Quantum Break : entre jeu vidéo et série télé, la déroutante expérience de Remedy

01 avril 2016 à 10h18
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Après Max Payne et Alan Wake, le studio Remedy remet le couvert avec Quantum Break, exclusivité Microsoft qui allie jeu et série télé, pour une expérience déroutante et un peu frustrante, dont on aimerait voir bien plus.

Prévu pour le 5 avril prochain sur Xbox One et Windows 10, Quantum Break, le nouveau jeu longuement développé - et donc très attendu - du studio finlandais Remedy Entertainment s'est révélé à nous en long, en large et en travers. Après deux runs du jeu sur Xbox One, l'expérience est désormais digérée. Mais de multiples questions se posent encore : faut-il critiquer Quantum Break comme un jeu vidéo, ce qu'il est fondamentalement lorsqu'on a le pad en main, ou comme une série télé, dont le jeu emprunte les codes de mise en scène, mais aussi une partie non négligeable de l'expérience narrative ?

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Car Quantum Break est assurément une expérience à part. Le titre propose de suivre l'aventure de Jack Joyce - incarné par l'acteur Shawn Ashmore - qui assiste impuissant à l'expérience temporelle ratée de son meilleur ami Paul Selene (Aiden Gillen). Non seulement l'expérience en question détraque le temps au point de condamner le monde à se retrouver figé pour l'éternité, mais elle donne également à Jack et à Paul le pouvoir de le contrôler. Jack est persuadé de pouvoir stopper la fin du temps, tandis que Paul, rendu fou par la situation, est quant à lui certain que rien ne pourra changer l'inéluctable. Les deux hommes vont donc s'opposer à travers une sorte de techno-thriller aux multiples rebondissements.

Jeu et film, tout se mélange

Une intrigue qui pourrait aussi bien résumer un film ou une série, et c'est là l'un des objectifs de Quantum Break : miser à fond sur les dimensions cinématographiques. Sam Lake, le producteur exécutif du jeu, nous l'expliquait lors d'une interview en février dernier :

« Quantum Break est le prolongement de ce que l'on a commencé avec Max Payne, qui incluait dès le début des éléments de sérialité. C'est quelque chose qu'on a continué à développer dans Alan Wake. Dans Max Payne, on trouvait des écrans figés avec une voix-off tandis que pour Alan Wake, on est allé plus loin, en filmant des séquences. Dans American Nightmare, nous sommes allés encore plus loin en tournant des scènes avec des acteurs pour certaines cinématiques.

Nous sommes allés davantage en profondeur sur
Quantum Break. Nous avons désormais des personnages cross-over, qui vivent à travers les deux formes de médias, le jeu vidéo et la série télé. Certains environnements existent à la fois dans le jeu et dans la série et même si on voit parfois une même scène dans les deux, il y a des différences. » Notre interview de Sam Lake est disponible en intégralité en page 5 de ce dossier.

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C'est ainsi que, dans Quantum Break, chaque chapitre du jeu se conclut par un épisode d'une vingtaine de minutes, filmé avec les acteurs que l'on contrôle ou pas dans la partie jouée. La teneur de l'épisode dépend des choix réalisés dans le chapitre, et les codes de réalisation sont clairement ceux d'une série. Le jeu, la série, tout se mélange pour donner un tout qui se veut cohérent. Mais l'est-il vraiment ? C'est là toute la question à laquelle nous cherchons à répondre dans ces pages.

Dans ce dossier, nous vous proposons une analyse de la construction du jeu, mais également, en guise de complément, des interviews de Sam Lake, producteur executif au sein du studio Remedy Entertainment, de l'acteur Shawn Ashmore qui incarne le héros Jack Joyce, et enfin, de Greg Louden, le designer narratif du jeu, qui est l'un des principaux artisans de cette expérience transmédias. Des entretiens qui s'avèrent complémentaires, et permettent de mieux cerner la manière dont l'expérience Quantum Break a été conçue au global : car ce qui est certain, c'est que c'est l'emboîtement de l'ensemble qui permet de réellement cerner la portée de ce jeu.

Un gameplay intéressant...

Commençons par ce qui intéresse forcément en premier dans un jeu : son gameplay. Celui de Quantum Break mélange combats, exploration et plateforme, le tout étant conditionné par les pouvoirs temporels de Jack Joyce. Ceux-ci se déclinent en plusieurs propositions : la possibilité d'accélérer ou ralentir le temps, de se protéger des ennemis avec un bouclier temporel, de les figer un court instant, ou encore, de voir à travers les murs (un peu sans rapport avec le reste). Des pouvoirs utiles durant les combats, même si ce sont finalement les traditionnelles armes à feu qui viennent à bout des ennemis.

