Alors que de nombreuses institutions en sont encore au stade des projections, la Cour de cassation a déjà fait le grand saut. Deux systèmes d'intelligence artificielle fonctionnent quotidiennement au service de la plus haute juridiction française.

Pendant que le monde s'interroge sur les applications futures de ChatGPT dans nos sociétés, la Cour de cassation manie discrètement l'IA depuis plusieurs années. Son rapport « Préparer la Cour de demain » publié cette semaine, qui montre déjà comment l'intelligence artificielle va assister les tribunaux et magistrats à vitesse grand V, révèle aussi l'existence de deux outils développés en interne qui traitent silencieusement des milliers de documents judiciaires. Une petite révolution qui préfigure l'avenir de notre justice.
La pseudonymisation automatique, déjà dans le process de la Cour de cassation
L'open data judiciaire est un défi pris très au sérieux par la Cour de cassation, qui entend alimenter à raison d'un million de décisions sa base de données Judilibre, tout en protégeant les données personnelles des justiciables. Pour y parvenir, la Cour a conçu dès 2019 un système d'IA capable d'identifier et d'occulter automatiquement les noms, adresses et autres informations sensibles dans les jugements avant leur publication.
L'algorithme, fruit du travail d'une équipe interne de data scientists, repose sur deux modèles complémentaires. Il y a, d'un côté, un algorithme de reconnaissance des entités nommées (NER) qui identifie les éléments à occulter, et de l'autre, un second modèle qui a modélisé le langage des décisions de justice françaises. L'algorithme traite chaque décision en 4 secondes précisément, là où sur un ordinateur personnel l'opération nécessiterait 50 minutes.
Une équipe d'annotateurs humains, actuellement composée de 20 personnes, supervise le processus, pour garantir la qualité et l'amélioration continue de l'outil. Un second algorithme dit « de fiabilité » a été mis en service l'an dernier pour signaler automatiquement les décisions qui nécessitent une vérification humaine. Le système s'adapte ainsi aux évolutions du langage juridique grâce à des « réentraînements » réguliers.
Un algorithme qui trie 13 500 affaires judiciaires avec 90% de précision
Depuis 2020, un second système d'IA œuvre dans l'ombre pour optimiser le traitement des 13 500 affaires annuelles dont est saisie la Cour. L'algorithme analyse les mémoires ampliatifs transmis par les avocats aux Conseils sous forme de fichiers PDF et les oriente automatiquement vers les chambres compétentes à l'aide d'une liste de codes matières.
La prouesse repose sur le caractère structuré des mémoires ampliatifs et le stock de mémoires déjà orientés. Ils permettent d'identifier des zones d'intérêt dans le texte. Avec un taux de succès remarquable de 90%, ce système a considérablement simplifié et allégé la tâche du Service de documentation, des études et du rapport (SDER) en matière d'orientation. De quoi libérer un temps précieux pour les juristes et magistrats.
L'humain reste en tout cas au centre du processus. Les orientations proposées par l'IA sont systématiquement vérifiées par les juristes des bureaux « miroirs » du SDER. Et le modèle s'améliore qui plus est constamment grâce à un processus d'apprentissage supervisé, qui confronte ses résultats à l'analyse des agents et magistrats orientateurs.