François LOOS, Ministre de l'industrie : "Quaero a vocation à créer un acteur mondial."

02 janvier 2006 à 00h00
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Télécoms, logiciels, services en ligne : François LOOS répond aux questions de NetEco et dévoile les priorités gouvernementales pour 2006

JB - Monsieur le Ministre, bonjour. La libéralisation de l'énergie ou des transports s'est accompagnée de la création d'un réseau de transport d'électricité et d'un réseau ferré de France respectivement distincts EDF ou de la SNCF. Pourquoi la libéralisation des télécoms ne s'est pas accompagnée d'un "Réseau Télécom de France" distinct de ?

FL - Le contexte est complètement différent d'un secteur à l'autre. Dans le domaine ferroviaire, les voies ferrées constituent un monopole naturel ; il serait absurde de les dupliquer. Dans le domaine de l'électricité, le transport demeure en monopole. Dans ces deux secteurs on a donc séparé la partie concurrentielle et la partie en monopole. Le secteur des télécommunications, lui, est entièrement ouvert à la concurrence. Certes, la concurrence est encore très réduite sur certains segments mais la frontière entre domaine concurrentiel et domaine non concurrentiel est évolutive et il pourrait être hasardeux de la figer dans l'organisation de l'opérateur historique. C'est pourquoi, on a préféré recourir à des méthodes plus légères, comme la séparation comptable, pour vérifier qu'il n'y a pas de subventions croisées entre prestations en concurrence et prestations en monopole ou quasi-monopole.

JB - Selon l'ARCEP, la France compte désormais plus de 8 millions d'abonnés au haut débit dont près de 95% équipés en ADSL. L'objectif gouvernemental de 10 millions d'abonnés fin 2007 devrait être atteint dès la mi- 2006. C'est une surprise de voir passer la France du rang de mauvais élève à celui de premier de la classe?

FL - Voir la France passer au premier plan européen en matière de haut débit est une bonne nouvelle mais ce n'est pas une surprise. C'est le résultat de nos efforts pour mettre en place un cadre favorable au développement de la concurrence sur le haut débit s'appuyant principalement sur le dégroupage de la boucle locale de France Télécom. Grâce à une politique volontariste en matière de dégroupage, la part de marché de l'opérateur historique est passée au dessous de 50%, les prix ont baissé très rapidement et l'innovation a été stimulée. Le "triple play" est ainsi devenu la norme en France, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays d'Europe.

JB - Après la ville de Pau, c'est au tour du département des Hauts-de-Seine de s'équiper en Fibre optique. Quel regard portez vous sur cette question du "très haut débit" ? Partagez vous l'ambition du sénateur Tregouet, également membre du Parti Radical, d'offrir du 100 Mb/s à tous les français ? Les collectivités locales ne risquent-elles pas d'accoucher d'un "concorde des télécoms", certes très rapide mais difficile à rentabiliser ?

FL -C'est une question importante. Le haut débit s'est développé très rapidement en s'appuyant sur le réseau téléphonique existant, grâce aux technologies ADSL. Le développement du très haut débit pourrait être très différent car il nécessitera des investissements importants dans les réseaux pour rapprocher la fibre optique de l'abonné. J'ai d'ailleurs engagé une étude en matière de politique publique dans le domaine du très haut débit. Les principaux acteurs du très haut débit, opérateurs, industriels, pouvoirs publics, collectivités, etc. y sont associés. Les conclusions de cette étude, qui devra déboucher sur des recommandations, doivent m'être rendues au 1er trimestre 2006. Les expériences menées en France et à l'étranger seront évidemment regardées de près.

JB - Malgré la multiplication des MVNO, le prix des communications vocales ou data sur les lignes cellulaires reste très élevé et l'illimité se fait encore attendre. Comptez vous agir ? Faut-il assouplir les conditions d'accès à la dernière licence 3G pour renforcer la concurrence sur ce segment de marché ?