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Un combat réussi s'avère être la somme des deux : une bonne gestion des armes à feu, combinée à une maîtrise des pouvoirs qui gagnent en puissance tout au long du jeu, permet de sortir des nombreux gunfights sans trop de problème. Il en va de même pour les phases de plateforme : Jack doit évoluer dans un environnement au temps détraqué, où les « bugs temporels » nécessitent une utilisation des pouvoirs avec un timing précis pour traverser les zones sans encombres.

... mais pas vraiment original

Les joueurs ayant déjà touché aux précédents jeux de Remedy ne sont pas vraiment déroutés par le gameplay, qui s'avère finalement être la somme de ce que proposait Max Payne et Alan Wake. La première fois que l'on voit Jack plonger sur le côté au ralenti, tout en tirant sur un ennemi, on pense forcément au fameux bullet time devenu un classique depuis le premier Max Payne. Quant à Alan Wake, on le retrouve dans la combinaison des pouvoirs et des armes à feu : l'écrivain devait, de son côté, composer avec la lampe de poche capable de ralentir ses ennemis, tandis que son pistolet était essentiel pour les achever.

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On perçoit également des traces d'Alan Wake dans le côté exploration, très présent dans Quantum Break. Chaque chapitre contient un lot important d'objets et documents à lire, ce qui contribue à étoffer l'histoire, tout en développant la durée de vie à travers l'aspect « collection ». Il y a d'ailleurs un côté très « méta », qui ne manquera pas d'interpeller les fans des jeux du studio finlandais.

Remedy exploite donc ici, plus que jamais, un savoir-faire déjà bien développé dans les précédents jeux. Sachant que c'était déjà une réussite dans Max Payne 1 et 2 ainsi que dans Alan Wake, le résultat s'avère convaincant. Oui, mais... on était en droit d'espérer un peu plus de la part du studio, qui livre finalement un gameplay relativement conventionnel et attendu, misant par ailleurs sur le classique déblocage de la puissance des pouvoirs en collectant des Chronons tout au long des niveaux. Pour peu qu'on s'attarde sur ce point, on devient vite très puissant et on roule littéralement sur les ennemis.

Le sentiment qui prédomine ici, c'est que Remedy ne voulait pas nécessairement mettre l'accent sur cette partie du jeu. La seconde partie, celle qui se concentre sur la narration, les choix et l'aspect « série », est-elle la vraie révélation de Quantum Break ? C'est en tout cas la plus intrigante.

Précédemment, dans Quantum Break

Outre la partie « jouée » avec Jack, on trouve également des éléments de jonction entre les chapitres du jeu. Ces derniers impliquent Paul Serene, dont les choix - effectués par le joueur - ont un véritable impact sur les évènements qui suivent. C'est Paul, plus que Jack, qui contrôle le déroulement des événements : on laisse donc au méchant le choix de la direction à prendre, ce qui, sur le principe, est plutôt original.

Après chaque jonction, le joueur est invité à poser sa manette, pour visionner un épisode live d'une vingtaine de minutes. Filmés avec les mêmes acteurs que ceux qui prêtent leurs visages et leurs voix aux personnages du jeu, ces épisodes se concentrent sur l'histoire du point de vue des employés de Monarch Solutions, la puissante entreprise de Paul Serene.

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L'idée s'avère intéressante, puisqu'elle donne une vision différente sur les événements et permet de découvrir autrement des personnages présentés comme mauvais, mais dont on perçoit les motivations sous un autre angle. Évidemment, l'univers de Quantum Break est bien moins manichéen que l'on peut le penser de prime abord, et l'histoire plus complexe qu'une simple histoire d'expérience de labo ratée. Néanmoins, en 4 fois 20 minutes, cette partie importante du jeu peine à réellement étoffer l'intrigue comme elle le devrait, d'autant qu'elle se focalise sur l'action. On reste donc globalement en surface, et le développement des personnages, tout comme le reste, n'est qu'effleuré.

