Résister au vide spatial, survivre à l'ébullition ou au gel extrême : les tardigrades défient les lois de la biologie. Aujourd'hui, leur robustesse exceptionnelle pourrait permettre d'explorer une frontière inédite : intégrer la nanofabrication dans des organismes vivants.

Les tardigrades, aussi appelés « oursons d’eau », sont de minuscules (et assez mignons) animaux mesurant moins d’un millimètre, connus pour leur extrême résistance. Lorsqu'ils sont exposés à des conditions hostiles, ils peuvent entrer en cryptobiose : un état où leur métabolisme est suspendu, leur permettant de survivre à des températures extrêmes, au vide spatial ou à de fortes doses de radiation.
Cette capacité ; dans laquelle ils excellent parmi le règne animal ; en fait des candidats idéaux pour tester de nouvelles méthodes de nanofabrication qui serviront à la conception de dispositifs de pointe. Pour cela, une équipe dirigée par Ding Zhao, de l’Université technique du Danemark, a adapté sur eux une technique appelée lithographie sur glace. Cela leur a permis de graver des tatouages sur ces petites bestioles à l'échelle nanométrique. Leur étude a été publiée le 31 mars dans la revue Nano Letters.
Un animal exceptionnel pour tester les limites de la nanofabrication
Le principe repose sur le dépôt d'une très fine couche d'anisole (un composé organique) sur un échantillon refroidi à -143° C. Sous l'effet d'un faisceau d’électrons, l’anisole réagit et forme un motif stable sans exposer directement la surface au faisceau, limitant ainsi les dommages.

En appliquant cette méthode à des tardigrades placés dans un état de cryptobiose, les chercheurs ont pu graver des motifs d’une finesse de 72 nanomètres ; pour comparaison, un cheveu humain mesure entre 80 000 et 100 000 nanomètres de large. Après la procédure, les tardigrades ont été réhydratés pour tenter leur réveil. 40 % d'entre eux ont survécu, arborant toujours leur microtatouage intact malgré des manipulations comme l'étirement ou le rinçage.
Graver le vivant : un premier pas vers des dispositifs biologiques intégrés
Pouvoir dessiner des motifs à l’échelle nanométrique directement sur un organisme vivant, sans le détruire, est un pas en avant gigantesque, qui servira grandement plusieurs domaines de recherche.
À terme, il sera peut-être possible d'utiliser cette technique pour concevoir des capteurs directement intégrés dans le vivant, des dispositifs inspirés du fonctionnement biologique, ou même des systèmes hybrides combinant cellules et composants technologiques, comme des nanorobots.
Toutefois, les auteurs de l’étude insistent : ces premiers résultats doivent être interprétés avec prudence. Les tardigrades sont des animaux à part ; d'une résilience absolument ahurissante. Ce protocole est violent d'un point de vue biologique ; il implique un refroidissement à -143 °C et une exposition au vide. Ces deux seuls éléments le rendent complètement incompatibles avec la majorité des entités biologiques terrestres.
L’intérêt de l’expérience réside cependant son aspect purement technique et scientifique. On sait désormais qu'il est possible d’appliquer une méthode de gravure extrêmement précise sur un support biologique tout en conservant, au moins partiellement, sa viabilité.
Il faut le considérer comme un point de départ. Il servira à envisager, à plus long terme, l’intégration contrôlée de matériaux ou de structures fonctionnelles à l’intérieur d’organismes vivants – avec des applications potentielles en médecine ou en biologie synthétique.
Ce travail ne préfigure pas encore des applications concrètes, mais il balise au moins une possibilité technique. Pour la première fois, cette technique de lithographie sur glace a été appliquée avec succès à des organismes vivants tout en les préservant : une victoire largement suffisante pour celles et ceux qui cherchent à conjuguer le vivant et le synthétique.
Source : Science Alert