Des scientifiques du MIT font un pas de géant vers la fusion nucléaire

11 septembre 2021 à 12h55
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Vue schématique du SPARC, démonstrateur du réacteur ARC. On constate que son volume est considérablement plus réduit que celui d'ITER. © T. Henderson/CFS/MIT-PSFC
Vue schématique du SPARC, démonstrateur du réacteur ARC. On constate que son volume est considérablement plus réduit que celui d'ITER. © T. Henderson/CFS/MIT-PSFC

La course à la fusion nucléaire se poursuit dans le monde entier. Si la plupart des regards (et des financements) sont tournés vers le projet international ITER, en construction dans le Sud de la France, d’autres initiatives se poursuivent, avec des calendriers parfois plus ambitieux.

C’est notamment le cas du projet ARC du MIT. Le célèbre institut de recherches américain a récemment dévoilé une avancée majeure dans le domaine des électroaimants utilisés pour le champ de confinement.

Mettre le « Soleil en bouteille »

Le principe du réacteur à fusion consiste à reproduire dans une enceinte confinée les processus de fusion de l’hydrogène qui se produisent naturellement au cœur d’une étoile. En fusionnant dans un réacteur à fusion, deux atomes d’hydrogènes libèrent une énergie folle. Sous forme thermique, cette énergie peut alimenter une turbine à vapeur, comme sur n’importe quelle centrale électrique.

Mais pour atteindre la fusion contrôlée, il faut reproduire les conditions infernales qui règnent au cœur du Soleil. Cela nécessite de chauffer un mélange d’isotopes de l’hydrogène (deutérium et tritium) à des températures extrêmes. On parle alors de plasma, le tout dans une enceinte sous vide. Et il est question ici de près de 150 millions de degrés ! De quoi faire fondre instantanément n’importe quel matériau.

Pour contenir notre « soleil artificiel », il faut donc une bouteille… immatérielle. On utilise pour cela un champ de force électromagnétique, qui maintient le plasma en suspension, loin des parois du tokamak, comme on appelle ce dispositif de confinement magnétique en forme de tore (donut). Ce champ de force est le plus souvent créé par des électroaimants très puissants, assemblés avec une grande précision.

Malgré la chaleur intense produite au sein du tore, ces électroaimants utilisent généralement des matériaux supraconducteurs qui nécessitent de très basses températures. Sur ITER, les électroaimants seront ainsi maintenus à -269°, très proche du zéro absolu ! Si on sait déjà construire et opérer des tokamaks, les réacteurs à fusion actuels ne sont pas encore capables de produire plus d’énergie qu’il n’en faut pour alimenter le plasma, et encore moins de le faire dans la durée.

Vu du dessus du premier aimant testé par le MIT. Assemblés, des dizaines de ces aimants pourraient former un tore dans lequel circulera le plasma. © MIT
Vu du dessus du premier aimant testé par le MIT. Assemblés, des dizaines de ces aimants pourraient former un tore dans lequel circulera le plasma. © MIT

ARC : des aimants plus puissants et économes pour le réacteur du MIT

C’est là que se positionnent les recherches du MIT, et de la start-up Commonwealth Fusion Systems, elle-même un spin-off du Plasma Science & Fusion Center du MIT. Plutôt que de chercher à révolutionner le concept même de la fusion, le MIT reprend l’architecture conventionnelle des tokamaks, mais leur applique une percée technologique réalisée par CFS. En moins de trois ans, cette petite start-up a été en mesure de développer un électroaimant exploitant des supraconducteurs haute température (on parle tout de même de -253° !) permettant d’émettre un champ magnétique bien plus fort, dans un volume plus réduit, tout en nécessitant moins d’énergie pour son alimentation et son refroidissement. Et comme un champ magnétique deux fois plus puissant permet une puissance de fusion 16 fois plus importante, on comprend rapidement l’intérêt de tels gains sur les électroaimants !

Le 5 septembre, un grand électroaimant exploitant des supraconducteurs à haute température a donc pu générer un champ magnétique de 20 teslas. Environ quatre fois plus puissant que le champ magnétique prévu pour ITER, il s’agit tout simplement du plus puissant champ magnétique jamais atteint pour un aimant de ce type.

Pour les responsables du projet ARC, ces nouveaux électroaimants pourraient permettre de concevoir un tokamak opérationnel d’une puissance de 500 MW présentant un volume 40 fois plus restreint que celui prévu pour le projet ITER. Pour rappel, l’ensemble machine d’ITER mesure 29 m x 29 m. Pour le MIT, cet impressionnant changement d’échelle serait rendu possible par la création d’un champ continu d’une dizaine de teslas, contre 5,3 teslas prévus pour ITER.