D'un point de vue mise en scène, ces épisodes affichent une production classique mais efficace : ils reprennent les codes connus de séries d'action à la 24 heures chrono, pour citer un exemple très connu. Le rythme est rapide, l'action rondement menée, et les cliffhangers donnent généralement envie d'enchaîner sur le chapitre suivant du jeu. Il est par ailleurs assez intéressant de constater que ce sont surtout les seconds couteaux qui sont valorisés par la dimension série du jeu, Remedy n'ayant pas cherché à tout prix à caser Aiden Gillen et Shawn Ashmore en chair et en os dans tous les plans. Mais pour ça, il reste les cutscenes en 3D, qui sont très nombreuses dans le jeu.

Pour s'assurer un résultat au niveau de ce que l'on peut voir à la télévision américaine aujourd'hui, Remedy s'est associé au studio hollywoodien Lifeboat Productions, qui a de l'expérience en matière de série télé - le studio a notamment travaillé sur Chosen. Une collaboration qui a nécessité un travail en deux temps, comme nous l'a expliqué Greg Louden, le designer narratif du jeu :

« A la base, la série a été développée à partir du jeu. L'équipe technique du show, le réalisateur, les scénaristes, les producteurs, sont venus chez Remedy en Finlande pour qu'on leur montre nos concepts ainsi que le jeu. Ils ont ensuite fait des repérages de décors de leur côté, pour trouver des endroits ressemblant le plus possible à ceux du jeu. C'était la première étape.

Par la suite, ils ont filmé les épisodes, et nous avons dû de notre côté ajuster les environnements dans le jeu pour qu'ils collent à la réalité. C'est beaucoup plus simple de le faire dans cet ordre car on ne pouvait pas tourner à nouveau des plans de la série pour rectifier le tir.
 » L'intégralité de notre interview avec Greg Louden est disponible en page 7 de notre dossier.

Rupture du continuum espace-temps

Si le travail sur l'aspect série est soigné, il est cependant difficile de ne pas sentir une rupture assez radicale lorsqu'on passe du live au jeu. Un constat qui ne tient pas vraiment à l'aspect esthétique du jeu, globalement réussi, malgré un level design basique dans sa conception - on devine en un clin d'œil où va avoir lieu un combat, et où il va falloir sauter de plateforme en plateforme. Les cutscenes, réalisées en motion capture, sont quant à elles très convaincantes et font clairement partie de ce qui se fait de mieux aujourd'hui en matière de 3D temps réel.

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Non, le souci vient tout simplement du fait que poser la manette pour visionner 20 minutes de film, c'est quelque chose auquel le joueur n'est pas vraiment habitué. Pourtant, les jeux regorgeant de cutscenes sont aujourd'hui légion - Metal Gear Solid 4 a frustré bien des joueurs à ce sujet il y a près de 10 ans - mais il y a ici une rupture claire et nette : le jeu indique par l'intermédiaire de « cartons » les transitions entre les chapitres du jeu et les épisodes filmés, comme pour marquer au maximum le passage d'un média à un autre. Il y a un certain manque de fluidité et de naturel dans l'expérience, qui casse davantage le rythme qu'il ne le devrait.

Certains y verront peut-être une volonté assumée par Remedy, notamment à travers des choix musicaux assez étranges qui interviennent à la fin des chapitres du jeu. Si c'est le cas, la démarche ne va clairement pas jusqu'au bout, et laisse dans le doute les joueurs à la recherche d'un éventuel message caché. D'autres joueurs ne s'encombreront pas d'une telle réflexion, et choisiront même, peut-être, d'esquiver purement et simplement les épisodes. Un choix qui ampute le jeu de la moitié de son scénario, mais également de près d'1 h 30 de durée de vie, ce qui n'est pas rien, car celle de Quantum Break est loin d'être suffisante pour un run de base.

Toujours une question de temps

On l'aura compris, Quantum Break est une expérience à part, déroutante, mais peut-être surtout, assez frustrante. Frustrante du côté du gameplay, qui s'avère finalement très classique malgré une promesse originale et une intrigue complexe. Les décors sont beaux, mais se ressemblent tous dans leur conception, à savoir des arènes parfaitement calibrées pour des combats maitrisés, d'immenses espaces où le joueur doit partir à la recherche d'objets à activer, ou encore des plateformes sur lesquelles il faut sauter pour aller d'un point A à un point B. Le cheminement est le même à chaque fois, peu importent les jonctions choisies, ce qui ne motive pas vraiment la rejouabilité d'un point de vue du gameplay pur et dur, à moins d'augmenter la difficulté pour corser un peu l'expérience.

