Même à 100 ans, une entreprise peut négocier le virage du numérique

26 novembre 2014 à 12h49
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Si Paul Terraillon avait eu le nez creux dans les années 50 en investissant avec succès les marchés de la balance de cuisine et du pèse-personne, l'entreprise centenaire a trouvé une nouvelle voie en prenant un virage inattendu : celui des objets connectés.

Plus de 50% des Français connaissent, au moins de nom, la marque Terraillon. La moitié « senior » de la population pour être honnête. Il faut dire que ce spécialiste de la balance de cuisine et du pèse-personne existe depuis longtemps. En effet, Terraillon & Cie est fondé par Lucien Terraillon en 1908.

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Il s'agit à l'origine d'un spécialiste de l'horlogerie, mais c'est Paul Terraillon, le fils, qui décèle en 1942 une opportunité de marché dans la production de balances de cuisine, et de pèse-personnes en 1950. Le succès est au rendez-vous, en particulier dans les années 70 avec une position hégémonique, la majorité de la production de Terraillon étant orientée vers le pesage. Des designers de renom ont d'ailleurs collaboré avec la marque à cette période : la balance culinaire BA2000 par exemple est exposée au célèbre MOMA, le Museum Of Modern Art de New York.

Mais un pèse-personne de qualité peut avoir une durée de vie de plus de 10 ans, et générer une faible valeur ajoutée. Le groupe est ainsi régulièrement bousculé à partir des années 80, avec une succession de rachats. En commençant par le groupe Bernard Tapie, qui acquiert Terraillon en 1981 pour 1 franc symbolique, jusqu'à Fooktin en 2003.

"Il faut absolument entrer dans le domaine du connecté"



Pourtant Terraillon reste leader sur son marché. Mais celui-ci est moribond, la marque vieillotte, et les relais de croissance, difficiles à trouver. Les actionnaires décident alors d'opérer un vrai changement en 2012, en plaçant Didier Bollé à la tête de l'entreprise, un dirigeant quarantenaire qui a fait ses armes dans les multinationales Whirlpool et surtout LG.

Objets connectés, des prémices dès 2011

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En 2011, un an avant l'arrivée de Didier Bollé, Terraillon avait déjà commencé à tâter du produit connecté, à travers la radiofréquence. Le premier web coach (pèse-personne intelligent), conçu par Terraillon, sort en effet fin 2011. Il est équipé d'un système qui permet de communiquer avec une box Internet via un module de radiofréquence.

Cette technologie émet sans problème dans toute la maison, mais n'a pas la cote par rapport au Bluetooth ou au Wi-Fi, beaucoup plus petits, plus faciles à intégrer et peu onéreux. Des modules qui permettent notamment de facilement communiquer avec les smartphones, en plein essor à cette période, contrairement aux modules de radiofréquences.

Mais l'idée est là : permettre à une industrie extrêmement traditionnelle et banalisée, qui n'intéresse plus grand monde (et l'achat d'un pèse-personne n'est pas vraiment valorisant), de prendre un nouvel essor. Didier Bollé confie, en parlant de son entrée dans l'entreprise « J'ai cette chance d'arriver à cet instant où les objets connectés ont un vrai potentiel. Il m'apparaît alors évident à ce moment-là que Terraillon a une carte à jouer : il faut absolument entrer dans le domaine du connecté ».

Créer de la valeur et maîtriser le design

Terraillon veut s'adresser « à monsieur et madame tout le monde », pas uniquement aux geeks. Aujourd'hui en France, un tiers de la population a plus de 50 ans. « Ce sont des gens qui veulent vivre bien et en bonne santé, longtemps » explique Didier Bollé « Ils maîtrisent les nouvelles technologies, ils ont un pouvoir d'achat supérieur à la moyenne, et il s'agit de notre cœur de cible historique ». Avec les objets connectés (pèse-personne, tensiomètre, bracelet...), Terraillon répond légitimement à cette demande. Ce faisant, en rendant un objet connecté, comme le pèse-personne, Terraillon ajoute de la technologie dans ses produits, et évite ainsi l'érosion de leur prix. Il y a donc une création de valeur pour l'entreprise, en plus de la valeur d'usage pour le client.

"Après le bracelet, l'application est un relais de croissance incroyable"



Et en commercialisant des bracelets connectés ou des tensiomètres, des données issues de l'activité des clients sont récupérées via l'application Terraillon. Des données qui peuvent alimenter des outils CRM (il a bien sûr fallu investir dans des serveurs pour stocker ces données, autofinancés par l'intermédiaire des banques).

