Bruno Duchemin, VDL : "les technologies de téléphonie ne sont pas adaptées pour recevoir un programm

06 juillet 2004 à 00h00
0
A l'heure du lancement de la TNT, Bruno DUCHEMIN de VDL présente le DAB, une technologie conçue pour la radio capable également de véhiculer de la vidéo

JB - Bruno Duchemin, bonjour. En quelques mots, pourriez vous présenter votre parcours personnel et votre société ?

BD - VDL est née en 1999 de la fusion de deux équipes : une équipe d' "anciens" de la radiodiffusion analogique, que j'avais constituée en 1984 pour répondre aux besoins de diffusion des radios locales commerciales ou associatives, et une équipe "plus jeune" passionnée de radio et d'informatique. L'objectif était alors d'unir nos compétences pour créer le diffuseur numérique indépendant qui manquait au paysage radiophonique français, aux côtés des deux acteurs de poids que sont TDF, filiale de France Télécom et Towercast, filiale de NRJ. Ce positionnement a semblé intéressant au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, puisque VDL a été autorisée à diffuser un multiplexe numérique de radios, à Lyon d'abord, puis à Paris, sous le régime de la loi d'expérimentation, seul cadre juridique disponible jusqu'à présent.

Aujourd'hui, le temps des expérimentations semble révolu : le Parlement vient de voter, dans le cadre du "paquet télécom", les dispositions pérennes élaborées sous l'égide de la Direction du Développement des Médias et du CSA, après une large concertation débutée l'été dernier. Le dispositif retenu est adapté aux caractéristiques de la radio numérique - en particulier la naissance du concept de multiplexe regroupant sur une seule fréquence plusieurs services radiophoniques - et comporte quelques dispositions incitatives qui ne devraient pas laisser les opérateurs indifférents : allongement de la durée des autorisations numériques - 10 ans renouvelables 2 fois 5 ans, soit un total de 20 ans contre 15 ans pour l'analogique -, prolongation de 5 ans de l'autorisation analogique lors de l'obtention de l'autorisation numérique, modulation du seuil anticoncentration, ... Tout est donc en place pour que le CSA, après une consultation préalable des acteurs concernés, lance les appels aux candidatures et fournisse ainsi un premier élément de réponse à la problématique de pénurie de fréquences qui " parasite", si l'on peut dire, la bande FM depuis des années. Le défi est d'autant plus excitant que les caractéristiques techniques de la radio numérique autorisent enfin le déploiement de réseaux en isofréquence (Single Frequency Network ), ce qui va permettre très facilement à l'autorité de tutelle de solliciter les candidats pour la diffusion de programmes sur trois niveaux géographique, national, régional et local. Nos premières études techniques montrent que les fréquences nécessaires, en bande III et en bande L, sont disponibles, et que l'on pourrait, sans trop de difficultés, constituer en France un paysage numérique formé de trois multiplexes nationaux, deux régionaux et deux locaux, soit, sur la base de huit à dix radios par multiplexe, une offre de plus de soixante programmes propre à satisfaire l'auditeur le plus exigeant !

VDL a bien l'intention de jouer pleinement son rôle dans ce déploiement de la radio numérique en France, et de contribuer ainsi à un succès comparable à celui enregistré par nos voisins britanniques : une couverture de 85% de la population, plus de 350 programmes diffusés, dont la moitié exclusivement disponibles en numérique, 500.000 postes vendus à fin 2003 et plus d'un million prévu pour cette année.

Parallèlement à cette activité de diffuseur de la radio numérique, nous avons développé en interne nos propres matériels de multiplexage. Au cœur de la chaîne numérique, ces multiplexeurs assurent le regroupement des différents programmes radiophoniques numérisés et des données qui leur sont ou non associés, et alimentent l'émetteur avec un flux unique standardisé pour la diffusion de l'ensemble des services sur une fréquence unique. Face à quatre concurrents étrangers très " industriels " - l'américain Harris, le suédois Factum, l'anglais Radioscape et l'allemand Rhode & Schwartz -, nous sommes ainsi le seul opérateur de la radio numérique qui disposons de nos propres équipements de multiplexage. Nos clients asiatiques et européens, qui font le même métier de base que nous, apprécient notre approche pragmatique, simple et conviviale d'une problématique que nous connaissons bien : nous sommes notre premier client !