Et la frustration se ressent également au niveau de l'aspect série. En utilisant des codes connus des amateurs de séries télé, la « mini-série » intégrée à Quantum Break délivre un spectacle efficace... mais trop court ! Il y a un réel paradoxe sur ce point : d'un côté, demander au joueur de poser sa manette et de regarder un épisode de 20 minutes, et, de l'autre, lui proposer un contenu qui ne semble pas aller au bout de ce qu'il avait à offrir. A la fin du jeu, on se demande d'ailleurs où se trouve l'épisode final, celui qui permettrait de conclure véritablement l'histoire. On peut imaginer que Remedy garde du contenu pour une éventuelle suite ou des DLC. Que ce soit le cas ou non, le final s'avère un peu maladroit dans sa façon d'arriver ici. S'il s'agissait d'une série classique, on se dirait qu'il suffit d'attendre la saison 2...

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Deux arts qui se dévorent l'un l'autre

Bien que Quantum Break soit loin d'être un mauvais jeu, l'expérience délivrée laisse le joueur sur sa faim, en raison d'un équilibre particulièrement instable. Le jeu de Remedy essuie assurément les plâtres d'un mélange très audacieux de deux arts qui, petit-à-petit, se dévorent l'un l'autre : le jeu vidéo et le cinéma.

Il est certain que le studio finlandais n'a pas ménagé ses efforts : on le voit en parcourant des environnements qui sont des reproductions fidèles de décors de la série, ou en se retournant le cerveau à comprendre les mystères de l'intrigue, parsemés de twists scénaristiques très efficaces. Mais à chaque fois, on a un sentiment de trop ou de pas assez.

La somme des deux médias a finalement du mal à prendre, et on se dit bien souvent en jouant à Quantum Break que l'ensemble aurait pu faire un bon film, une bonne série, ou tout simplement un meilleur jeu en se focalisant sur ce seul aspect. Et tout ça impacte forcément la durée de vie du titre : en mode Normal et en cherchant à récupérer un maximum d'objets cachés, comptez 10 heures si vous lisez tous les documents récoltés, et 8 heures si vous passez outre. Et tout cela compte l'aspect série et les nombreuses cutscenes. Si on les enlève, vous aurez concrètement le pad en main entre 5 et 6 heures en tout.

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La rejouabilité est cependant bien présente, puisqu'en fonction des jonctions choisies, le joueur influence la direction de l'histoire, et débloque certains objets disséminés dans les niveaux. Mais cela ne double pas la durée de vie, qui reste donc plutôt courte, entre 12 et 15 heures pour essayer toutes les possibilités.

Une expérience à part

Quantum Break a ses bons et ses mauvais côtés, mais il a, de manière globale, le mérite de proposer une expérience jusque-là inédite. Les jeux dotés d'une mise en scène cinématographiques sont aujourd'hui fréquents, mais aucun n'avait mêlé à ce point le jeu vidéo et le film au sein d'une telle expérience cross-média.

Remedy Entertainment propose donc un nouveau jeu au résultat semi-convaincant, qui essuie assurément les plâtres d'un parti qui n'avait jamais été pris auparavant. Face au résultat, on imagine facilement la complexité d'un tel développement, et on se demande si le jeu en vaut finalement la chandelle. Le studio, ou un autre, osera-t-il remettre le couvert pour un autre titre sous une forme similaire ? On imagine que la démarche sera en grande partie conditionnée par l'accueil de Quantum Break, exclusivité Microsoft. En tout cas, une fois le jeu terminé, on se dit qu'on ne dirait pas non à une saison 2.

Interview de Sam Lake, directeur créatif de Quantum Break

Sam Lake est directeur créatif au sein du studio Remedy Entertainment. Outre le fait d'avoir travaillé sur les deux premiers Max Payne, ainsi que sur Alan Wake, il a participé au processus créatif et au développement de Quantum Break. Nous avons pu le rencontrer en février dernier, pour lui poser des questions sur le développement de ce jeu si particulier. Nous vous proposons de découvrir cette interview en intégralité, garantie sans spoiler, pour en apprendre plus sur la démarche du studio finlandais.

Quand on joue à Quantum Break, il est difficile de ne pas penser aux précédents jeux de Remedy. Mais le titre offre quand même une proposition bien différente ce que l'on a pu voir jusque-là. Comment en êtes-vous arrivé à un tel résultat, notamment sur le côté série ?

