La télévision s'invite sur les téléphones mobiles

23 juin 2005 à 00h00
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Industries centenaires, la télévision et le téléphone ont commencé à converger avec la 3G et demain le DVB-H. Qui seront les gagnants de cette redistribution de

La convergence de deux industries centenaires

Industries centenaires, la télévision et le téléphone sont certainement les deux technologies les plus populaires de la planète. Impactées l'une comme l'autre par la numérisation des contenus et l'essor des technologies IP, télévision et téléphonie commencent à converger, tant sur ligne fixe que sur réseaux mobiles et le fruit de leur hybridation pourrait bien révolutionner les habitudes des consommateurs mais également des industriels des deux secteurs.

Une offre "triple play" mobile ?

Depuis le début de l'année 2004, l'industrie des télécommunications a été bousculée par l'arrivée du "triple play", une offre proposant accès Internet, téléphonie et désormais télévision sur une simple ligne ADSL domestique. Popularisée par Free et sa Freebox, ce type d'offre multiservices est désormais également commercialisée par ou encore Neuf Telecom qui distribuent les bouquets de TV numériques de Canal +, CanalSat ou TPS ainsi que des offres de cinéma à la demande. Après avoir proposé la voix puis l'accès internet, les géants de la téléphonie mobile anticipent un mouvement similaire et se penchent désormais sur différentes technologies pour proposer des services de télévision à leurs millions d'abonnés.

Une première offre sur réseaux cellulaires

Les premiers bouquets de télévision mobile ont été lancés au printemps 2004 par l'opérateur cellulaire Orange et son concurrent Bouygues Telecom. "La télévision mobile existe déjà" rappelle Youssef Oudad en charge des contenus i-mode. Utilisant les réseaux cellulaires de seconde génération et la technologie GPRS dont les débits n'excèdent pas 40 kb/s, ces premiers bouquets sont limités à des extraits vidéos de quelques dizaines de seconde issus de journaux télévisés, de clips vidéos ou de bandes annonces de films. Orange a même proposé la diffusion en direct de quelques chaînes évènementielles (Les Colocataires M6 ; La Ferme Célébrités, TF1) malgré une qualité d'image médiocre et un temps d'attente allant jusqu'à deux minutes avant l'apparition de la moindre image. Il faut attendre le lancement en décembre 2004 des premiers réseaux cellulaires de troisième génération, basés sur la technologie UMTS (W-CDMA) pour voir apparaître de véritables bouquets de télévision en "live" et une vaste offre de vidéos en téléchargement.

"La vidéo est la killer application de la 3G" explique Patrick Hoffstetter, Directeur des Editeurs et des Services de Contenus chez SFR. Revendiquant le statut de pionnier français de la 3G, l'opérateur propose ainsi des dizaines de clips vidéos, agrégés par son partenaire WonderPhone, ainsi que plusieurs chaînes de télévision. Fort de son expérience sur le GPRS, Orange a également dévoilé un ambitieux portail offrant l'accès à plusieurs dizaines de chaînes TV ainsi qu'à de nombreuses vidéos à la demande dans des domaines aussi variés que le sport, l'actualité, la météo ou encore le divertissement.

Une télévision facturée à la durée

Habitués à facturer les télécommunications à la durée, les trois opérateurs cellulaires français ont adopté des modèles différents pour leurs bouquets de télévision. Chez Bouygues Telecom ou Orange, c'est la consommation de données qui est mesurée tandis que SFR opte pour la facturation à l'acte pour ses vidéos et une facturation à la durée pour ses chaînes de télévision en direct. Dans tous les cas, la consultation d'une minute de télévision coûte entre 30 et 50 centimes d'euro ce qui devrait limiter ou du moins ralentir son adoption par le grand public.

