Il y a quelques mois, nous expliquions pourquoi les navigateurs IA étaient une fausse bonne idée. Quelques semaines plus tard, le paysage a bougé, mais pas toujours dans le bon sens : les agents se sont incrustés dans nos usages sans régler leurs problèmes de fond.

En 2025, ils ont échoué, le navigateur IA parfait arrivera-t-il en 2026 ?
En 2025, ils ont échoué, le navigateur IA parfait arrivera-t-il en 2026 ?

Mais bien évidemment, l'idée n'est pas de fermer les yeux et de refuser toute forme d'évolution. Il s'agit plutôt de déterminer ce qu'il faudrait concrètement pour qu'un navigateur "agentique" puisse faire partie de notre quotidien.

Un traitement rapide, sans compromis sur la confidentialité

ChatGPT Atlas qui met 16 minutes à faire une réservation, Comet qui rame pour ajouter trois produits au panier, Opera Neon qui invente un mail et un numéro de téléphone quand il tente de réserver un restaurant… pour un outil censé simplifier la vie, le démarrage était calamiteux. Le problème de fond n'est pas tant les bugs que l'architecture elle-même. Tant que chaque action dépend d'un aller-retour vers un gros modèle dans le cloud, on traîne de la latence, des erreurs et une impression générale de lourdeur.

Pire encore, cette dépendance au cloud pose un problème pour la vie privée. Ce n'est pas un secret : ces navigateurs collectent tout. Requêtes, documents, historiques, temps passé, contenus derrière des paywalls. Toutes ces informations remontent vers les serveurs d'OpenAI ou Google. OpenAI pousse d'ailleurs à activer "memories" pour "enrichir les bases d'apprentissage".

Mais le pire, c'est que non seulement les traitements sont longs, non seulement les données sont siphonées, mais en plus, on doit payer un abonnement pour ça !

Voilà toutes les données siphonnées par les navigateurs IA
À découvrir
Voilà toutes les données siphonnées par les navigateurs IA
26 septembre 2025 à 08h43
News

La solution est la même pour les deux problèmes : l'exécution locale. En septembre 2025, Genspark a lancé le premier navigateur IA capable de faire tourner 170 modèles IA différents directement sur votre machine , sans connexion internet. Remplir un formulaire, vérifier une date, résumer un paragraphe : tout s'exécute instantanément sur le processeur, sans latence réseau et sans jamais quitter l'ordinateur. Les navigateurs Brave et Sigma permettent également de configurer un modèle en local avec chiffrement. Même chose pour le navigateur Phew AI Tab, qui chiffre toutes les données synchronisées en AES-256 et permet même de stocker l'historique sur sa propre infrastructure Supabase plutôt que chez l'éditeur.​

Payer pour un logiciel qu'on utilise au quotidien, c'est logique. Mais en 2026, hors de question de perpétuer cette fuite de données. D'ailleurs, les GAFAM dans le collimateur de l'UE le savent bien. Si les versions IA de Chrome et Edge ne sont pas disponibles chez nous, c'est bien parce que, de base, elles ne respectent pas le RGPD.

Le navigateur Genspark

Alors oui, c'est vrai, faire tourner plusieurs dizaines de modèles IA directement sur sa machine, c'est rapide, c'est magnifique pour la vie privée. Mais ça exige un PC puissant. Un vieux laptop avec 8 GB de RAM et un processeur daté ne suffiront pas et la crise actuelle touchant la mémoire vive n'arrange rien. Firefox en a fait les frais. En extrapolant un peu, on aurait presque l'impression qu'une IA performante et respectueuse de la vie privée est un privilège.

La bonne nouvelle ? Le marché des navigateurs IA devrait atteindre 76,8 milliards de dollars d'ici 2034. On espère que cet afflux de capital servira à accélérer la R&D sur l'exécution locale.

Un navigateur qui ne fait pas l'impasse sur la sécurité

Les navigateurs IA ne souffrent pas de "simples failles" qu'il est possible de corriger en deux mises à jour, mais de problèmes liés à leur architecture même. Avec des LLM qui prennent n'importe quel texte pour une instruction, les "prompt injections" deviennent possibles depuis une simple page web.

Selon NeuralTrust, le cabinet de sécurité spécialisé dans les agents IA, nous nous dirigeons vers une "crise d'autonomie" en 2026. D'après leur dernier rapport, 72% des entreprises ont déployé ou sont en train de scaler les agents IA, mais seulement 29% ont mis en place des contrôles de sécurité spécifiques aux agents. Les attaques par "Indirect Prompt Injection" (où une instruction malveillante se cache dans une page web qu'un agent visite) seront la menace dominante de l'année.

On attend alors une couche de sécurité bien isolée du moteur de rendu classique mais également des garde-fou surveillant l'IA en permanence. D'ailleurs, en parallèle, ces mécanismes devraient également être mis en place par des tiers de confiance. Voilà, par exemple, comment une solution antivirus pourrait se démarquer l'année prochaine en promettant de bloquer l'envoi de données sensibles hors du réseau ou un paiement en ligne suspect.

Il y a un point positif : le mode Copilot de Microsoft for Business, en preview aux États-Unis depuis novembre 2025, intègre déjà une validation explicite des actions sensibles. ​

Un navigateur qui n'étouffe pas le Web

Si les agents IA résument les contenus sans renvoyer de trafic, les sites - les sources - ne peuvent donc plus financer la production de ces contenus. C'est typiquement le problème que cause actuellement Google AI Overviews. Et c'est la raison pour laquelle l'UE a ouvert une enquête sur le sujet.

