Les scientifiques du NIF ont reproduit leur exploit de fusion nucléaire avec gain positif, pourquoi c'est prometteur ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
28 décembre 2023 à 17h32
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L'enceinte de confinement contenant la bille bombardée par des lasers, au centre du dispositif de fusion du NIF. © LLNL’s National Ignition Facility
L'enceinte de confinement contenant la bille bombardée par des lasers, au centre du dispositif de fusion du NIF. © LLNL’s National Ignition Facility


C'était la surprise de la fin d'année 2022 : l'équipe du National Ignition Facility (États-Unis) était arrivée pour la première fois à obtenir une réaction de fusion produisant localement plus d'énergie qu'elle en absorbait. En 2023, la réussite est moins flamboyante, mais tout aussi importante : reproduire l'expérience.

En décembre 2022, les États-Unis avaient célébré avec grand bruit la toute première réaction de fusion nucléaire avec un gain positif (ce qu'on appelle le « breakeven »). Le système est installé au Lawrence Livermore National Laboratory, et fait partie de la NIF (National Ignition Facility), utilisée principalement pour simuler des réactions au service des armes nucléaires de la défense américaine.

Dans cette enceinte dédiée à la recherche, un ensemble de presque 200 lasers (192) bombarde de faisceaux une bille de 2 millimètres de diamètre contenant des isotopes de l'hydrogène. Ces derniers fusionnent et forment alors des atomes d'hélium, dans une réaction qui produit de l'énergie : tout l'enjeu de la technologie est de générer une réaction qui produit plus d'énergie que celle qui est injectée par les lasers. Ce « breakeven » ou gain positif atteint en 2022 avait produit 3.15 Mégajoules à partir d'une énergie combinée de 2 Mégajoules issue des lasers.

Réglage de l'un des ensembles laser du NIF. De la précision, et de la puissance ! © LLNL/National Ignition Facility NIF
Réglage de l'un des ensembles laser du NIF. De la précision, et de la puissance ! © LLNL/National Ignition Facility NIF

On prend les mêmes et on recommence

Si les résultats avaient attiré les regards (et les fonds de recherche), il fallait tout de même vérifier l'ensemble des paramètres menant à ce gain positif. Car sans remettre la mesure en cause, le principe même de la démarche scientifique, pour une nouvelle méthode, repose sur la répétabilité des résultats. En cela, les résultats de 2023 ont réussi à montrer que la technique est la bonne.

Trois fois cette année, l'équipe du NIF a réussi à dépasser le breakeven et à obtenir des gains positifs, cet été et deux fois en octobre. Avec un record fin juillet, où les 2 Mégajoules des lasers ont permis de générer 3,88 Mégajoules grâce à la réaction de fusion. C'est un résultat significatif, car il montre que ce gain n'était pas le fruit de conditions inexpliquées, mais l'application de principes de mieux en mieux documentés.

Mieux comprendre les réactions

En effet, il faut remarquer que le premier semestre 2023 a été compliqué au NIF, plusieurs expériences qui devaient en théorie produire des gains positifs se sont révélées non concluantes (en juin, les scientifiques attendaient 3 Mégajoules et ont mesuré 1,6 puis 1,7 Mégajoules). De quoi affiner les paramètres et la recherche. Les scientifiques ont ainsi mis en exergue des variations minuscules lors de l'activation des faisceaux laser à forte puissance. Notamment, si une partie frappe la bille avant le reste, cette dernière est très légèrement déséquilibrée et la réaction de fusion est imparfaite.

À l'inverse, ils estiment que si la synchronisation était parfaite, leur expérience pourrait produire jusqu'à 7 Mégajoules, soit un gain positif de 3,5. Et les lasers, en cette fin d'année, ont normalement été légèrement améliorés pour fournir 2,2 Mégajoules au lieu de 2. D'autres équipes travaillent sur la géométrie de la bille contenant les isotopes d'hydrogène, ainsi que de l'enceinte.

