Microsoft a une obsession. Depuis plus d'une décennie, l'éditeur tente de propulser Windows dans un monde dominé par les puces ARM. Plus efficaces, plus silencieuses, plus mobiles, elles incarnent ce vers quoi les PC devraient tendre : autonomie de smartphone, châssis ultra fin, démarrage instantané, connexion permanente, silence de fonctionnement. Sur le papier, c'est l'avenir. Dans les faits, c'est surtout une succession de rendez-vous manqués.

Ça vous rappelle des souvenirs ? À gauche, Windows Phone. À droite, Windows RT. ©Pieter Beens x Shutterstock
Ça vous rappelle des souvenirs ? À gauche, Windows Phone. À droite, Windows RT. ©Pieter Beens x Shutterstock

Windows Phone et surtout RT : la stratégie de l'échec

Au tournant des années 2010, tout le monde passe à l'architecture ARM qui offre une meilleure autonomie tout en affinant les devices : l'iPhone triomphe, Android décolle, les puces basse conso s'imposent… et Microsoft réalise qu'il a laissé filer le train du smartphone alors qu'il était là au tout début de l'aventure avec Windows CE, ses icônes et son stylet.

Sa réponse ? Windows Phone, lancé en 2010, avec son interface Metro ultra lisible, taillée pour le tactile, ultra optimisée et allégée pour être très réactive. Un bel OS, un vrai parti pris côté design, mais un dramatique manque d'applis face à iOS et Android. Ajoutez à cela une stratégie marketing complètement brouillée avec un lancement de l'OS sous le nom de Windows Phone 7, puis de 8 avant de revenir à Windows 10 Mobile en 2015 sans passer par la case 9, le partenariat puis le rachat de Nokia en 2013... Bref, ce n'est plus du tâtonnement, mais la stratégie de l'échec côté Redmond ! La plaisanterie s'achèvera en 2017 avec un bon goût de gâchis en bouche et des regrets pour un système qui avait toute sa place aux côtés de ceux d'Apple et Google.

En 2015, Microsoft rebadge Windows Phone en Windows 10 Mobile. ©Clubic
En 2015, Microsoft rebadge Windows Phone en Windows 10 Mobile. ©Clubic

Même scénario côté tablettes avec Windows RT en 2012 : un Windows 8 compilé pour ARM, vendu avec la tablette maison Surface RT, mais incapable d'exécuter les applications x86 historiques et limité au Windows Store, au prix d'une gigantesque incompréhension côté grand public. L'échec est tel que Microsoft passe près d'un milliard de dollars de dépréciation sur les stocks de Surface RT. Deux paris ARM ratés, un marché mobile perdu, mais pourquoi baisser les bras alors que Windows a fait sa mue et peut techniquement fonctionner sur n'importe quelle puce ARM ?

Windows 10 on ARM était la première version du système à pouvoir exécuter des applis x86 dans un environnement ARM. Vu de l'extérieur, rien ne distinguait le système x86 de la version motorisée par un Snapdragon de Qualcomm. ©HP

Windows 10 on ARM : quand ça ne veut pas, ça ne veut pas

Microsoft a de la suite dans les idées et remet fin 2017 une piécette dans l'architecture ARM avec les premiers PC Always Connected sous Windows 10 dotés d'un processeur Qualcomm Snapdragon 835. Sur le papier, Windows 10 on ARM coche toutes les cases du PC portable de rêve : autonomie de smartphone, veille connectée, 4G intégrée, sortie de veille instantanée, design extra fin... Le tout avec un véritable Windows capable enfin de lancer les applications x86. Mais comment diable était-ce possible ? L'émulation x86 reposait sur une traduction binaire dynamique : le système prenait le code x86 32 bits compilé pour les processeurs Intel/AMD, le traduisait à la volée en instructions ARM, puis le mettait en cache pour éviter de tout refaire à chaque lancement d'appli. Plutôt malin.

Sous le nom de code Chimera, on retrouvait le HP Envy X2 et sa puce ARM Qualcomm Snapdragon 835, un hydride en avance sur son époque qui m'avait bien plu en 2018. Quelle autonomie en usage bureautique et Internet ! ©Nicolas Guyot

Mais en pratique, c'était un entre-deux frustrant. Les logiciels x86 32 bits s'exécutaient enfin sur un Windows on ARM, mais avec des performances en retrait, beaucoup de latence, et parfois même des incompatibilités, tandis que les applis 64 bits restaient carrément hors-jeu au début. À cela s'ajoutaient un catalogue d'applis ARM natives toujours aussi maigrichon et surtout l'obligation d'avoir tout l'environnement noyau (pilotes, antivirus, etc.) obligatoirement natif ARM64 sous peine de ne pas pouvoir démarrer l'OS. Pour ne pas aider, les machines compatibles Asus, HP ou Lenovo étaient elles vendues à un prix premium, mais perçues logiquement comme moins rapides qu'un ultraportable Intel classique. Résultat : Windows 10 on ARM fait à son tour un four en rayon. Mais Microsoft n'avait pas dit son dernier mot, et l'abandon du x86 par Apple donnera des idées au géant de Redmond...