L'origine de Quantum Break découle du concept de Max Payne. Le fait que les jeux de Remedy prennent place dans le présent a une grande influence pour moi. Quand on a créé Max Payne, on a pensé à ça, on a voulu créer un univers cohérent avec la vie des gens. Déjà à ce moment-là, on a pensé à intégrer des éléments de sérialité au sein du monde de Max Payne, pour renforcer la dimension de réalité. On avait donc déjà des éléments de ce genre dans Max Payne, et on en avait encore plus dans Max Payne 2. Cela permet de mieux comprendre ce qu'il se passe dans la tête de Max Payne, durant son parcours.

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C'est quelque chose qu'on a continué à développer dans Alan Wake, où on trouve des éléments de live action à travers des épisodes qui expliquent le début de l'histoire. Dans Max Payne on trouvait des écrans figés avec une voix-off tandis que pour Alan Wake, on est allé plus loin, en filmant des séquences. Dans American Nightmare, nous sommes allés encore plus loin en tournant des scènes avec des acteurs pour certaines cinématiques.

De jeu en jeu, nous avons de plus en plus exploré cette manière de procéder. Nous avions le sentiment que quoi que nous allions faire ensuite, nous devions aller plus loin, et que ce serait bien d'intégrer des éléments de sérialité au sein de l'histoire de notre prochain jeu.

Quand nous avons commencé à parler avec les gens de Microsoft Studios au sujet d'une collaboration sur un nouveau jeu, nous n'avions pas encore l'idée concrète de ce que nous voulions faire. Mais eux, avaient déjà des pistes dans leur stratégie. La Xbox One est une plateforme de divertissement, et pas uniquement pour le jeu vidéo. Donc quand on s'est mis à leur parler de notre idée, ils ont été très intéressés. Ils nous ont même suggéré d'aller encore plus loin que notre idée de départ. Nous étions très heureux de cette proposition ! C'est comme ça qu'on en est arrivé là.

Nous sommes allés davantage en profondeur dans Quantum Break, et certes, ça nous a compliqué la vie sur certains points, mais nous avions le sentiment de travailler sur quelque chose de nouveau, que personne n'avait exploré jusque-là. Nous avons désormais des personnages cross-over, qui vivent à travers les deux formes de médias, le jeu vidéo et la série télé. Certains environnements existent à la fois dans le jeu et dans la série et, même si on voit parfois une même scène dans les deux, il y a des différences. Ça a donc été une évolution tout au long du processus de création chez Remedy.

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Sam Lake, en pleine imitation de Max Payne durant sa master class à Paris en février dernier

Dans le premier Max Payne, les personnages ont-ils le visage de développeurs de Remedy parce que le studio ne pouvait pas embaucher de vrais acteurs pour le faire ?

C'est une des raisons, en effet. Mais ça tient également au fait que, quand on a développé Max Payne, on était à une époque où personne n'avait encore conscience qu'on pouvait utiliser de vrais acteurs pour faire ce genre de choses, comme donner le visage d'un comédien à un personnage de jeu vidéo. C'était le début d'une époque, nous avions la mentalité d'un groupe d'amis qui bricolaient dans un garage. Quand j'y repense, on ne s'est tout simplement jamais dit qu'on pouvait utiliser de vrais acteurs pour faire ça.

Donc il faut savoir que dans le premier Max Payne, il y a de nombreux développeurs de Remedy qui apparaissent, mais il y a également mes parents qui jouent des personnages. C'est assez improbable quand on y pense !

Et aujourd'hui vous travaillez sur Quantum Break avec des acteurs qui sont très cotés à Hollywood. Vous pensez que cette situation est symbolique de l'évolution des ambitions de Remedy ?

En quelque sorte, oui. C'est aussi une manière de mettre en avant le fait que le jeu vidéo est en train de devenir de plus en plus mainstream, c'est désormais un divertissement reconnu de tous. Il y a 20 ans, les gosses jouaient aux jeux, et pouvaient même en développer eux-mêmes. Aujourd'hui, il y a énormément de joueurs, ça a été une évolution extrêmement intéressante et fascinante.

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Le fait qu'on voie des acteurs connus dans des jeux vidéo aujourd'hui est donc le symbole, pour vous, du fait que le jeu vidéo est désormais un art à part entière ?

