Le marronnier revient chaque année, mais en 2025, il a enfin trouvé de quoi s’alimenter. Fin du support de Windows 10, progression de Linux sur Steam, distributions pensées pour les transfuges de Windows, et gros travail de fond sur la fiabilité des mises à jour. Linux ne va pas avaler Windows en douze mois, mais 2026 peut acter quelque chose de très concret si l’essai se transforme en adoption durable.

Linux a gagné du terrain en 2025 mais en 2026, il faudra tenir la distance. © Imagentle / Shutterstock
Linux a gagné du terrain en 2025 mais en 2026, il faudra tenir la distance. © Imagentle / Shutterstock

Ces dernières semaines, « l’année Linux » a quitté les blagues de forums pour devenir un sujet de salon. Pas parce que tout le monde s’est réveillé amoureux du terminal, mais parce que l’écosystème PC a bougé d’un bloc. Microsoft a fermé le robinet des mises à jour de Windows 10 pour les configurations non inscrites à l’ESU, Windows 11 a continué d’imposer ses exigences matérielles, et Valve a fait ce qu’elle fait depuis quelques années déjà, améliorer Linux sans demander la permission à personne. Résultat, un nouveau mouvement prend de l’ampleur : des gens ordinaires installent Linux par choix.

Un alignement de planètes, mais pas une révolution

Soyons honnêtes, en cette fin d’année, Linux ne fait toujours pas de miracles. StatCounter le place à 3,05 % des parts de marché sur PC en novembre 2025, ce qui ne menace en rien la domination de Windows. Le chiffre donne une idée de la tendance, pas une photo parfaitement fidèle du desktop, puisqu’il s’appuie sur des mesures d’audience web et des catégories parfois floues. En revanche, là où la dynamique devient intéressante, c’est dans des usages bien identifiés, à commencer par le jeu. Selon le Steam Hardware & Software Survey, Linux atteint 3,2 % en novembre 2025, son niveau le plus élevé à ce jour. Le chiffre reste modeste, mais il marque un seuil inédit.

Ce record doit beaucoup à une évolution discrète, mais déterminante. Linux s’est installé dans l’écosystème Steam sans s’imposer comme un sujet. Avec le Steam Deck et SteamOS, clairement l’éléphant dans la pièce, l’OS s’est glissé dans les mains de joueuses et joueurs qui ne cherchaient ni à changer de système, ni à apprendre de nouveaux réflexes. Proton a fait le reste, en rendant jouable une bonne partie du catalogue Windows sans transformer chaque session en atelier bricolage. Résultat, une bonne partie du jeu PC fonctionne désormais sous Linux sans que le système lui-même n’entre vraiment en ligne de compte. Ce n’est pas une conversion assumée, encore moins un choix revendiqué, mais un glissement presque imperceptible, rendu possible par un environnement qui privilégie l’expérience avant la plateforme. Ce qui, au fond, est peut-être la meilleure publicité possible pour Linux.

L’autre accélérateur tient en une date, le 14 octobre 2025. La fin de vie officielle de Windows 10 a fait sauter une routine installée depuis dix ans, à savoir laisser sa machine vivre, ignorer les pop-ups, faire les mises à jour quand on y pense. D’un coup, des millions de propriétaires de PC se sont retrouvés face à trois options très concrètes : accepter Windows 11 si la machine le permettait, prolonger Windows 10 en passant par l’extension de support, soit au prix de la création d’un compte Microsoft, soit en sortant la carte bleue, ou changer de système. Dans un sondage publié par l’association Which? au Royaume-Uni, 6 % des personnes interrogées disaient envisager un OS alternatif comme Linux.

Alors bien sûr, on parle ici d’intention, pas d’un transfert acté, mais c’est déjà un déclic. Linux n’est plus un délire de forum réservé aux convaincus. Pour une partie du grand public, c’est devenu une alternative crédible, moins intimidante, moins « truc de nerd », et surtout peut-être plus simple à vivre qu’il y a quelques années.

Et puis il y a l’effet boule de neige, celui qu’on mesure mal mais qu’on devine dans les chiffres mis en avant par certaines distributions. On pense par exemple à la poussée côté Zorin OS, dont les développeurs disent avoir enregistré des volumes de téléchargements très élevés sur la courte période qui a entouré la fin de Windows 10. Rien qui prouve que tout ce beau monde a adopté Linux pour de bon (un téléchargement n’est pas une adoption, et une installation n’est pas une machine utilisée tous les jours), mais une info qui tend à suggérer qu’on ne parle plus d’un micro-phénomène réservé aux initiés. Installer Linux sur un vieil ordi n’a plus tout à fait le goût de l’aventure, et, à l’échelle du PC grand public, c’est déjà un petit événement culturel.

La fin de Windows 10 a poussé une partie des utilisateurs et utilisatrices à envisager Linux comme issue de secours. Une décision notamment encouragée par des interfaces proches de celles de l'OS de Microsoft. © Zorin
La fin de Windows 10 a poussé une partie des utilisateurs et utilisatrices à envisager Linux comme issue de secours. Une décision notamment encouragée par des interfaces proches de celles de l'OS de Microsoft. © Zorin

Des efforts côté Linux pour transformer l’essai

Le frein historique de Linux sur le bureau n’a jamais été seulement l’interface. Le vrai caillou dans la chaussure, celui qui use sur la durée, tient à la confiance. La peur de casser son système pour une broutille, la crainte de tomber sur un souci de pilote, cette sensation diffuse qu’il faut surveiller sa machine plutôt que l’utiliser, et cette désagréable impression de marcher sur une mine dès qu’une mise à jour s’en mêle.