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Troisième round pour Microsoft sur ARM, et l'excuse pour retourner dans l'octogone est toute trouvée : l'intelligence artificielle. En 2024, les premiers PC Copilot+ sous Windows 11 débarquent avec les puces Qualcomm Snapdragon X Elite et X Plus : processeur jusqu'à 12 cœurs, fréquence d'horloge jusqu'à 4,3 GHz, mémoire cache généreuse, Neural Processor Unit (NPU) à 45 TOPS, autonomie XXL… pour la première fois, les benchmarks placent Windows sur ARM au niveau des meilleurs ultraportables x86 et même des puces Apple Silicon en performances par watt consommé. Mais comment Microsoft a-t-elle réussi son coup ?

x86 sur ARM, ça marche enfin !

Sur les PC Copilot+ sous Windows 11, la vraie star cachée, c'est le nouveau système d'émulation x86/x64 inspiré de Rosetta 2, le traducteur à la volée (et à l'installation) qui a permis à Apple de passer des puces Intel aux siennes sous ARM. Il faut dire que la firme à la pomme s'est spécialisée dans les changements d'architecture ces dernières années et a un sacré savoir-faire (passage du Motorola 68k au PowerPC puis aux x86 et enfin à l'ARM).

Les specs des puces Snapdragon X Elite à leur lancement début 2024. ©Qualcomm
Les specs des nouvelles puces Snapdragon X2 Elite prévues pour début 2026. ©Qualcomm

Sous W11, les applis classiques x86, 32 ou 64 bits, prévues pour les processeurs Intel/AMD, passent par une couche de traduction (Prism) qui convertit à la volée leur code en instructions ARM, avec mise en cache pour accélérer les lancements suivants. Résultat : la plupart des logiciels Windows historiques tournent sans que l'utilisateur ait à se poser de questions. Ce n'est pas toujours au niveau d'un exécutable natif ARM, surtout pour les apps lourdes ou les jeux vidéo (pas aidés non plus par le GPU de la puce X1), mais pour la bureautique, le Web et beaucoup d'outils pros, la magie opère enfin.

ARM et IA : Microsoft se prend les pieds dans le tapis

Surtout, le discours change : ARM ne rime plus seulement avec autonomie, mais avec puissance... et IA embarquée. Le label Copilot+ PC garantit en effet l'accès à des fonctions IA exclusives comme Recall, la recherche IA locale ou les outils créatifs dopés au NPU (pour dessiner par exemple un chaton en local). L'IA sert aussi de levier politique : au lancement, les vraies machines compatibles sont quasiment toutes sous processeur Qualcomm (rapidement rejoint par Intel et AMD qui s'empresseront d'ajouter des NPU plus puissants à leurs puces), tandis que Recall subit un tollé sur la vie privée, repoussé in extremis puis relancé avec consentement de l'utilisateur après plusieurs mois de correctifs.

Oubliez l'IA et préparez-vous à des PC toujours plus petits et performants grâce à l'architecture ARM de Qualcomm (et bientôt MediaTek et NVIDIA). ©Videocardz

Comme avec Aero ou Metro il y a quelques dizaines d'années, Microsoft impose un nouveau Windows… et un nouveau hardware saupoudré de poudre d'IA de perlimpinpin. Là aussi, l'adoption des puces ARM est plus que timide malgré un timing technologique parfait. Dans sa complexe équation, Microsoft aurait-elle oublié l'utilisateur lambda qui, lui, n'a rien demandé à l'IA ? À force de parler d'intelligence artificielle, de vouloir imposer sa vision au marché (et ses lourds investissements dans OpenAI ?), la firme de Satya Nadella a de nouveau oublié ses utilisateurs sur le bord de la route.

La bonne nouvelle, c'est que les deux géants y croient toujours et qu'on entrevoit le bout du tunnel. Qualcomm a récemment annoncé une nouvelle salve de puces ARM pour PC, le Snapdragon X2 Elite. Toujours plus puissantes et économes en énergie (jusqu'à 18 cœurs, une fréquence d'horloge allant jusqu'à 5 GHz, NPU jusqu'à 80 TOPS et un GPU revu de fond en comble, gravure en 3 nm), ces puces seront rejointes début 2026 par MediaTek et NVIDIA. Peut-être enfin la promesse de PC ARM accessibles capables d'offrir performances, autonomie, design tout en finesse, compatibilité logicielle XXL et zéro compromis à l'usage ? Avec ou sans IA, la réponse dans quelques mois.

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