Le calendrier ambitieux du MIT

Avec cette démonstration technologique, le MIT et CFS annoncent être dans les temps pour appliquer leur très ambitieux calendrier de développement. Un démonstrateur à échelle réduite du projet ARC, le SPARC, pourrait ainsi être opérationnel en 2025. L’institut technologique ambitionne donc, dans quelques années à peine, de démontrer la capacité à produire au moins deux fois plus d’énergie qu’on n’en injecte dans le plasma, même si une série d’articles laisse penser que le gain pourrait être encore supérieur.

La première centrale opérationnelle, reliée au réseau électrique, pourrait alors être mise en ligne dès 2033. On est ici bien loin du calendrier du projet ITER, qui n’atteindra pas sa pleine puissance avant 2035 et qui n’a de toute manière pas ambition à produire directement de l’énergie électrique, mais uniquement 500 MW thermiques permettant de valider le concept. Avec son volume réduit et ses délais de développement raccourcis, ARC pourrait être produit en série bien plus rapidement qu’une version opérationnelle d’ITER.

L’enthousiasme du MIT et de CFS doit tout de même être pondéré. Si leurs électroaimants à supraconducteurs à haute température permettront peut-être de répondre à une partie des défis liées à la fusion nucléaire, c’est loin d’être le seul point bloquant. Pour réellement produire de l’énergie à l’échelle commerciale, un tokamak devra pouvoir fonctionner de manière continue, avec une fiabilité sans faille, en supportant des conditions environnementales qui restent infernales. Il devra aussi pouvoir produire son propre tritium. Et, dans tous les cas, la fusion ne sera pas une solution magique, et elle mettra plusieurs décennies avant de réellement pouvoir peser dans la balance énergétique à l’échelle mondiale. La partie est donc encore loin d’être jouée.

Source : MIT

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Commentaires (35)