S'appuyant sur des réseaux de télécommunication, conçus pour les communications de point à point, les opérateurs expliquent qu'il leur sera difficile de réduire les tarifs de cette première génération de télévision mobile et préfèrent concentrer leur communication sur d'autres services vidéo comme la visiophonie ou le MMS vidéo. Le directeur général d'Orange France, Didier QUILLOT, reconnaît toutefois que la 3G est là pour "allumer la mèche" en attendant la prochaine innovation..

Des programmes de TNT pour les téléphones mobiles

Bien que la diffusion en direct soit possible sur un téléphone 3G, elle reste fondamentalement inadaptée à la diffusion de masse, tant pour des questions techniques que commerciales. Les opérateurs cellulaires se penchent donc désormais sur de véritables technologies de broadcasting pour proposer la télévision mobile à leurs abonnés. Tandis que les coréens misent sur le S-DMB et que les japonais travaillent sur le ISDB-T, ce devrait être la technologie DVB-H, dérivée du DVB-T utilisé par la télévision numérique terrestre (TNT) qui devrait être adopté en Europe.

Testée en Finlande, en Allemagne, au Royaume-Uni et désormais en France, la technologie DVB-H partage les mêmes infrastructures de diffusion que la TNT mais a été conçue pour optimiser la réception de programmes TV sur des terminaux à la fois mobiles et à l'autonomie limitée. Bénéficiant d'un fort engouement des industriels mais également des pouvoirs publics à l'image de la charte signée en novembre 2004 par ces derniers et Patrick Devedjian, Ministre de l'industrie, le DVB-H devrait permettre aux opérateurs de proposer des bouquets de plusieurs dizaines de chaînes de télévision sur des téléphones mobiles à partir de 2007.

La quadrature du cercle pour les constructeurs de terminaux

L'arrivée du WAP, de la photo et désormais de la vidéo constituent toutefois un grand défi pour les fabricants de téléphones mobiles. Les industriels de l'informatique connaissent depuis trois décennies la "loi de Moore", du nom du fondateur d'Intel, selon laquelle la puissance des microprocesseurs double tous les 18 mois. Mais il semblerait que cette loi se soit singulièrement complexifiée depuis que l'informatique est devenue mobile. "Les constructeurs de terminaux doivent non seulement améliorer les performances de leurs combinés (écran, processeur, mémoire, son) tout en conservant une autonomie correcte." explique Ghislain Le Chatelier, responsable marketing de Sony Ericsson France,

L'autre défi des constructeurs de terminaux est de pouvoir proposer des terminaux cumulant les dernières technologies de réception (modem, tuner) et de consultation des données (processeur, écran) à un tarif compétitif. Pour le moment, de tels produits existent à l'image du Nokia 7710 mais ils se situent dans une fourchette de prix allant de 500 à 700 euros. Les constructeurs souhaitent pouvoir proposer d'ici quelques années des produits suffisamment compétitifs pour pouvoir toucher le grand public, quitte à demander un effort particulier en matière de subvention des combinés aux opérateurs pour passer sous la barre symbolique des 200 euros.

Nouveaux contenus et télévision interactive

Recevoir la télévision sur l'écran d'un téléphone mobile soulève de nombreuses questions techniques et les opérateurs, forts de leur expérience avec la 3G, hésitent entre la production de contenus spécifiques et la rediffusion de programmes TV existants. En effet, certains industriels expliquent que le fort niveau de compression des vidéos et la faible résolution de certains écrans réduisent la qualité des images en particulier pour des programmes comme le sport. Il est ainsi très difficile de suivre un ballon de football sur ces écrans et de nombreux professionnels de l'image recommandent nouveaux cadrages, gros plans ou ralentis pour satisfaire les téléspectateurs mobiles.

En réunissant dans un même combiné un tuner, synonyme de réception de masse, et un modem, synonyme d'interactivité, les combinés du futur pourraient également donner naissance à une nouvelle génération de services comme le souligne Christophe Sonzogni de , dont la société est non seulement l'un des principaux éditeurs de logiciels multimédia pour PC et médiaphones mais également un acteur majeur dans la musique et la télévision payante sur internet et qui réunit ces deux savoir-faire avec son service rTV aux Etats-Unis.

