Sous la glace du Svalbard, des films photo stockent des œuvres, des codes, des archives. Un bunker de données construit pour durer des siècles, loin des conflits et de l’obsolescence.

Au sein de cette petite bourgade norvégienne se cache l'Arctic Wolrd Archive - ©Angela N Perryman / Shutterstock
Au sein de cette petite bourgade norvégienne se cache l'Arctic Wolrd Archive - ©Angela N Perryman / Shutterstock
L'info en 3 points
  • Le Svalbard abrite l'Arctic World Archive, un coffre-fort sous-glaciaire préservant des œuvres numériques sur films photo.
  • Les films résistent au temps, et à différentes conditions ; conservation parfaite sans électricité ni logiciels spécifiques.
  • GitHub et d'autres déposent leurs archives pour éviter l'obsolescence numérique, assurant la pérennité des données.

Dans une ancienne mine de charbon creusée à flanc de montagne, tout près du cercle polaire, un conteneur métallique contient des copies numériques de monuments, de livres rares, de langages en danger et même de logiciels open source.

Le site, bien nommé Arctic World Archive, fonctionne depuis 2017 et reçoit des dépôts de données trois fois par an. L’idée est de préserver sur film analogique ce que les disques durs et les serveurs risquent de perdre avec le temps, les attaques ou l’évolution technologique. Et faire de ce refuge souterrain un coffre-fort durable, où l’information restera lisible dans un futur lointain, même sans électricité.

Un climat stable, une montagne creuse, et des bobines d’archives sous clé

Il faut marcher plusieurs centaines de mètres dans un tunnel obscur pour atteindre la porte blindée du dépôt. Des rails rouillés marquent encore le passage des wagonnets de l’époque où la mine était en activité. La température ne dépasse jamais zéro degré. L’air reste sec. « Ce sont des conditions idéales pour conserver les films pendant des siècles », explique Rune Bjerkestrand, fondateur de la société norvégienne Piql, qui gère le site. À ses yeux, le Svalbard est l’un des endroits les plus sûrs au monde. « C’est loin de tout. Loin des guerres, du terrorisme, des catastrophes naturelles ».

À l’intérieur du bunker, des étagères en métal accueillent des bobines soigneusement empaquetées. Les clients, institutions ou entreprises, paient pour transférer leurs fichiers sur un support photosensible, avant de les faire archiver ici. Plus d’une centaine de dépôts ont déjà été réalisés, venus d’une trentaine de pays.

Parmi les documents déjà conservés, on trouve des modèles 3D du Taj Mahal, des pages manuscrites de la bibliothèque du Vatican, des images satellites de la Terre, ou encore une reproduction numérique du tableau « Le Cri », d’Edvard Munch. Récemment, des enregistrements de langues en voie de disparition et des partitions de Chopin sont venus enrichir la collection. Le photographe Christian Clauwers a également confié des clichés des îles Marshall, menacées par la montée des eaux. « Ce sont des témoins visuels de territoires qui risquent de disparaître ».

Il faut marcher plusieurs centaines de mètres dans un tunnel obscur pour atteindre la porte blindée du dépôt - ©AWA
Il faut marcher plusieurs centaines de mètres dans un tunnel obscur pour atteindre la porte blindée du dépôt - ©AWA

Préserver le code source et éviter l’oubli numérique

Les films utilisés dans l’Arctic World Archive ne sont pas lisibles à l’œil nu. Chacun contient une série d’images microscopiques, créées à partir de la suite de bits de chaque fichier. À l’échelle d’une trame, huit millions de pixels forment un motif qui évoque des QR codes ultra-condensés. « Les informations sont codées comme des images. On peut les lire sans logiciel spécifique, simplement avec un scanner optique », détaille Alexey Mantsev, développeur chez Piql.

Dans le fond de la chambre, une boîte métallique plus imposante attire l’attention. C’est le « Code Vault » de GitHub, qui contient les versions archivées de tous les dépôts publics de sa plateforme, y compris les langages de programmation, les bibliothèques, les outils d’IA. Kyle Daigle, directeur des opérations chez GitHub, résume : « Il est extrêmement important pour l’humanité de garantir l’avenir des logiciels  ».

Car l’oubli numérique n’est pas un scénario théorique. Beaucoup de formats deviennent rapidement illisibles. Des disquettes aux CD-Roms, en passant par les formats propriétaires, les exemples abondent. Joanne Shortland, archiviste chez Jaguar Daimler Heritage Trust, a déposé des documents techniques liés à l’histoire de la marque. Elle le constate au quotidien : « Il faut sans arrêt migrer les formats pour rester compatibles. C’est épuisant ».

Le film analogique utilisé ici ne subit pas ce risque. Il ne s’efface pas, ne peut pas être modifié, et reste lisible tant qu’on dispose d’un guide de lecture, également imprimé dessus. Le principe est de rendre le contenu accessible même dans plusieurs siècles, y compris si les outils numériques ont disparu. Pas besoin d’électricité. Pas besoin de logiciels.

Mais d'autres testent aussi leurs propres solutions. Microsoft, par exemple, développe une méthode d’archivage sur verre. Des chercheurs de Southampton ont créé un support optique « 5D » capable de stocker un enregistrement du génome humain dans un minuscule cristal. Mais ces innovations n’en sont encore qu’au stade expérimental. Le film, lui, a déjà plusieurs décennies d’usage derrière lui.

Les prochaines livraisons au bunker du Svalbard sont déjà prévues. Certaines contiendront des journaux nationaux, d’autres des archives culturelles. L’idée reste la même. Placer, loin du tumulte, des fragments de mémoire collective, sur un support qui résiste au temps.

Source : BBC, AWA