Depuis quelques années, une partie du monde Linux s’est justement attachée à travailler là-dessus, suivant une logique censée changer le rapport au risque. Au lieu d’empiler des paquets et des dépendances dans un système vivant, certains projets s’appuient désormais sur des bases dites immuables et des mises à jour atomiques. En clair, on déploie une nouvelle version complète, on redémarre, et si quelque chose déraille, le retour arrière fait partie du plan, au lieu de ressembler à une opération de sauvetage improvisée.

On voit cette approche se matérialiser dans des projets qui visent clairement le bureau grand public, mais pas que. Fedora la pousse avec ses Atomic Desktops comme Silverblue ou Kinoite, qui permettent de revenir à un état précédent en cas de pépin. openSUSE avance depuis longtemps avec ses mises à jour transactionnelles et ses instantanés, justement pensés pour éviter l’effet roulette russe. Et KDE tente désormais de cadrer l’expérience avec KDE Linux, ex-Project Banana, présenté comme une vitrine plus « officielle » de Plasma, avec une base immuable et une distribution plus rassurante que surprenante.

Dans le même mouvement, Linux a aussi simplifié un sujet beaucoup plus terre-à-terre, installer des applications sans partir en expédition. Les formats Flatpak, Snap ou AppImage, avec leurs boutiques et leurs dépendances embarquées, ont rendu l’installation plus prévisible.

En parallèle, le chantier de la compatibilité logicielle a avancé sur deux fronts. D’abord parce qu’une partie des usages du grand public s’est déplacée vers le web, ce qui réduit mécaniquement la dépendance à un OS précis. Ensuite parce que Wine, et surtout Proton côté Steam, ont rendu une partie du monde Windows accessible sous Linux sans dual boot ni machine de secours. Rien n’est universel, et certains logiciels resteront hors de portée, mais la barrière psychologique n’a plus la même tête quand une appli ou un jeu a de bonnes chances de tourner.

Et pour que l’essai ne s’arrête pas au stade de l’installation, un troisième chantier s’est imposé comme le plus décisif : rendre le passage à Linux le moins déroutant possible. Des distributions comme Zorin OS assument des environnements proches des repères Windows, non pas pour singer, mais pour éviter l’effet « je ne retrouve rien » qui déclenche un retour en arrière express.

Cette triple-évolution compte presque autant que les parts de marché. Elle s’attaque au vrai sujet, la capacité à tenir sur la durée. Un système qui s’installe en vingt minutes n’a jamais été le problème. Le problème, c’est la semaine où tout se goupille mal, la mise à jour qui coince, le périphérique capricieux, l’appli indispensable qui refuse de démarrer.

De plus en plus de distributions Linux travaillent à une meilleure stabilité, notamment Fedora avec Silverblue et Kinoite. © Eldis Skenderagic / Shutterstock

2026 ne dira pas qui installe Linux, mais qui s’y tient

C’est d’ailleurs ce qui devrait rendre 2026 intéressante. Les installations, on sait les compter. Les abandons, beaucoup moins. Et c’est exactement ce qui fera la différence entre une « année Linux » et un pic opportuniste lié à la fin de Windows 10, qui sert d’ailleurs encore de béquille à bon nombre de configurations.

Parce qu’installer Linux en décembre et tenir jusqu’à juin, ce n’est pas la même histoire. L’essai peut très bien se passer au début, surtout si votre vie numérique tient dans un navigateur, quelques outils bureautiques, un client mail, et Steam. Et puis, au bout d’un moment, il y a le test que personne n’annonce, celui du quotidien qui sort des rails. Le logiciel non compatible Linux, la contrainte qui arrive sans prévenir, ce détail banal qui marchait sur Windows et qui, là, demande de chercher une solution, de contourner, de bricoler un peu. Toutes ces petites choses qui, mises bout à bout, finissent par dégrader l’expérience et faire du retour vers Windows la solution de facilité.

Linux a pourtant de sérieux atouts en main pour limiter ces décrochages. Les distributions prêtes pour le grand public ont gagné en polish, les boutiques d’applications via Flatpak ont simplifié l’installation de logiciels, et les projets orientés jeu vidéo type Bazzite ont compris l’essentiel. Quand on fait partie du grand public, on n’adopte pas un système pour sa philosophie, mais parce qu’il se laisse utiliser. Et c’est précisément ce genre d’efforts, répétés et cumulés, qui peut transformer une vague d’installations en adoption durable.

Bref, si l’on entend par « année Linux » un basculement massif du desktop, on n’y est pas. L’écosystème PC ne dépend pas que de Linux, et l’inertie de Windows, des habitudes et des logiciels métiers pèse encore trop lourd dans la balance. Même avec une distribution aux petits oignons, les utilisateurs et utilisatrices restent tributaires de choix faits ailleurs. Un éditeur qui ne propose pas de version Linux, un service pensé pour Windows, un constructeur qui tarde à assurer un support propre, une procédure d’entreprise calibrée pour l’OS de Microsoft, et voilà qu’il faut contourner, adapter, faire avec.

En revanche, 2026 peut très bien marquer autre chose qu’un grand renversement, à savoir l’année où Linux cesse d’être un choix militant pour devenir un choix normal, une option qu’on envisage sans se raconter une histoire, parce qu’elle colle davantage aux usages réels et qu’elle demande moins de concessions qu’avant.

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