FL - Selon les derniers chiffres de l'ARCEP, les opérateurs mobiles virtuels ne représentent que 0,24% des abonnés fin septembre 2005. C'est très faible mais l'entrée de ces opérateurs sur le marché est encore récente. Les MVNO ont accès à une bonne partie de la chaîne de valeur de la téléphonie mobile et peuvent développer des stratégies différentes de celles des opérateurs de réseaux. Je note d'ailleurs que les opérateurs de réseaux ont réagi aux initiatives commerciales des MVNO, notamment en proposant des forfaits sans durée d'engagement. Il faut encore attendre pour évaluer l'impact réel des MVNO sur le marché. C'est pour cette raison que l'ARCEP a placé le marché des mobiles sous surveillance et publie régulièrement des indicateurs de suivi. Si la concurrence demeure insuffisante, la première voie d'action pour les pouvoirs publics est la régulation. La récente décision sur le prix de la terminaison d'appel SMS devrait permettre une baisse des tarifs de ce service. Et une quatrième licence de téléphonie mobile UMTS est encore disponible en France. Avis aux opérateurs.

JB - Lors d'une conférence en octobre dernier, vous avez indiqué que les 100 plus gros éditeurs français de logiciel ne pesaient que 10% du chiffre d'affaires de Microsoft. Comment peut on améliorer la situation ?

FL - Cette situation n'est pas particulière à la France. Si l'Europe, et tout particulièrement la France, compte des sociétés de services très reconnues, elle ne dispose que de quelques éditeurs de logiciels au niveau mondial. Elle dispose également d'un tissu de petites et moyennes sociétés de haute technologie très dynamique, porteur de réussite pour l'avenir. La politique d'innovation que nous menons contribuera à soutenir l'essor de ces entreprises. Dans ce dispositif, les pôles de compétitivité ont un rôle essentiel. Ils permettent à ces sociétés de nouer des partenariats et donc ils les aident à atteindre une taille critique. L'industrie du logiciel concerne également le "logiciel embarqué".

Le logiciel représente une part prédominante de la valeur ajoutée intégrée dans un nombre toujours plus important de produits et systèmes, allant des téléphones portables à l'automobile. Et dans ces activités, la position de la France se caractérise par de réels points forts. C'est pourquoi, cet axe constitue une priorité du soutien à la Recherche & Développement industrielle, par exemple au sein d'un programme coopératif comme ITEA.

JB - Quel regard portez vous sur le logiciel libre ? N'est-ce pas justement le modèle "propriétaire" qui fait la force de grands groupes informatiques américains comme Microsoft, ou Oracle ?

FL - La plupart des grands groupes informatiques ont aujourd'hui une politique active de conception et d'utilisation de logiciels libres. Je constate aussi que, sur des marchés où l'Europe était absente, le modèle de développement du "libre" a permis à des acteurs européens de fédérer leurs efforts pour présenter une alternative crédible aux solutions des éditeurs établis. La concurrence plus ouverte qui s'instaure sur ces marchés est tout au bénéfice de nos entreprises, qui utilisent ces logiciels dans leur système d'information, les incorporent à leurs produits ou proposent des services à valeur ajoutée autour de ces logiciels. Sur d'autres marchés, des éditeurs français de premier plan, comme Dassault Systèmes, leader mondial dans le domaine de la gestion du cycle de vie produits, ont eux construit leur succès sur le modèle "propriétaire". "Libre" et "propriétaire" sont deux modèles complémentaires qui ont chacun leur place dans le secteur logiciel.

JB - Un garçon de café et un chercheur en ingénierie logicielle appartiennent au même secteur "tertiaire". Ne faudrait-il pas définir un secteur "quaternaire" pour toutes les industries issues des technologies de l'information ?

FL - Le secteur tertiaire regroupe tout ce qui n'appartient pas aux secteurs primaires et secondaires, il est donc par nature très hétérogène. La définition d'un secteur " quaternaire " aurait le mérite de bien mettre en évidence l'importance des TIC dans l'économie. Cela étant, il est aussi assez logique que la production d'équipements informatiques, de télécommunications ou de composants électroniques soit dans le secteur secondaire et que les services informatiques par exemple soient dans le secteur tertiaire avec les autres services à l'industrie. Ce qui est essentiel c'est que notre appareil statistique soit suffisamment riche pour que l'on puisse disposer d'analyses transversales sur l'ensemble du secteur des TIC quand c'est nécessaire.

JB - Face au trio Google / MSN / , la France ne compte aucun champion national, continental ou mondial en matière de services en ligne. Comment expliquez vous un tel échec malgré l'expérience acquise avec le Minitel depuis 25 ans ?

