et 20 tirs vers l'orbite chaque année.

Depuis 30 ans, les lancements s'accumulent de plus en plus rapidement. Ici une CZ-2C. crédits CASC
Depuis 30 ans, les lancements s'accumulent de plus en plus rapidement. Ici une CZ-2C. crédits CASC

Silence radio

Il y a eu plusieurs échecs de vol depuis le site de Taiyuan, bien qu'aucun d'entre eux ne semble avoir détruit les infrastructures. Et à vrai dire, on n'en sait pas beaucoup plus : le site est très grand et très bien surveillé, et la communication y est réduite au strict minimum. Impossible, parfois, de savoir quel étage de la fusée n'a pas fonctionné. D'autre part, à cause de sa position géographique assez centrale en Chine, Taiyuan est un site qui participe à la réputation exécrable du pays en matière de sécurité des tirs, avec des étages de fusée retombant sur des routes, granges ou même de petites villes. Que les habitants reçoivent des lettres et des avertissements multiples pour évacuer les zones ne rend pas la perspective beaucoup plus attrayante. Néanmoins, c'est aussi depuis Taiyuan qu'ont eu lieu les premiers essais de fusées chinoises avec des grilles de stabilisation, utilisées après la séparation avec les étages supérieurs pour rentrer s'écraser sur une zone bien précise (et loin des habitants).

Comment sera le Taiyuan de demain ?

Les variantes des fusées CZ-2 et CZ-4 font partie d'une génération ancienne, qui n'a pas encore disparu mais qui sera éventuellement remplacée par de nouveaux modèles. Mais ces dernières années, il y a eu de grands efforts pour moderniser Taiyuan. Depuis 2015, le petit lanceur CZ-6 dispose d'un site de lancement dédié, et même de deux, puisqu'une nouvelle extension a été inaugurée début 2022 (le LZ-9A) avec la fusée CZ-6A (laquelle a peu en commun avec CZ-6… nous y reviendrons). Mais à Taiyuan, on a aussi vu… les camions. Mais si, les grands camions de l'entreprise Expace, qui transportent la fusée Kuaizhou-1A ! En décembre 2019, l'entreprise réussit d'ailleurs un record chinois en faisant décoller deux fusées identiques depuis Taiyuan, avec moins de six heures d'écart.

Décollage de CZ-6. La nouvelle génération tarde à s'imposer face aux anciennes fusées, même avec des infrastructures dédiées. crédits CASC
Décollage de CZ-6. La nouvelle génération tarde à s'imposer face aux anciennes fusées, même avec des infrastructures dédiées. crédits CASC

Dans un avenir proche, le site de Taiyuan devrait garder une place prépondérante dans le paysage des décollages chinois vers l'orbite. Il s'agit toujours d'une base de tests pour missiles, et l'Etat investit pour baser sur place de futures générations de lanceurs réutilisables. Une recette qui marche…

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (10)

kanda
Merci Eric, encore un article super intéressant
nicgrover
Qui dit Chine dit Dictature Militaire. Peu de place pour l’expression et les libertés fondamentales… Ils dominent déjà le monde économiquement alors pourquoi pas dominer l’espace… Et ses ressources très bientôt…
nap1805
Bravo!!
Martin_Penwald
Ils dominent déjà le monde économiquement<br /> Et ce grâce aux joyeux capitalistes américains et européens qui ont délocalisé en masse là-bas. Les mêmes qui se plaignent que les Chinois viennent leur piquer leurs secrets industriels. ’fallait y penser avant, les enfants …
Kriz4liD
Ce ne sont plus les USA ceux qui dominent le monde économique ??
Martin_Penwald
De moins en moins. Et les idioties de Trump n’ont rien arrangé.
protopixel
ça c’est la version qui nous arrange et les USA (ou autres) sont pas mieux dans ce domaine qu’il s’agisse d’espionnage industriel ou de rachat technologique via la planche à billets « virtuelle » ,<br /> Une autre réalité c’est que la Chine a déjà dépassée les USA en demande de brevets par an et que dans le top 5 mondial des pays avec la population avec la meilleure moyenne de Qi , il y a 5 pays asiatiques dont la Chine.
Goodbye
Heureusement que 'est pas le QI qui définit la puissante / réussite d’un pays.<br /> Sinon tout le monde ici semble oublier la réserve de change que les Chinois ont en dollars, 3 119,700 de milliards de dollars.<br /> Pour faire simple :<br /> Non il ne domine pas encore le monde économiquement, ils ont juste un gros poids.<br /> fr.wikipedia.org<br /> Réserves de change<br /> Pages pour les contributeurs déconnectés en savoir plus<br /> Sommaire Pour les articles homonymes, voir Réserve.<br /> Les réserves de change sont des avoirs en devises étrangères et en or détenues par une banque centrale. Elles prennent généralement la forme de bons et obligations du Trésor d'États étrangers, ce qui permet à ces réserves de rapporter un intérêt. Elles sont utilisées par les autorités monétaires pour réguler les taux de change.<br />
protopixel
je n’ai jamais dit le contraire mais les chinois sont parmis les meilleurs etudiants dans le monde y compris même au sein des universités americaines donc dire qu’ils ne font que copier , voler ou ce genre de discours du siecle dernier va devenir de plus en plus intenable…<br /> Et pour le reste au niveau économique , si tu ajoutes la dette publique et privée des americains , la Chine est un mastodonte , certains vont presque à dire que les americains pourraient vendre leur pays tout entier à la chine qu’ils auront toujours une dette.
SplendoRage
Au 19e et 20e siècle, les scientifiques étaient considérés comme des rock star aux USA et en Europe. Les plus grand scientifiques du monde étaient d’origine allemande, britannique, française …<br /> Alors qu’aujourd’hui on s’extasie devant des Arianna Grande, Lady Gaga et autres Justin Bieber et Beyonce, les scientifiques restent dans l’ombre tandis que les nouvelles stars sont des influenceurs insta et twitch …<br /> On a que ce que l’on mérite !!<br /> Et le premier qui me sort qu’Elon Musk est le Rony Stark, je lui fais bouffer tous les comics Iron Man et Avengers depuis le numéro 1 jusqu’à nos jours !! … Dans les comics, Stark est un inventeur de génie. Musk est juste un affabulateur avec un gros porte monnaie …<br /> Aujourd’hui on nous prend la tête avec l’énergie solaire et éolien et pendant que la Chine, elle, va mettre en route son premier réacteur a sel fondu au Thorium, nous on regarde sans rien faire …
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