Netflix : algorithmes, tests et tags, la recette pour rendre les abonnés accros

12 avril 2016 à 11h14
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Quand il s'agit d'évoquer la recette de son interface, Netflix est toujours présent. Il ne faut cependant pas être trop regardant sur le détail des ingrédients, mais la plateforme a clairement trouvé la combinaison efficace pour rendre ses utilisateurs accros. Et les ambitions sont toujours là.

Netflix a décidé de mettre le paquet pour promouvoir sa plateforme : l'entreprise de Los Gatos a convié 250 journalistes européens à la Cité du Cinéma, non seulement pour présenter ses nouveaux contenus, mais également pour parler de la dimension technique du service. Nous avons pu, dans ce cadre, assister à plusieurs workshops, dont chacun se focalisait sur l'un des aspects techniques de l'interface.

Mises bout-à-bout, ces optimisations techniques donnent un cocktail détonnant, dont l'objectif est d'offrir l'expérience la plus précise, la plus ciblée, mais également la plus transparente à l'utilisateur du service. Si vous avez du mal à ne pas enchaîner les épisodes ou les films, si vous avez l'impression que les suggestions sont parfaitement adaptées à vos goûts quand vous flânez sur Netflix, rien n'est laissé au hasard. Voici quelques engrenages que l'entreprise a bien voulu nous montrer pour que nous comprenions comment cette mécanique bien huilée fonctionne.

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La communauté de Netflix, une grande famille réunie sous le signe des algorithmes ?

50 algorithmes au service de l'interface

On sait depuis longtemps que l'interface de Netflix repose sur le travail d'algorithmes. Néanmoins, on n'imagine pas forcément que ce sont plus de 50 algorithmes qui sont impliqués dans l'actualisation quotidienne de l'interface.
Très concrètement, lorsque vous regardez l'interface de Netflix, il faut vous dire qu'il y a un algorithme pour chaque élément de suggestion, qu'il s'agisse de l'analyse des plus gros succès de la plateforme, des tendances, de la sélection personnalisée... Carlos Gomez Uribe est le vice-président de l'innovation produit chez Netflix, et accessoirement, le big boss des algorithmes. Il explique que les analyses sont remises à plat chaque jour, en se basant sur les données des habitudes des 75 millions d'abonnés de la plateforme.

Une expérience globale pour un choix personnalisé

L'objectif de Netflix n'est pas de se focaliser pays par pays, mais de fournir des tendances globales, pour le monde entier. Cela ne signifie pas que la plateforme s'abstient de faire rentrer, d'une certaine manière, ses utilisateurs dans des cases : Netflix cartographie ses abonnés sous la forme de « communautés » qui rassemblent des personnes ayant des goûts similaires aux leurs. Seuls les goûts importent : la position géographique, le sexe ou l'âge ne rentrent pas en ligne de compte.
« Un utilisateur peut appartenir à 10 ou 20 communautés en même temps » souligne Carlos Gomez Uribe. Netflix traite les données de manière anonyme, mais peut connaître le profil de chaque utilisateur grâce à un système interne, qui réalise une analyse rapide des tendances communautaires d'un abonné avec sa seule adresse email. En entrant la mienne, j'ai notamment découvert que j'appartiens à des « communautés » principalement basées aux Etats-Unis et en Europe, particulièrement dans les pays scandinaves. La raison ? Je regarde beaucoup de films et de séries américaines, mais j'ai également un faible pour les thrillers venus du froid.

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Une estimation de mon profil en fonction des « communautés » auxquelles j'appartiens. Un résultat pas forcément très précis.

C'est aussi grâce à cette démarche mondiale que Netflix peut proposer des contenus étrangers aux utilisateurs d'un autre pays. Le jeu d'association d'un programme à un autre nourrit les recommandations : un fan de The Big Bang Theory pourra se voir recommander une série comique allemande dont il n'avait même pas connaissance. C'est ainsi que certaines séries sortent de l'ombre.

« Nous savons quand vous devenez accro »

Que l'on regarde assidûment une série ou que l'on ne se passionne pas vraiment pour le film que l'on est en train de regarder, Netflix sait tout, se rappelle de tout, et analyse tout. « Si vous regardez une nouvelle saison le jour de sa sortie et que vous enchaînez cinq épisodes à la suite, alors on sait que vous êtes très fan » explique Carlos Gomez Uribe. « A l'inverse, si vous faites pause sans arrêt dans votre visionnage, alors ce dernier n'est pas particulièrement intense pour vous ». En d'autres termes, Netflix dispose aussi d'algorithmes qui savent détecter l'ennui. Dans ce cas, la plateforme évitera de vous proposer des films du même type par la suite.

L'human tagging, ou la nécessité du contexte

Difficile d'évoquer les algorithmes sans parler des autres éléments qui s'en servent, et sont complémentaires. A commencer par le taggage des contenus. C'est l'affaire de Mike Hastings et Max Roman, qui travaillent à la contextualisation des catalogues de Netflix.

