Des distributeurs de billets et des écrans sur les quais de gare, oui, mais aussi des consoles rétro, des machines à sous, des tracteurs et même des postes de travail en orbite. Derrière son image de système taillé pour la bureautique, Windows a multiplié les escapades les plus surprenantes.

Windows a 40 ans : la double vie d’un OS à la carrière bien plus improbable qu’on l’imagine. © ssi77 / Shutterstock
Windows a 40 ans : la double vie d’un OS à la carrière bien plus improbable qu’on l’imagine. © ssi77 / Shutterstock

Un bureau, un menu Démarrer, quelques icônes qui traînent et une mise à jour qui s’invite toujours au mauvais moment. On croit connaître Windows, que le grand public imagine volontiers cantonné à un PC de bureau ou un portable ultraléger, alors que son histoire déborde en réalité largement du cadre habituel.

Dans l’espace, dans les consoles japonaises, sous les néons des casinos, au bord des routes ou au fond d’une cabine de moissonneuse, l’OS s’est faufilé partout. Un patchwork d’usages rocambolesques où l’on croise tour à tour Windows XP, Windows CE ou des déclinaisons Embedded bricolées pour survivre dans des environnements qui n’ont rien d’un open space. Le résultat compose une cartographie à la fois sérieuse et délicieusement décalée, qui montre à quel point l’OS le plus associé à la bureautique a vécu une vie parallèle dont on ne parle presque jamais.

Allô la Terre, ici Windows

Au début des années 2010, les astronautes de l’ISS travaillent chaque jour sur des ordinateurs portables ordinaires, regroupés dans un réseau interne appelé OpsLAN. Ces machines sous Windows XP servent à suivre la position de la station, récupérer des images, piloter certaines expériences, gérer les inventaires ou traiter les fichiers du quotidien. On est à 400 kilomètres au-dessus de la Terre, mais l’environnement ressemble beaucoup à celui d’un PC de bureau.

Avec le temps, cette configuration devient difficile à assumer. Sur une station en orbite, chaque opération de maintenance exige une planification serrée et la moindre mise à jour logicielle devient un sujet de discussion à part entière. Si bien qu’en 2013, alors que Microsoft multiplie les messages alarmistes pour pousser les entreprises à abandonner XP au profit de Windows 7, la NASA et United Space Alliance décident de migrer les portables d’OpsLAN vers Debian 6, jugé plus stable et plus simple à adapter aux besoins de la station, tandis qu’une bonne partie de la planète bataille avec la transition chaotique vers Windows 8.

Jusqu'en 2013, les PC à l'intérieur de la Station Spatiale Internationale ont tourné sur Windows. © Happy Whale / Shutterstock
Jusqu'en 2013, les PC à l'intérieur de la Station Spatiale Internationale ont tourné sur Windows. © Happy Whale / Shutterstock

La Dreamcast, la console qui s’est laissé tenter par un flirt avec Windows

Fin des années 90, la Sega Dreamcast s’impose comme une console résolument japonaise, avec ses jeux d’arcade, son esthétique blanche et son modem intégré. Pourtant, une petite mention à Windows CE glissée sur la coque raconte une autre histoire. Sega et Microsoft ont travaillé main dans la main pour adapter une version légère de Windows aux besoins de la console, dans l’idée d’offrir aux studios déjà familiers de l’écosystème PC un environnement de travail qu’ils maîtrisent déjà.

Dans les faits, la console ne charge pas un Windows complet à chaque démarrage. Seuls certains jeux embarquent, sur leur disque, les éléments nécessaires pour activer cet environnement lorsqu’ils en ont besoin. Pour les équipes de développement, l’intérêt est évident. Une partie du travail réalisé sur PC peut être réutilisée sans repartir de zéro, les outils restent les mêmes, qu’il s’agisse du SDK, de Visual Studio ou des bibliothèques proches de DirectX, et les portages vers la Dreamcast s’effectuent avec beaucoup moins de contraintes qu’avec les consoles entièrement propriétaires de l’époque. En pratique, toutefois, une large partie du catalogue continuera de s’appuyer sur les outils et librairies maison de Sega.

L'avez-vous repéré ? Oui, c'est bien une mention à Windows CE qui figure à l'avant de la console. © Interneteable / Shutterstock

Sous les néons des casinos, Windows à la conquête de Vegas

Les machines à sous modernes n’ont plus grand-chose à voir avec les bandits manchots mécaniques d’antan. Elles tournent sur de vrais ordinateurs, dotés d’un système d’exploitation, de piles réseau et d’interfaces graphiques bien plus ambitieuses. Dans les années 2000, plusieurs géants du secteur ont opté pour Windows XP Embedded pour animer leurs bornes de casino. Microsoft citait d’ailleurs Bally Gaming en exemple, en mettant en avant la possibilité de proposer des contenus plus riches dans un environnement sécurisé.

Pour le public, cela se traduit par des animations léchées, des écrans haute définition et des effets sonores qui ne manquent pas de volume. Pour les opérateurs et opératrices, Windows fournit une base commune pour gérer les mises, les crédits, les audits ou la télémétrie. Sous les néons des salles de jeu, les rouleaux qui s’affolent et les jackpots qui tombent s’appuient donc parfois sur une version compacte de Windows née pour les systèmes embarqués.