Quelle est la cause, et quel est l'effet ? Je ne suis pas sûr, mais peut-être que c'est le fait que le jeu vidéo soit aujourd'hui plus mainstream qui attire les acteurs célèbres dans cette direction, et pas l'inverse.

Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui tout le monde sait ce qu'est un jeu vidéo. Ce n'est pas quelque chose de bizarre. De bien des façons, on peut désormais reconnaître les talents des personnes qui travaillent dans cette industrie, et les acteurs en font partie. Shawn Ashmore est un gamer. Pour des gens comme lui, il n'y a rien d'étrange à participer à un jeu vidéo comme Quantum Break.

Certains étaient un peu inquiets, avaient des interrogations sur notre démarche. Mais ils ont pris ce travail très au sérieux, ce sont de grands professionnels. C'était génial de les voir s'investir dans ce projet, et de faire quelque chose de nouveau. Pour certains, c'était la première fois qu'ils participaient à une expérience en motion capture, et la plupart se sont intéressés à la manière dont le processus fonctionnait de bout-en-bout.

Shawn Ashmore m'expliquait durant le Comic Con France l'année dernière que, pour lui, les acteurs doivent s'intéresser et adhérer à la MoCap, car c'est le futur du métier. Vous êtes de cet avis ?

Oui, je le suis ! Je pense que ça fait partie des nombreuses opportunités à saisir pour un acteur. Quand vous regardez toute la technologie employée pour développer un jeu AAA comme Quantum Break, que ce soit la Motion Capture ou d'autres éléments, vous vous rendez compte que petit à petit le jeu vidéo et le cinéma se rapprochent de bien des façons. Les techniques et les technologies employées sont de plus en plus similaires.

D'une certaine manière, le jeu vidéo se nourrit du cinéma, et le cinéma se nourrit du jeu vidéo. Les acteurs ont leur place dans ces deux types d'œuvres. C'est également le cas pour certains techniciens qui peuvent à la fois travailler sur des films et sur des jeux vidéo, sur des effets similaires.

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Si vous ne deviez citer qu'un seul défi rencontré durant le développement de Quantum Break, lequel serait-il ?

Il y en a eu tellement... Si je ne devais en évoquer qu'un seul, ce serait celui de la complexité de mêler de manière crédible l'aspect jeu vidéo et l'aspect série télévisée. Les manières bien établies de travailler sur une série télé, la façon dont la production fonctionne, la manière dont les calendriers de tournage sont organisés... tout ça s'avère vraiment nouveau dans l'univers du jeu vidéo. Il a donc fallu bousculer l'ordre établi.

Il y a aussi le fait que quand vous tournez quelque chose avec de vrais acteurs, une fois que les scènes sont dans la boîte, ce qui est fait est fait : vous ne pouvez pas revenir en arrière. Quand ce sont des séquences de jeu vidéo, vous avez toujours la possibilité de les modifier après coup. Mais ce n'est pas le cas pour des séquences filmées, vous ne pouvez pas faire revenir les acteurs qui ont des plannings très chargés pour tourner à nouveau des scènes parce que vous avez modifié le script.

Ce sont donc deux manières très différentes de fonctionner et, assurément, arriver à combiner les deux d'une manière efficace a été complexe, mais nous avons énormément appris durant le développement de Quantum Break.

Merci Sam !

Interview de Shawn Ashmore, l'interprète de Jack Joyce

Shawn Ashmore a une tête bien connue des fans de films de superhéros, puisqu'il incarne Bobby Drake, alias Iceman, dans la franchise X-Men. Il ne faut pas le confondre avec son frère jumeau Aaron Ashmore, quant à lui plus habitué aux séries télévisées. Nous avons pu rencontrer Shawn lors de son passage à Paris en octobre dernier pour le Comic Con France. Il nous a parlé de son expérience au sein de la production, bien singulière pour un acteur hollywoodien, de Quantum Break.

Comment avez-vous pris part à ce curieux projet à la base ? Quantum Break ne ressemble pas vraiment à ce qu'on a l'habitude de voir en matière de jeu vidéo.

J'ai commencé à travailler sur le projet il y a environ deux ans. Pour un acteur, c'est énorme ! A titre de comparaison, un film comme X-Men se tourne en environ six mois. Pour moi, travailler sur un tournage qui dure un an et demi, c'est vraiment une première.