« Les algorithmes sont une chose importante, mais on ne peut pas suggérer du contenu aux abonnés s'il n'est pas contextualisé » explique Mike Hastings. Et pour ça, il faut une intervention humaine, à savoir celle des taggueurs. Il s'agit d'hommes et de femmes, dont une partie de la journée est consacrée à visionner du contenu de Netflix avant que ce dernier ne soit accessible à la totalité des utilisateurs, dans le but d'y apposer les mots-clés qui vont servir à la contextualisation.

Netflix dispose donc d'employés externalisés qui sont littéralement payés pour pratiquer le binge-watching. « C'est assez peu payé » souligne Max Roman face à l'incrédulité de l'auditoire. « Les gens qui font ça le font souvent en complément d'une autre activité, ce n'est pas un travail à plein temps. »

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Des tags très précis

En tout, ce sont une quarantaine de « taggueurs » qui travaillent pour Netflix. La plupart sont Américains, mais parlent des langues différentes. Il y a parmi eux un Français, mais qui travaille depuis les Etats-Unis. Le job consiste à contextualiser le plus précisément possible le contenu, avec des mots-clés qui peuvent former une longue phrase très précise. On se retrouve donc, par exemple, avec une rubrique « films mettant en scène un personnage féminin fort dont l'histoire est adaptée d'un roman » ou « une course contre la montre bourrée d'adrénaline avec de l'action et de l'aventure ».

Des qualificatifs qui prêtent à sourire, mais qui répondent à des demandes spécifiques. A côté de cela, on trouve des catégories plus traditionnelles : thrillers, actions, comédies... et d'autres, qui ciblent certains points importants du contenu, comme sa localisation : « Si l'algorithme constate qu'un abonné visionne beaucoup de films dont l'action se passe à Washington, alors il va lui proposer d'autres contenus qui se déroulent dans la même ville » explique Mike Hastings.

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L'objectif est toujours le même : plus l'offre est personnalisée en fonction des goûts des abonnés, et plus ces derniers trouveront un intérêt à rester sur le service, et donc à payer l'abonnement. Une logique implacable, appuyée par Hastings et Roman par une sélection de tweets où les internautes vantent les mérites des suggestions. Suggestions qui, cependant, varient d'un pays à l'autre, en fonction de la richesse du catalogue.

L'A/B testing, ou l'optimisation participative

Les algorithmes automatiques et le binge watching des employés de Netflix font une grande partie du travail, mais une autre partie est réalisée, sans le savoir, par les utilisateurs eux-mêmes.

Todd Yellin est la tête pensante en chef en matière d'innovation produit. C'est lui qui nous explique le principe des tests A/B menés par Netflix : se baser sur les choix de la communauté pour optimiser l'expérience globale, à travers une forme de sondage camouflé. Chaque année, Netflix mène plusieurs centaines de tests A/B.
Le principe s'avère très simple : la plateforme divise les utilisateurs en un certain nombre de panels, et soumet chaque panel à une expérience légèrement différente, pour tester les effets d'un changement d'interface, par exemple. La solution qui affiche les résultats les plus probants est alors adoptée.

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« Il ne faut pas faire de fausses promesses »

Les abonnés sont, ainsi, les principaux cobayes du service. Todd Yellin donne l'exemple des vignettes affichées pour les nouveaux programmes de Netflix : six vignettes sont testées à chaque fois. L'objectif est de déterminer quelle vignette va être le plus cliquée, mais surtout, laquelle va entraîner le plus d'engagement de la part des utilisateurs. Car il ne suffit pas de cliquer pour faire de l'opération un succès : il faut que les abonnés visionnent ensuite le contenu.
Le service est très prudent dans cette démarche. L'exemple des vignettes de la série Jessica Jones est assez révélateur : sur les six exemples, on voit l'héroïne, soit en photo soit en dessin, avec une tenue différente. Sur l'une d'elles, elle semble dénudée. On pourrait croire que cette vignette aurait gagné les tests, mais ce n'est pas le cas : c'est un visuel dessiné façon comics qui a remporté le test A/B.

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Les différentes vignettes testées pour Jessica Jones étaient très différentes les unes des autres. La première a gagné le test final.

Pourquoi ? « Les utilisateurs ne sont pas dupes » explique Todd Yellin. « Jessica Jones est une série avec des scènes de sexe, mais ce n'est pas le sujet principal de la série. Si, dès la vignette, on vend la série comme étant une série sexy avec une héroïne dénudée, alors on fait une fausse promesse et l'abonné ne va pas regarder. » Le résumé de Yellin est simple : « On veut un visuel dans lequel les utilisateurs reconnaissent la série. Notre objectif n'est pas de faire du clickbait. »

800 millions de dollars en R&D

Netflix ne laisse rien au hasard quand il s'agit de rendre ses utilisateurs addicts. La plateforme compte investir en 2016 pas moins de 800 millions de dollars en recherche et développement. Un chiffre important mais cependant pas aussi imposant que le budget dédié à l'acquisition et à la production de contenu, qui s'élèvera à 5 milliards de dollars cette année.

Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques...

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Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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