Une enquête de Radio France détaille comment des partenariats entre laboratoires publics, start-ups et grandes entreprises du numérique brouillent la frontière entre recherche indépendante et intérêts industriels. Les GAFAM profitent de cette proximité pour normaliser la présence des écrans chez les enfants, malgré les alertes des experts de santé.

- Les partenariats entre laboratoires publics, start-ups et géants du numérique brouillent la frontière entre recherche indépendante et intérêts industriels, facilitant l'accès des GAFAM aux données scolaires.
- Un rapport d'experts mandaté par l'Élysée recommande des restrictions strictes sur l'exposition des enfants aux écrans, mais le gouvernement n'applique que partiellement ces mesures.
- Des chercheurs collaborent avec des entreprises comme Meta et Google, soulevant des questions sur la transparence et l'influence des GAFAM dans l'éducation.
Depuis plusieurs années, la question des écrans à l’école divise experts, enseignants et parents. On vous en parle d'ailleurs régulièrement sur Clubic. En 2024, un groupe d’experts mandaté par l’Élysée publie un rapport sur les risques liés à l’exposition des enfants aux écrans. Les recommandations sont strictes : pas d’écrans avant 3 ans, pas de smartphones avant 13 ans, réseaux sociaux interdits aux moins de 15 ans.
Pourtant, le gouvernement applique à peine deux mesures, et continue de financer des projets numériques en milieu scolaire. Dans le même temps, des laboratoires publics collaborent avec des start-ups et des géants du numérique. Microsoft, Meta ou Google participent, directement ou indirectement, à des projets de recherche et à la conception d’outils pédagogiques. Ce mélange des genres brouille les repères et interroge sur l’influence réelle des GAFAM sur la banalisation des écrans chez les plus jeunes.
Les collaborations entre laboratoires publics et entreprises du numérique se multiplient
Des chercheurs en sciences cognitives, très présents dans les médias, participent à des projets financés par des fonds privés ou en partenariat avec des start-ups de la EdTech. Grégoire Borst, directeur d’un laboratoire rattaché à la Sorbonne et au CNRS, mène des recherches avec Evidence B, une start-up qui conçoit des modules d’intelligence artificielle pour l’éducation. Son laboratoire reçoit aussi des dons d’éditeurs scolaires, dont Nathan, qui développe des manuels numériques.
D’autres chercheurs, comme Franck Ramus, travaillent avec Didask, une start-up issue de l’École normale supérieure, sur des plateformes pédagogiques soutenues par des subventions publiques. Les outils développés finissent souvent commercialisés auprès d’entreprises privées, sans retour direct pour les écoles ou les enseignants.
Par ailleurs, le laboratoire de Franck Ramus utilise les ressources d’une équipe dirigée par Emmanuel Dupoux, salarié à mi-temps chez Meta. Cette équipe reçoit des financements de Google et Meta. Même si ces collaborations respectent la loi, la transparence reste limitée. Les déclarations d’intérêts ne sont pas toujours publiées, et les relations entre chercheurs et industriels restent floues. Les GAFAM trouvent dans ces partenariats un accès privilégié à la recherche publique et aux données scolaires, ce qui leur permet d’adapter leurs produits aux besoins du secteur éducatif.
Les expérimentations scolaires servent aussi les intérêts des GAFAM
Des applications comme Kaligo, conçue pour aider les enfants à apprendre à écrire, naissent de collaborations entre laboratoires universitaires et entreprises privées. Microsoft a participé au développement de Kaligo, notamment en accueillant des élèves dans ses locaux pour tester des tablettes et accessoires. Le projet cible les enfants de 3 à 7 ans. Les documents internes évoquent la nécessité de comprendre comment capter l’attention des plus jeunes, pour ensuite affiner les produits destinés à l’éducation. Plus de 6 millions d’euros d’argent public financent ces expérimentations, alors que le ministère de l’Éducation nationale rappelle que l’équipement individuel n’est ni souhaitable, ni nécessaire en maternelle.
Dans ces projets, les données collectées ne servent pas toujours directement les écoles. Elles alimentent le développement de nouvelles fonctionnalités, souvent destinées à des clients privés. Les entreprises partenaires, dont Microsoft, peuvent ainsi tester leurs produits sur un public jeune, en conditions réelles, avec l’appui de la recherche publique. Les chercheurs, eux, valorisent leurs travaux grâce à ces collaborations, mais la frontière entre recherche indépendante et promotion de solutions commerciales s’estompe.
Les discours officiels restent ambigus. Le gouvernement affirme vouloir protéger les enfants, mais continue de financer des outils numériques à l’école. Christophe Cailleaux, du syndicat Snes-FSU, résume la situation : « D’un côté, le gouvernement dit qu’il faut protéger les enfants des écrans, mais d’un autre il subventionne le développement des outils numériques à l’école ». Les GAFAM profitent de cette ambiguïté pour renforcer leur présence dans l’éducation, alors que les recommandations de santé publique restent peu appliquées.
Malgré des alertes répétées, seuls 20 000 élèves sur 12 millions utilisent Kaligo. Les investissements publics profitent surtout à des solutions privées, qui s’exportent ensuite hors du secteur scolaire. Les liens entre laboratoires publics, start-ups et GAFAM interrogent sur la capacité de l’État à garantir une recherche indépendante, surtout quand il s’agit de la santé et du développement des enfants. Les discussions autour des écrans à l’école ne font que commencer, alors que l’intelligence artificielle et le numérique prennent une place croissante dans l’éducation. Les prochains rapports d’experts seront scrutés de près, tout comme les choix budgétaires du gouvernement.
Source : France Info