xeno
Iter viens de se faire livrer un aimant de 13 Teslas pour info
SlashDot2k19
Vous pourriez préciser quelles sont les valeurs des « hautes températures » pour les supraconducteurs
GRITI
Si je ne me trompe pas, la source (MIT) ne l’indique pas. Donc si eux ne le précise pas, plutôt difficile pour le rédacteur de donner cette information non?
serged
Faute de frappe ?<br /> «…les électroaimants seront ainsi maintenus à moins de 270 °C » pas plutôt moins de -270°C (soit 3,15 kelvins) ?
GRITI
Probable en effet. Je l’ai signalé. Merci.
Voigt-Kampf
J’aimerai bien voir cette solution fonctionnelle de mon vivant…
bennukem
Quand on aura un réacteur en production qui maintiendra une fusion autant que souhaité, on pourra dire «&nbsp;wow on l’a fait&nbsp;».<br /> Faut pas oublier tout de même qu’un réacteur à fusion, c’est bien plus sur des aimants.
Werehog
Quand on voit les investissements colossaux déployés dans certains secteurs comme la téléphonie, qui produisent des améliorations extraordinaires en très peu de temps, je me dis que c’est bien dommage de ne pas avoir mis autant d’effort dans l’énergie, qui a un impact direct sur le climat et la qualité de vie du monde entier.<br /> L’énergie est une problématique vitale, le médical aussi, et ce sont des secteurs qui mériteraient d’être améliorés bien plus vite qu’actuellement…
YSmaldore
Je pense que la team relecture a cru que je m’étais trompé en parlant de ‹&nbsp;‹&nbsp;hautes températures&nbsp;›&nbsp;› à -253°, et a ‹&nbsp;‹&nbsp;corrigé&nbsp;›&nbsp;› le texte (il faut reconnaître qu’on parle de chiffres qui font tourner la tête).<br /> Dès que je repasse devant mon ordi, je remettrai en ligne la version initiale du texte. Désolé pour l’inconvénient !
YSmaldore
Si si la source en parle, de mémoire c’est -253 ou -254°. C’était indiqué dans le texte que j’ai mis en ligne, mais l’équipe chargée de la relecture a du penser que j’avais fait une faute de frappe en associant le terme «&nbsp;haute température&nbsp;» à un chiffre négatif de cette importance. Je corrige au plus vite.
YSmaldore
Le texte original a été restauré. Merci à tous pour votre vigilance.
Kratof_Muller
Le risque des tokamaks est principalement la disruption, celle ci peut se caractériser comme le passage d’un état linéaire et encadré du plasma à une forme dure à prévoir de disruption. Un exemple simple pour comprendre est la fumée d’une cigarette, la fumée monte droit et d un coup commence à faire des volutes, difficiles à prévoir.<br /> Si ce phénomène n’est pas intégralement contrôlé, du plasma en volutes peut s’ échapper du confinement magnétique et lécher les revêtements de tungstène ou d acier des parois du tokamak provocant un empoisonnement du milieu de la réaction, les réactions de fusions pourraient alors être incontrôlées et provoquer un accident gravissime.
GRITI
D’un côté on a:<br /> called ITER, uses what are known as low-temperature superconductors.<br /> Et plus loin:<br /> The major innovation in the MIT-CFS fusion design is the use of high-temperature superconductors<br /> Après recherche:20210911_1309461071×567 140 KB
Wifi93
Oui Griti, ce qu’il faut comprendre de l’avancé du MIT, c’est la possibilité de faire de la fusion avec une enceinte magnétique devant être maintenue plutôt qu’à une température extrêmement basse, à une température plus raisonnable nécessitant donc moins d’énergie pour la maintenir à température. Et si tel est le cas, le projet de Cadarache pourrait être mort avant même sa mise en service ?
twenty94470
La compétition se fera encore une fois entre les usa et la Chine qui chaque année annonce des record de températures (120 millions °) en 2021.
Bestdoud
Si il produit 2 fois plus d’énergie qu’il en consomme, ca veur dire qu’il peut s’auto alimenter et en laisser la moitier soit pour notre besoin soit pour un deuxieme qui lui nous fournira la totalité
Guillaume1972
Moi, ce que j’aimerai, c’est qu’un jour un équipement devienne domestique et soit proposé à la vente pour particuliers ou bien pour un hameau, voire pour une agglomération.
YSmaldore
Alors de ce qui m’a été expliqué, ce n’est pas tant que la différence de température consomme moins d’énergie pour le refroidissement (même si c’est vrai). C’est surtout que les nouveaux matériaux, effectivement plus chauds (enfin… moins froids), permettent de créer des champs magnétiques bien plus fort. Or, comme dit dans l’article, un champ magnétique 2x plus puissant permet une fusion x16 (puissance 4). Et c’est surtout ça qui permettra de produire plus d’énergie.<br /> Même si ce nouveau matériaux consommait autant que les anciens pour son refroidissement, il y aurait quand même un gain gigantesque.<br /> Quand à savoir si ITER est mort né? Difficile. Il y a de gros défis partout, et la physique sur un réacteur aussi gros que celui d’ITER n’est pas connue à la perfection. Réussir une fusion nette positive est une première étape. Pouvoir industrialiser le concept à grande échelle en est une autre. Et du coup, autant explorer toutes les options. Même s’il est probable que certaines resteront sur le bord de la route in fine.
YSmaldore
C’est effectivement le principe du réacteur à fusion, et d’ailleurs de n’importe quelle centrale électrique: réussir à produire plus d’énergie qu’on en consomme pour la production.<br /> Pour le moment, l’énergie injectée dans le plasma reste supérieure ou égale à celle pouvant être générée par la réaction de fusion au coeur du plasma. Mais on espère (depuis longtemps) pouvoir changer ça.