Une pluralité de modèles économiques

Ces questions ont en effet un impact direct sur le modèle économique de la télévision mobile. Les chaînes de télévision gratuites entendent monétiser leur audience par la publicité mais s'inquiètent d'une éventuelle production spécifique de contenus pour ces nouveaux écrans qui entraînerait nécessairement une hausse de leurs coûts. La télévision mobile pourrait également entraîner l'apparition de nouveaux modes de consommations de la télévision avec une nouvelle audience, par exemple à l'heure du déjeuner, qui pourrait avoir un impact sur la grille de programme des chaînes et bien entendu sur l'activité des régies publicitaires.

Les chaînes de télévision à péage ou les opérateurs de télévision payante s'interrogent également sur leur capacité à décliner leurs bouquets de chaînes sur ces nouveaux environnements, sur la politique tarifaire à adopter mais surtout sur leur future relation avec les opérateurs cellulaires. Tout comme sur les réseaux ADSL, les grands opérateurs de télévision payante n'entendent pas perdre la "relation client" même lorsque l'opérateur appartient au même groupe (Bouygues Telecom et TPS, SFR et Canal Satellite...).

Enfin, certains acteurs voient dans la télévision mobile un produit d'appel pour vendre des services à valeur ajoutée, monétisés par les réseaux cellulaires. Le Vote+, le couplage chaîne musicale et kiosque de téléchargements sont souvent évoqués mais ces dispositifs interactifs devraient révolutionner l'ensemble de l'activité publicitaire des chaînes qui pourraient dès lors proposer de la publicité "à la performance", à l'image de ce que l'on observe depuis quelques années sur internet.

La question de la protection des contenus

Longtemps simple outil de communication interpersonnelle, le mobile devient ainsi un véritable lecteur audiovisuel capable de stocker de grandes quantités de données. Mais cette nouvelle fonctionnalité inquiète et les industriels réclament des outils de protection des données, ces technologies de "Digital Right Management" permettant de limiter l'accès ou le transfert d'un fichier.

Après avoir imposé le format MPEG-4, les membres de l'Open Mobile Alliance (Nokia, , Nec, Siemens, Sony Ericsson) soutiennent une même technologie de m-DRM mais il faut également compter avec Microsoft qui met en avant sa technologie déjà présente dans des millions de PC ou encore avec la société française MediaLive, dont le fondateur Daniel Lecomte défend un modèle basé sur la "superdistribution" des fichiers vidéo, par les réseaux peer-to-peer ou directement de médiaphone à médiaphone, via une connexion sans-fil, mais toujours protégés par une technologie de DRM afin de limiter leur accès.

Un calendrier qui s'accélère

Editeurs, Diffuseurs, Opérateurs, Constructeurs : une chose est sûre, tout le monde a désormais pris conscience que la télévision mobile devenait une réalité avec déjà plusieurs dizaines de milliers de "mobispectateurs" sur les réseaux 3G d'Orange ou SFR. Aux sceptiques, les industriels rappellent que personne ne croyait au succès planétaire du téléphone mobile des années 90 et ces derniers s'attendent à un succès similaire avec la télévision mobile. "La killer application, c'est bien la télévision" martèle Serge Ferré, Vice Président de Nokia Europe.

En attendant la mise au point des réseaux de diffusion et la démocratisation des "TVphones", les opérateurs cellulaires et les chaînes de télévision entendent faire de la 3G un laboratoire de la télévision mobile mais tous savent que le véritable décollage du marché se fera avec le DVB-H, à partir de 2007. Reste à savoir si tous ces acteurs trouveront leur place dans ce nouvel écosystème et bien tendu si les téléspectateurs mobiles seront bien derrière leur (tout) petit écran.
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