L'option "logicielle" que nous avons retenue pour ces équipements nous permet aussi de les faire évoluer rapidement et, le cas échéant, de les adapter aux besoins spécifiques des utilisateurs. Cette souplesse nous a permis par exemple de répondre à la demande des opérateurs de Corée du Sud qui recherchaient une solution pour diffuser, à l'aide d'une technologie "radio", des programmes de télévision à destination de récepteurs mobiles ou de téléphones portables.

JB - Orange et SFR proposent de nouveaux bouquets audiovisuels sur GPRS et UMTS. Mais ces technologies vous semblent-elles adaptées aux usages des mobinautes ?

BD - Ces technologies semblent en tout cas apporter une réponse immédiate à une réelle attente des utilisateurs, surtout dans les tranches d'âge les plus jeunes ; le Japon ou la Corée du Sud en font une démonstration convaincante, et ce depuis plusieurs mois.

La vraie question serait plutôt la suivante : ces technologies sont-elles adaptées au budget des mobinautes ? Les technologies de téléphonie restent, quoiqu'on en dise, du domaine du point-à-point, contrairement à la vocation de point-à-multipoint prise en charge par tout ce qui relève du "broadcast". Une étude menée par Nordini et le Forum WorldDAB avait montré, il y a quelque temps, que du strict point de vue économique la réception "broadcast" d'un clip vidéo prenait le pas sur une réception GPRS à partir de 63 utilisateurs.

Il est certain que dès que l'on envisage de recevoir sur son téléphone mobile un programme vidéo un peu conséquent - un film, ou une émission de télévision en direct, par exemple - les technologies de téléphonie ne sont plus adaptées ; il faut alors envisager des technologies du type diffusion-réception. C'est à cette problématique que veut répondre à terme le DVB-H, et que peut répondre, plus vite et plus économiquement, le DMB "over DAB". Finalement, on dispose d'une double réponse aux attentes des utilisateurs : "video on demand" payante sur les technologies de téléphonie, "live video" gratuite ou par abonnement sur les technologies de radiodiffusion.

JB - On parle de plus en plus de TNT en particulier de TNT mobile avec le standard DVB-H soutenu par Nokia. Quelle est votre position sur le sujet ?

BD - Il est vrai que la télévision numérique de terre (TNT), dont on parle beaucoup en ce moment puisque le CSA en prépare activement le démarrage, n'est pas adaptée à la réception en mobile. Elle n'a d'ailleurs pas été conçue pour cela, puisque son "cahier des charges" était simplement d'assurer, pour la télévision telle que nous la connaissons, une mutation technologique étendant le principe de la numérisation du signal à sa diffusion par voie terrestre. Les difficultés techniques et les coûts économiques d'une réception mobile du DVB-T, comme on l'appelle, ont conduit au développement d'un nouveau standard spécifiquement adapté à cette utilisation, le DVB-H (H pour "handheld").

Le DVB-H est bien entendu satisfaisant sur le plan de la réception mobile, puisqu'il a été conçu pour cela. Subsistent encore quelques interrogations techniques au niveau des récepteurs spécifiques qui restent à finaliser et qui devront répondre à un double défi de compacité et de consommation, puisque ils sont destinés à être intégrés dans des appareils portables tels que les téléphones cellulaires ou les PDA. Pour l'instant, nous n'avons pas encore vu de prototypes dignes de ce nom ; attendons donc la fin de l'année 2005, puisque c'est à cet horizon un peu lointain que sont annoncés des récepteurs commercialisables.