Voigt-Kampf
Je suis d’accord, la solution la plus immédiate est une gestion à petite échelle/communauté de la production d’énergie, avec des solutions plus ou moins renouvelables. Cela règlerait déjà pas mal de problèmes. Cela dit ce n’est pas l’objectif dans une société capitaliste…<br /> …en attendant l’article dit bien que l’ITER demande une surface de 29m x 29m (soit environ 900m²) et qu’avec ces nouveaux aimants il en demanderait 40 fois moins. De quoi continuer de rêver un futur où des communautés en petits hameaux auraient chacune leur minuscule centrale à fusion produisant une quantité phénoménale d’énergie…
sebstein
Bah oui, c’est un peu le principe de n’importe quelle centrale électrique… produire plus que ça ne consomme, sinon ça n’a aucun intérêt…
nelectron
Avec des tuiles solaires + des éoliennes c’est possible, et immédiatement envisageable, alors que la fusion ça fait plus de 50 ans qu’on en parle mais ce ne sont que des promesses, et je ne pense pas que cela puisse être miniaturisé
pecore
Si je lis bien l’article l’avancée se fait surtout au niveau du champs de confinement et de l’énergie utilisée pour le générer et le maintenir. C’est bien, mais il me semble que c’est l’un des défis technologique les moins difficiles et qui tient plus de l’optimisation de technologies déjà existantes que de vraies avancées. Un réacteur à fusion c’est un peu plus que des gros aimants tout de même.<br /> Si c’est tout ce que le MIT a dans les cartons, leur calendrier de 2025/2033 me semble bien optimiste, pour ne pas dire douteux.
OlivierJD
Étant donné que les atomes d’hydrogène sont confinés dans un tore magnétique, comment est récupéré l’énergie (chaleur) produite ?<br /> En tout cas espérons que ça fonctionne un jour
olivierEric
On pourrait aussi se dire, le projet ITER à servir le MIT à aller plus loin.
alsaco67
Quand je suis rentré en fac de sciences il y 36 ans exactement, le fusion était déjà annoncée comme LA source d’énergie de l’avenir.<br /> Je tire mon chapeau à toute la communauté scientifique qui oeuvre souvent dans l’ombre avec passion et finalement pas payée pour leurs compétences et travail
Brisco77
Sans vouloir chipoter, ici, nous parlons plutôt de «&nbsp;très basse température&nbsp;», me semble t’il… Température négative pour le refroidissement, positive pour la fusion
notolik
Peu de chances que cela arrive. Car une fois qu’il parviendront à un réacteur stable, il faudra parvenir à collecter l’énergie, puis à industrialiser le tout, et enfin à construire une centrale…
Fodger
La question naïve mais de bon sens est : que se passera t’il si le champ électromagnétique se coupe ?
dFxed
La réaction s’arrête instantanément, sans oublier d’endommager les parois du réacteur.
YSmaldore
Oui et non. En matière de supraconducteurs, on distingue les «&nbsp;basses&nbsp;» et «&nbsp;hautes&nbsp;» températures, mais il s’agit à chaque fois de températures largement négatives en degrés Celsius. Mais la «&nbsp;température&nbsp;» que nous utilisons n’est qu’une norme arbitraire. A l’échelle des supraconducteurs, c’est au zéro absolu qu’il faut se référer, et certains matériaux deviennent supraconducteurs à des températures plus élevées que d’autres.
dancod
Les investissements sont tout aussi colossaux dans l’énergie, mais malheureusement ce n’est pas dans la R&amp;D, mais dans la maintenance des centrales nucléaires hors d’âge que les gouvernements qui n’ont jamais prévu de budget pour les démanteler maintiennent en vie coûte que coûte, quitte à mettre les populations en danger (voir la Belgique qui très cyniquement distribue des comprimés d’iode)
orionb1
on mets en danger en distribuant des comprimés d’iode ?
dancod
Non on ne met pas en danger en distribuant les comprimés d’iode, mais on admet très clairement le risque imminent d’accident nucléaire lorsqu’on le fait.
orionb1
On les distribue, ça ne veut pas dire que le risque est imminent<br /> c’est juste de la gestion des risques<br /> il est très rare d’avoir un incendie dans un immeuble, pourtant on mets des extincteurs, des porte coupe feu, on fait des exercices d’évacuation
Blackalf
Et si on n’en distribuait pas, on dirait «&nbsp;manque de prévoyance&nbsp;», alors bon… <br /> Si le gouvernement refait des stocks de masque, est-ce cynique ? est-ce que ça sous-entend qu’on espère une autre pandémie ?
dancod
Ah, donc en fait c’est la France qui fait pas bien: circulez, il y a rien à voir, il va rien se passer…<br /> Attention hein, je suis pas contre le nucléaire, au contraire. Par contre, je pense qu’on a complètement laissé passer le train en n’investissant que dans la maintenance mais pas dans la R&amp;D
orionb1
tu n’es peut-être pas au courant, mais en France aussi on distribue de l’iode autour des centrales<br /> sinon, oui, entièrement d’accord, la France était leader et est passé à côté de l’innovation. Déjà à cause des écolos du temps de Super Phénix et maintenant Astrid est en rade.<br /> Pendant ce temps, la petite Belgique a encore un projet de GenIV en lice (Myrrha) même si le financement arrive beaucoup trop lentement sans doute<br /> Et Canada, USA, Chine, Russie avancent chacun sur la GenIV également, il me semble. Le plus prometteur semble être au Canada avec Terrestrial. Ce sont ceux qui sont le plus avancé et pourraient être les premiers à vendre un réacteur commercial chez nous (je ne pense pas qu’on achèterait à la Chine ou à la Russie)
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