FL - Le Minitel reposait sur une offre originale de services et de terminal fournie à l'époque par un seul acteur, France Télécom, qui était en situation de monopole. Cette offre avait été définie "sur mesure" par l'opérateur pour répondre aux besoins de l'usager français. En matière d'Internet, le marché et l'offre sont mondiaux. Les fournisseurs d'accès français, qui ont la connaissance du client, sont bien placés mais pour les services, le client est totalement libre de son choix et il est difficile de lutter contre les géants anglo-saxons qui profitent de leur "avantage de masse". Après avoir exploré "la toile", les internautes français peuvent revenir vers des services à valeur ajoutée, proposés par les fournisseurs français, qui sont mieux adaptés à leurs demandes, notamment dans le cadre du contrôle parental ou des galeries de la téléphonie mobile. Par ailleurs, l'ambitieux projet franco-allemand de "google mutimédia" Quaero a vocation à créer un acteur mondial.

JB - Justement, la France et l'Allemagne semblent avoir l'ambition de créer un "Airbus de l'internet" avec leur projet de moteur de recherche Quaero. Quelles sont les chances de réussite d'un tel projet ? Faudra-t-il également couvrir d'autres domaines comme la messagerie ou la communication instantanée pour rivaliser avec les grands portails américains ?

FL - L'industrie se devait de réagir face aux géants d'aujourd'hui comme ça a été le cas avec la création d'Airbus face à Boeing. Il est trop tôt pour juger des chances de réussite du projet Quaero mais pour relever le défi du google de la vidéo, la France et l'Allemagne développent un projet qui s'appuie à la fois sur les leaders mondiaux des services audiovisuels et sur la spécificité culturelle de nos deux pays puisque Quaero s'articule également avec la bibliothèque numérique intelligente. Les outils sont en cours de définition et pourront en effet aller plus loin que le moteur de recherche.

JB - En 1999, quelques milliers de jeunes français ont tenté leur chance en créant des "start-up". Pensez vous que les mesures gouvernementales pourront donner naissance à une seconde génération "d'entreprenautes" ?

FL - Le Gouvernement est particulièrement attentif à la création de jeunes entreprises innovantes et dynamiques, source de nouveaux emplois. Nous avons lancé en mars 2002 le Fonds de co-investissement pour les jeunes entreprises (FCJE), doté de 90 M€. Depuis le 1er janvier 2004, les jeunes entreprises innovantes qui consacrent au moins 15% de leurs charges à des dépenses de recherche peuvent être exonérées des cotisations sociales patronales pour les salariés participant à l'effort de recherche. Cela représente une source de trésorerie très importante dans la phase de démarrage de l'entreprise. Par ailleurs, les modifications apportées à la réglementation de la Société Unipersonnelle d'Investissement à Risque (SUIR) doivent permettre aux "business angels" d'aider davantage de jeunes entreprises en prenant jusqu'à 30% de leur capital. Les moyens d'OSEO-ANVAR sont également augmentés et une grande partie des crédits sont consacrée aux projets innovants des jeunes entreprises. Quant aux créateurs issus de la recherche, ils peuvent bénéficier du soutien de l'Agence nationale de la Recherche et du concours en faveur de la création d'entreprises technologiques innovantes organisé par OSEO-ANVAR pour faire émerger leurs projets. Et en 2006, tous ces "entreprenautes" pourront participer aux forums pour le financement de l'innovation et de la compétitivité que nous organisons dans 7 villes de France pour rencontrer les financeurs potentiels et nouer des accords avec eux. Ils peuvent d'ores et déjà se renseigner et s'inscrire sur www.forum-financement.com.

JB - François LOOS, je vous remercie.

François Loos est né le 24 décembre 1953 à Strasbourg (Bas-Rhin). Il est polytechnicien, ingénieur du corps des mines et titulaire d'un DEA de mathématiques. Après un début de carrière dans l'industrie, François LOOS est élu conseiller régional d'Alsace en 1992 puis député l'année suivante. Secrétaire général adjoint du Parti radical (valoisien) de 1994 à 1995, il devient à cette date secrétaire national, puis délégué national aux affaires internationales en 1997 avant d'être élu président en 1999. François Loos a été ministre délégué à l'Enseignement supérieur et à la Recherche dans le premier Gouvernement Raffarin. Le 17 Juin 2002, il est nommé ministre délégué au Commerce extérieur. Depuis le 02 juin 2005, François Loos est ministre délégué à l'Industrie.
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