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Finalement, en maîtrisant en interne à la fois le design produit, la gestion des données, et le développement de l'application, Terraillon assure la maîtrise de son propre développement. Didier Bollé donne d'ailleurs un éclairage particulier sur cette nouvelle stratégie « L'important c'est l'application. L'application est un relais de croissance incroyable pour les prochaines années ».

L'application, pierre angulaire du modèle économique

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L'application est essentielle dans le domaine des objets connectés. Et Terraillon veut aller plus loin que le développement d'un simple tableau de bord qui agrège des données via des courbes ou des graphiques, sans explication, sans accompagnement.

« On veut créer une application made in Terraillon, on ne voulait pas reprendre une application qui existait déjà » indique Didier Bollé « Nous présenterons en janvier 2015 une application qui n'est pas qu'un dashboard. Cette application a pour ambition de proposer du contenu, d'éduquer le consommateur, l'accompagner dans différentes problématiques, comme le régime par exemple, ou le nutritionnel. On veut également lui offrir du coaching, et lui donner des explications sur les données qu'il génère avec la caution de professionnels : nutritionnistes, médecins... ».

Le pèse-personne connecté qui permet de mesurer sa masse graisseuse, le bracelet connecté qui permet de calculer sa dépense énergétique quotidienne, le tensiomètre, ou encore, la balance nutritionnelle connectée, pour connaître le poids et la richesse calorique des aliments, deviennent tous des extensions de l'application Terraillon. Elle représente donc la pierre angulaire de l'écosystème de la société. Le virage est donc important, puisque Terraillon quitte son traditionnel modèle industriel des années 70, pour devenir une société qui proposera avant tout du service.

Convaincre la distribution

La distribution est un élément clé de la réussite de ce modèle économique. Terraillon est historiquement dans la distribution, la société accaparant aujourd'hui 40% de la valeur de son marché en France, avec des pèse-personnes à 20 euros.

Mais avec un appareil connecté, Terraillon triple la valeur du produit et commercialise des modèles à environ 100 euros. «  Ce qui bouscule les idées reçues au sein de la distribution » explique Didier Bollé « Terraillon veut créer un écosystème d'objets connectés, et l'idée plaît ». Car tout à coup, des marchés « endormis » comme celui du pèse-personne redeviennent tendances : on trouve aujourd'hui des pèse-personnes connectés Terraillon à la Fnac.

Et c'est en proposant de révolutionner les linéaires que Terraillon va changer d'interlocuteurs, en passant de l'acheteur au top management du secteur de la distribution, qui voit d'un bon œil l'émergence de cette nouvelle tendance. Une distribution qui doit d'ailleurs mener une réflexion sur la façon de proposer ces nouveaux produits. « La distribution classique est en train de se chercher sur la question des objets connectés, car il ne suffit pas de les poser sur les linéaires et d'attendre ». Des questions que se posent désormais les opérateurs téléphoniques et les assureurs, qui peuvent représenter des nouveaux canaux de distribution pour ce marché. Il faut dire que GFK estime le marché des objets connectés à 400 millions d'euros pour 2015 (.pdf).

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Fonctionner comme une start-up

Le passage d'un modèle industriel à un modèle de plus en plus axé sur une société de service s'accompagne de nombreux changements, notamment au sein de l'équipe managériale. Didier Bollé a ainsi recruté un jeune chef de projet, un « geek », en fait un de ses proches collaborateurs lorsqu'il travaillait chez LG (Didier Bollé y a passé 9 ans). Ce chef de projet est déconnecté du « business quotidien », pour se focaliser sur la santé connectée, un marché encore en devenir mais très prometteur.

Ce n'est pas le seul transfuge de LG, d'autres anciens collaborateurs ont suivi, à des postes clés. Le comité de direction est ainsi renouvelé, rajeuni, avec l'appui des actionnaires, facilitant grandement la conduite de changement. Terraillon fonctionne alors comme une start-up, plus question de penser en « silo », la transversalité est le mot clé.

Les ventes ne se faisant plus seulement en magasin, il y a aussi la toile, Terraillon doit désormais penser cross-canal. Il a donc également fallu créer des postes pour des besoins qui n'avaient pas été identifiés avant : postes à l'international, business analyste, chef de produits connectés... une dizaine en tout, dans les fonctions marketing et commerciales.

Terraillon s'est également entouré de plusieurs consultants, notamment pour le web et le logiciel. Ainsi, c'est Phonevalley (Publicis) qui développe l'application Terraillon. Enfin, dans le but de rajeunir son image, Terraillon doit communiquer, et investir de nouveau.



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