J'ai été contacté par mon agent qui m'a présenté le projet, m'expliquant qu'il s'agissait du nouveau projet de Remedy pour la Xbox One... ça m'a parlé, car j'ai joué à Max Payne quand j'étais plus jeune et c'est un jeu que j'adore. Je connaissais donc déjà Remedy et le genre de jeux qu'ils font.

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J'ai été embauché pour tenir le rôle de Jack Joyce, le personnage principal et jouable du jeu. L'histoire est très complexe, c'est difficile à résumer. Mais ça part d'une expérience temporelle qui tourne mal et qui donne des pouvoirs à Jack : il peut manipuler le temps. Et il va essayer de remettre les choses en ordre. Aussi, son ancien meilleur ami, Paul Serene, devient son pire ennemi.

Et Dominic Monaghan joue mon frère dans le jeu. C'est amusant, car nous avons joué ensemble dans un film qui s'appelle The Day, et à l'époque, les gens trouvaient qu'on se ressemblait et qu'on aurait pu être frères ! Du coup c'est vraiment amusant à quel point le hasard peut bien faire les choses, car nous avons été castés séparément pour Quantum Break et les gens de Remedy ne savaient rien de tout ça.

C'était votre première expérience de motion capture (MoCap) ?

Oui ! J'avais déjà participé au doublage d'un jeu X-Men auparavant, mais c'était la première fois que que faisait de la motion capture. Ça a été difficile au début, c'est vraiment tout nouveau, il faut donc s'y faire. Mais c'est vraiment amusant, et à partir du moment où vous avez compris le principe, c'est vraiment une nouvelle manière de travailler. Il faut beaucoup utiliser votre imagination, pour vous représenter votre environnement. J'ai fait de nombreux tournages utilisant des écrans verts et bleus, mais généralement vous avez le décor autour, et l'écran vert sert à prolonger l'environnement pour donner l'impression qu'il est plus grand. Avec la MoCap, il n'y a rien, à part quelques accessoires.

Parfois je jouais en MoCap avec d'autres acteurs, mais lorsqu'un acteur n'était pas disponible car occupé sur un autre tournage, il était possible de tourner tout seul, et ensuite l'autre acteur tournait la scène seul de son côté, et enfin tout était combiné. Mais généralement on tournait à plusieurs.

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Vous pensez que la MoCap est l'avenir de l'acting ?

Absolument, j'en suis totalement convaincu.

Même pour ce qui est du cinéma ?

Bien sûr ! Ça se fait déjà beaucoup. Regardez Andy Serkis, qui a joué Gollum, King Kong, César dans La Planète des Singes... ses performances sont époustouflantes et émouvantes. Je pense que c'est vraiment une grosse part de ce qui nous attend. Je ne pense pas pour autant que le cinéma traditionnel va disparaître, mais il est évident que la technologie évolue très rapidement et s'intègre de mieux en mieux aux prises de vue traditionnelles.

Durant ma première session de MoCap chez Remedy, ils ont pris plein de photos de moi pour me recréer numériquement. Et l'un des animateurs m'a dit, « il faut faire ça tous les 5 ans, comme ça vous avez des images de vous à différentes périodes de votre vie, à différents âges. Vous pourrez jouer un personnage de 30 ans, de 40 ans... peu importe l'âge réel que vous avez. » Et c'est vrai : votre visage est numérisé dans ses moindres détails. Donc vous pouvez avoir 80 ans et jouer un personnage qui en a 40 avec ce procédé.

Ça semble effrayant dit comme ça, mais c'est la technologie qui veut ça, et il vaut mieux y adhérer aujourd'hui plutôt que de rester sur la touche demain.

Et sinon, ça fait quoi de savoir qu'on est un personnage de jeu vidéo, que des joueurs vont jouer avec nous, qu'on va mourir encore et encore...

Eh bien je meurs déjà souvent dans mes films, donc j'y suis habitué ! C'est très cool de devenir un personnage de jeu vidéo. On est un superhéros, en quelque sorte. Vous vous retrouvez à faire des trucs que vous ne pourriez jamais faire dans la vraie vie.

C'est étrange aussi, mais il faut accepter le fait que les gens vont vous faire sauter d'un immeuble, que vous allez vous prendre des murs, que vous allez exploser. Et dans Quantum Break, les manières de tuer Jack sont nombreuses !

Merci Shawn !