Dès lors qu'un contenu est utilisé pour répondre à la question d'un internaute, l'éditeur ou le créateur de contenu devrait être identifié et rémunéré automatiquement, même si l'utilisateur ne clique jamais sur le lien. Après tout, l'information, elle, a été utilisée.

Search.com a lancé en octobre 2025 un nouveau modèle : payer les éditeurs 60% des revenus publicitaires générés par les requêtes. C'est novateur, et c'est une bonne avancée. De son côté, Perplexity a lancé un programme de revenue-share l'été dernier, permettant aux éditeurs de participer aux revenus générés par leurs contenus. Globalement, c'est donc plutôt positif.​

En 2026, pour éviter que le Web ne s'étouffe, on attend alors une généralisation, voire une régulation rapide de ce modèle avec un standard universel qui automatiserait la micro-rémunération. On se souvient que l'AFP avait porté plainte contre Google en mars 2005 pour l'indexation et l'utilisation de ses contenus. Il aura fallu attendre 14 ans pour la mise en place de droits voisins visant justement à indemniser les médias affectés.

Et puis tous les éditeurs n'ont pas forcément envie de voir leurs contenus indexés par des IA. Ces derniers devraient avoir plusieurs options : accepter l'indexation IA avec rémunération, la refuser totalement, ou n'autoriser que certains usages spécifiques.

Un navigateur assez intelligent pour ne pas surconsommer

Une requête ChatGPT consomme 68 g de CO₂ contre 0,2 g pour une simple recherche. Les navigateurs agentiques transforment la moindre interaction en requête IA. En janvier dernier, le Berkeley Labs estimait que la consommation des centres de données pourrait doubler, voire tripler d'ici à 2028. Et bien sûr l'IA n'est pas étrangère à ce phénomène.

Les spécialistes entrevoient quand même une IA plus verte avec le temps. C'est le cas de l'analyste Bernard Marr, dans ses 8 tendances majeures pour 2026. Pour sa part, l'entreprise Clarifai, spécialisée dans le traitement des images et vidéos par IA, parie sur une généralisation de modèles "Mixture of Experts" (comme Mistral 10x22B). Ces LLM sont capables de n'activer que certains éléments pour le traitement de chaque tâche. Il en résulte alors une vraie réduction de la consommation d'énergie. Clarifai estime que cette approche permet des modèles 10 fois plus grands sans pour autant nécessiter 10 fois plus d'énergie.​

Face à l'urgence écologique, continuer de déclencher un LLM complet pour résumer ou traduire un texte, n'a aucun sens. On attend donc davantage de finesse, une sélection intelligente du modèle par le navigateur. Cela sous-entend une architecture en cascade : des petits modèles locaux pour la majorité des usages, et de gros modèles distants uniquement pour les cas complexes. Finalement, c'est un peu ce qu'avait avancé Apple en juin 2024 en jouant l'argument d'une IA centrée sur la vie privée. Reste à savoir qui saura vraiment mettre en œuvre un tel dispositif en premier.

Un navigateur qui ne sacrifie pas l'accessibilité

Un navigateur qui prend tout le contrôle, non, ce n'est pas une bonne idée. Cela revient surtout à perdre en autonomie. Un agent qui hallucine pose un problème bien plus grave à quelqu'un qui dépend entièrement de lui, notamment une personne malvoyante.

Un bon navigateur IA devrait ressembler à un GPS bien conçu, pas à un pilote automatique qui verrouille d'emblée le volant. Un GPS affiche la carte, propose un itinéraire, signale les bouchons, mais laisse toujours la possibilité de voir où l’on se trouve et de changer de route si on le décide. On peut zoomer, explorer les alentours, ignorer la suggestion. Les navigateurs IA actuels ont tendance à faire l’inverse : ils ne donnent que la “voix” du GPS sans la carte. L’agent résume la page, choisit les liens, filtre ce qu’il juge pertinent et, souvent, n’affiche même plus le site d’origine. À réduire l’internaute au rôle de passager passif, on perd l’accessibilité.

Là encore, on a quelques prémices fonctionnelles. Avant son rachat par Atlassian pour 610 millions de dollars en août 2025, le navigateur Dia avait tenté une approche intéressante : des "Skills" personnalisables où l'utilisateur définit le niveau d'assistance. Pas de prise de contrôle automatique. Edge Copilot Mode offre aussi des modes alternatifs où l'utilisateur reste toujours au volant. ​

Après un premier jet en 2025, que donnera 2026 ?

Le navigateur IA parfait arrive-t-il en 2026 ? On émettra quand même quelques doutes ! On attend un traitement rapide, avec une IA locale, et pas simplement une raison de plus de siphonner nos données, mais un navigateur respectueux, en évitant de transformer chaque clic en matière première pour l’entraînement d’un modèle. Par ailleurs, le navigateur reste le logiciel le plus utilisé au monde et, quelle que soit l'innovation introduite, il doit coûte que coûte rester sécurisé. Si l'IA est en pleine ébullition, elle ne doit pas faire de l'ombre aux créateurs. Le navigateur IA de demain doit aussi être plus juste, en prévoyant une rémunération pour les sites dont il exploite le contenu. Il sera assez intelligent pour être sobre, sans lancer une usine à gaz énergétique pour chaque micro-tâche. Enfin, il restera transparent, en accompagnant la navigation sur le Web plutôt qu’en s’interposant entre l’internaute et les sites qu’il visite.

En attendant, les utilisateurs ne sont finalement que des bêta-testeurs, qu'on invite à payer pour des navigateurs mal pensés qui sacrifient leur expérience sur l'autel d'une IA encore trop immature pour justifier son intégration.

À découvrir
Navigateurs IA, la fausse bonne idée dont personne n'a besoin
27 octobre 2025 à 08h26
Décryptage