Ces machines à sous cachent bien leur jeu (sans mauvais jeu de mots). Sous le capot... Windows ! © Little Vignettes Photo / Shutterstock

Windows au volant des premiers systèmes iDrive

À partir du début des années 2000, certaines voitures commencent à embarquer un passager inattendu. Derrière les interfaces soignées des systèmes multimédias, plusieurs constructeurs misent sur une base Windows CE taillée pour l’embarqué. BMW l’utilise notamment dans les premières générations d’iDrive, en s’appuyant sur une déclinaison de Windows CE for Automotive adaptée à ses besoins pour piloter la console centrale.

Pour le conducteur ou la conductrice, rien ne trahit cette couche Microsoft. Le GPS, la gestion multimédia ou les réglages du véhicule affichent une interface entièrement estampillée du constructeur auto, tandis que le logiciel repose en réalité sur de nombreux composants Windows, en particulier la pile réseau et certains pilotes. Un choix qui a permis aux constructeurs de capitaliser sur un environnement connu des développeurs et développeuses, tout en livrant un système cohérent avec leur identité de marque. L’industrie s’est depuis tournée vers Linux et des plateformes maison, mais un certain nombre des ordinateurs de bord des années 2000 à 2010 ont roulé sous Windows l’air de rien.

Quand le système multimédia embarqué laisse brièvement apparaître Windows Embedded CE 6.0. Oupsi. © MatanRak via Reddit

Le temps des moissons avec Windows

Dans le monde agricole, on s’attend à des machines massives, bardées d’hydraulique et de mécanique lourde. Pas forcément à un système d’exploitation conçu pour des assistants personnels du début des années 2000. Et pourtant, plusieurs consoles de guidage et terminaux embarqués ont longtemps tourné sous Windows CE, glissé derrière les écrans tactiles des tracteurs et des moissonneuses.

Ces modules, intégrés aux cabines, gèrent le guidage GPS, les cartes de rendement ou la communication avec les outils via le réseau de communication standard de la filière, l’ISOBUS. L’interface donne l’impression d’un système propriétaire taillé pour l’agriculture de précision, mais sous la surface, on retrouve un Windows allégé, chargé de piloter l’écran, les interactions et le dialogue avec la machine. Les équipementiers y voyaient un environnement familier et peu coûteux à adapter, surtout à une époque où Windows CE servait déjà de base à quantité de terminaux industriels.

Cette architecture a circulé pendant des années jusqu’à ce que des chercheurs en sécurité s’y intéressent, jailbreakent des tracteurs John Deere lors de la DEFCON 2022, décortiquent leurs consoles de bord et révèlent au passage un parc de terminaux encore basé sur un patchwork de distributions Linux vieillissantes et de systèmes Windows CE en fin de vie.

Au bloc, des machines dernier cri pilotées par un Windows d'un autre temps

On quitte enfin les usages rigolos de Windows pour un registre moins folklorique, où le côté improbable ne fait plus rire grand monde. Courant 2010, de nombreux scanners et IRM sont livrés avec des consoles de contrôle sous Windows XP. Or, ces appareils ont un cycle de vie qui dépasse de loin celui du système d’exploitation, et la moindre modification logicielle impose des procédures de certification lourdes, ce qui repousse indéfiniment les mises à jour de l’OS et laisse des interfaces très datées piloter des machines ultramodernes.

Cette situation aurait pu rester confinée aux salles techniques si WannaCry n’avait pas frappé en 2017, trois ans après la fin officielle du support de Windows XP. Le rapport consacré à l’attaque contre le système de santé britannique décrit des équipements diagnostiques, dont des scanners IRM, encore basés sur Windows XP embarqué et exposés dès les premières minutes de la propagation du malware. Faute de solution simple pour moderniser ces systèmes, les équipes techniques doivent alors multiplier les rustines, isoler les appareils et filtrer le réseau pour limiter les dégâts en cas de nouvelle vague de ransomware.

En 2017, de nombreuses consoles de contrôle IRM tournent toujours sur une version embarquées de Windows XP, déprécié en 2014, et se prennent la vague WannaCry de plein fouet. © Gorodenkoff / Shutterstock

Windows, l’OS passe-partout des industriels

Si l’on croise Windows dans autant de secteurs et d'équipements inattendus, ce n’est pas uniquement par hasard. Les fabricants profitent d’abord d’un écosystème déjà installé, avec des outils de développement connus, une abondance de pilotes et des piles réseau bien documentées. Les déclinaisons Embedded de Windows sont conçues pour ces scénarios et proposent des licences adaptées aux appareils dédiés, qu’il s’agisse de machines à sous, de systèmes médicaux ou d’équipements connectés.

Vient ensuite l’inertie industrielle. Une fois qu’un constructeur a validé une architecture et passé les étapes de certification, notamment dans le médical ou l’aéronautique, changer d’OS représente un coût important, en temps comme en argent. Les mêmes briques Windows sont donc réutilisées d’une génération à l’autre, parfois bien au-delà de la fin de support officielle.

C’est ainsi que l’on se retrouve avec une cartographie assez amusante. Le même éditeur qui fournit l’OS du PC de compta anime aussi des consoles de jeux, des bornes de casino, des IRM, des PC en orbite, des tableaux de bord pour voitures et des systèmes de guidage pour tracteurs. Une carrière étonnamment variée pour un système qui, dans l’esprit de monsieur et madame tout-le-monde, est simplement censé faire tourner un menu démarrer et trois icônes sur un bureau.

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