Interview de Greg Louden, Senior Narrative Designer au sein de Remedy

Avant de s'embarquer dans l'aventure Quantum Break, Greg Louden a travaillé à Hollywood sur les effets visuels de nombreux films, parmi lesquels Gravity, Sucker Punch, Prometheus ou encore World War Z. Il a rejoint l'équipe de développement de Quantum Break en 2014 pour travailler sur l'aspect transmédia du jeu.

Si cet entretien ne spoile pas le jeu, il faut cependant noter que c'est le seul que nous ayons fait après avoir terminé le jeu. Il y a donc certains indices sur sa structure narrative au sein des questions, mais nous ne dévoilons rien sur l'intrigue. Néanmoins, si vous voulez garder une surprise totale, il est peut-être judicieux de garder la lecture de cette interview pour plus tard...

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Quand on parle de jeux transmédia, on parle généralement de jeux qui sont complétés par des expériences à part, par exemple une web-série qui se déroule avant, ou durant le jeu. Dans Quantum Break, tout est mélangé. En termes de production, qu'est-ce que ça change ?

Ça change absolument tout ! C'est justement ce qui est intéressant avec Quantum Break : c'est une expérience totalement nouvelle, aussi bien pour le joueur que pour nous, qui avons développé le titre. Il a fallu que nous pensions à tout en concevant l'histoire, mais également l'ensemble. La partie série et la partie jeu constituent une seule et unique entité.

Pour les séquences filmées, nous avons travaillé avec Lifeboat Productions, et ils nous ont énormément aidés sur ce projet. Nous avons des expériences complémentaires : eux ont l'expérience des shows filmés, et nous, des jeux vidéo. Nous nous sommes beaucoup apportés mutuellement.

Dans quel ordre avez-vous travaillé avec Lifeboat Productions ? Quels sont les décors qui ont été conçus en premier : ceux du jeu, ou ceux de la série ? Car dans les deux médias on visite parfois les mêmes endroits.

C'est un point très intéressant. Ça s'est déroulé en deux temps : à la base, la série a été développée à partir du jeu. L'équipe technique du show, le réalisateur, les scénaristes, les producteurs, sont venus chez Remedy en Finlande pour qu'on leur montre nos concepts ainsi que le jeu. Ils ont ensuite fait des repérages de décors de leur côté, pour trouver des endroits ressemblant le plus possible à ceux du jeu. C'était la première étape.

Par la suite, ils ont filmé les épisodes, et nous avons dû, de notre côté, ajuster les environnements dans le jeu pour qu'ils collent à la réalité. C'est beaucoup plus simple de le faire dans cet ordre car on ne pouvait pas tourner à nouveau des plans de la série pour rectifier le tir. Le bureau de Paul Serene a également été réalisé dans le jeu en fonction de ce qui avait été fait dans la série.

La situation s'est également présentée pour les personnages. Par exemple, dans la série, Beth porte une boucle d'oreille alors que ce n'était pas le cas dans le jeu. Nous avons donc dû l'ajouter de notre côté.

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On trouve quatre épisodes dans le jeu. Avez-vous imaginé ajouter un cinquième épisode à la fin du jeu, pour apporter une conclusion à l'histoire de certains personnages qu'on ne voit quasiment que dans la série ?

Dans l'immédiat, nous n'avons rien à annoncer sur le sujet, mais si vous suivez attentivement l'histoire, vous remarquerez que nous laissons des portes ouvertes à certains endroits... à ce stade, c'est surtout une ouverture aux interprétations des joueurs, mais je pense qu'il y a de nombreuses pistes à suivre sur ce point. Je pense que nous avons de très bons personnages et qu'il y aurait encore des choses à raconter.

Je pense que l'un des principaux problèmes du jeu dans son ensemble, c'est justement le fait qu'il y a beaucoup de personnages intéressants mais qui ne sont pas vraiment développés autant qu'il le faudrait. On s'attache moins, par exemple, aux personnages qui sont uniquement dans la série, car quatre épisodes de 20 minutes, c'est finalement très peu.

C'est vrai que ça peut paraître court. Néanmoins, l'une des choses que nous voulions faire avec Quantum Break, c'était réinventer le concept de la série, en permettant au joueur d'influencer le cours des événements et de les changer dans le show. Nous aurions pu mettre plus d'épisodes, mais nous avons décidé, à la place, de mettre des variations de certaines scènes au sein de l'histoire.

Si le jeu est bien reçu par les joueurs et s'avère être un succès, je suis sûr que Microsoft et Remedy seront ravis de prolonger l'histoire des personnages.

Merci Greg !

Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques...

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Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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