Des pays comme la Corée du Sud ont fait un choix différent, et, d'une certaine façon, logique. Pour la diffusion terrestre de programmes de télévision à destination des mobiles, ils ont recherché une technologie conçue dès l'origine pour cet usage. L'écoute "nomade" de la radio, en voiture essentiellement , représente un mode important de consommation de ce médium par les auditeurs. C'était donc une composante essentielle du cahier des charges du standard DAB Euréka 147 retenu pour la numérisation de la diffusion des radios. Le DAB permet aussi la diffusion de données numériques de toute sorte ; pourquoi ne pourrait-on pas diffuser ainsi des flux vidéo ? Poussant au bout ce raisonnement, et avec la volonté politique et économique qu'on lui connaît, la Corée du Sud s'apprête à délivrer des licences pour six programmes de télévision mobile, qui seront mis en onde et exploités commercialement à la fin de cette année. Bien entendu, les récepteurs adaptés seront disponibles dans le même temps car les grands coréens du secteur des biens de consommation électroniques, tels que Samsung ou LG, n'ont pas l'intention de laisser échapper l'opportunité d'occuper une place de choix sur un marché dont le potentiel leur paraît vertigineux ! A charge bien sûr pour leur gouvernement d'obtenir le statut de standard mondial pour cette application inattendue de la radio numérique...

JB - Quelles sont les barrières commerciales, juridiques ou techniques pour le développement de ces technologies ?

BD - Très brièvement, il n'y a pas de barrières insurmontables en la matière. Sur le plan commercial, et dans le contexte technique qui sera retenu, il faut que les opérateurs de service définissent le modèle d'affaires qui leur convient, et qui convient à leurs clients potentiels. Ces modèles sont différents selon qu'on est dans un contexte de téléphonie point-à-point ou de diffusion point-à-multipoint. Le choix est vaste et il va falloir parfois innover : gratuité, c'est-à-dire financement par les annonceurs, abonnement, prix à l'unité, à la durée ou au volume, e-commerce, ...

Sur le plan juridique, là encore, selon les technologies concernées, on relève de l'ART (téléphonie) ou du CSA (radiodiffusion). Mais aujourd'hui, dans tous les cas, le cadre légal et réglementaire est disponible.

Sur le plan technique, enfin, il n'y a pas de barrières, il n'y a que des progrès à accomplir ! Pour ce qui est des technologies de diffusion de télévision mobile, il nous apparaît que le DMB est davantage mature que les autres et qu'il offre des réponses satisfaisantes à court terme.

JB - Quel serait le modèle économique pour le DAB/DMB ou le DVB-H ? Audiovisuel à péage sur le modèle Canal+ ou produit d'appel pour vendre des services interactifs sur GPRS ou UMTS ?

BD - Ce n'est pas une question que nous nous posons directement : nous ne sommes que les fournisseurs du "tuyau", en tant que diffuseur, ou du matériel, à travers nos multiplexeurs. La définition et le choix du modèle d'affaires appartient à nos clients. Nous pouvons simplement rapporter ce que nous constatons en Corée du Sud dans les applications du DMB qui vont être déployées commercialement à la fin de cette année : les opérateurs du DMB satellitaire ont fait le choix d'un audiovisuel à péage, qui est peut-être la seule façon de rentabiliser un investissement relativement lourd (le lancement du satellite lui-même, et vraisemblablement l'installation de répéteurs terrestres indispensables). Pour le DMB terrestre, l'opérateur public a clairement indiqué qu'il ne concevait pas que son service de diffusion de télévision mobile soit payé par l'utilisateur ; on retrouvera donc un modèle classique de financement des programmes par le sponsoring et les annonces publicitaires, avec le plus notable apporté par l'interactivité DMB-CDMA. Les autres opérateurs terrestres, qui ne sont d'ailleurs pas tous choisis, ne se sont pas encore prononcés.

JB - Souhaitez vous ajouter quelque chose ?

BD - Je crois que j'ai déjà abusé de votre temps !

JB - Bruno Duchemin, je vous remercie.
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ? Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
google-news

A découvrir en vidéo

Haut de page