L'installation destinée aux essais sur la fusion au NIF. © LLNL’s National Ignition Facility
L'installation destinée aux essais sur la fusion au NIF. © LLNL’s National Ignition Facility

Des progrès à petits pas

Ces progrès, que l'on peut voir comme très lents, sont suivis de près par les instituts du monde entier. La fusion nucléaire, malgré des décennies d'expérience, des installations énormes et des principes de mieux en mieux compris, en est encore à ses balbutiements. Elle ne participera pas de manière significative à la génération d'énergie électrique avant encore quelques décennies (à moins qu'une ou plusieurs entreprises privées ne convertissent ses promesses aussi vite que prévu), malgré les progrès et des commentaires élogieux lors de la dernière COP28. Néanmoins, il s'agit d'avancées significatives, en particulier pour la recherche… Et 2023 a de nouveau montré l'avance dont dispose le NIF et le confinement laser sur les autres techniques en matière de gains.

Pour rappel, d'autres méthodes (comme les Tokamaks, ou les Stellarators) permettent de travailler sur d'autres aspects, comme la génération de plasma de fusion sur de longues durées, la forte puissance, les températures record ou les cas pratiques de confinement et de conversion de l'énergie obtenue. Des avancées telles que celles du NIF, répétées et répétables, permettent de conforter des résultats attendus depuis parfois plus de 30 ou 40 ans. « L'exploitation de l'énergie de fusion est l'un des défis technologiques du 21e siècle », a estimé pour sa part la Secrétaire (ministre) à l'énergie américaine, Jennifer Granholm.

Source : CNN

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (27)

SPH
Super article. Je me suis régalé ! C’est prometteur !
XInfernoX
Effectivement, c’est prometteur, mais malheureusement beaucoup trop lent
gamez
pourtant on nous repetait sans cesse que justement d’apres les lois de la physique il est impossible de produire plus d’énergie qu’on en fournit.<br /> ces savants internautes ne sont pas si savants que ça?
Martin_Penwald
Pendant que le NIF bosse, que font le NAF et le NOUF ?
MattS32
Les lois de la physique ne sont pas violées : l’énergie qu’on obtient ne vient pas de celle qu’on apporte avec le laser, elle provient de la fusion nucléaire, qui convertit deux atomes en un seul de masse très légèrement inférieure, la perte de masse étant convertie en énergie.<br /> Pour faire une analogie, c’est comme dans un moteur à explosion : on apporte de l’énergie avec l’étincelle, et ça déclenche une réaction qui converti certaines molécules en d’autres molécules tout en libérant de l’énergie. Bien plus que celle qu’on a apporté avec l’étincelle. Mais on a «&nbsp;perdu&nbsp;» au passage le combustible, en libérant l’énergie qu’il contenait.<br /> Et dans les deux cas il n’y a pas plus d’énergie en sortie qu’en entrée, c’est juste que pour calculer le rendement de la fusion ils ne tiennent pas compte de l’énergie potentielle apportée en entrée par le combustible.
Core-ias
Informatique quantique et exploration spatial.
F4FEnder
@gamez si tu prends une allumette et tu la lances dans une pinède en été, tu verras que tu récupères plus d’énergie que tu n’en as apporté.
Martin_Penwald
C’est qui ce ”on” ? Les complotistes de facebook ?<br /> Les physiciens savent depuis des années que la fusion et la fission nucléaires permettent de récupérer plus d’énergie que ce qu’on y a mis. On utilise la fission nucléaire dans nos centrales depuis plus de 50 ans.
Martin_Penwald
elle provient de la fusion nucléaire, qui convertit deux atomes en un seul de masse très légèrement inférieure, la perte de masse étant convertie en énergie.<br /> C’est basiquement l’application de la formule E=mc².
MattS32
Attention, expérience à ne pas reproduire chez soi
trollkien
Merci pour cet article =)
phoenix206
Reste plus qu’à trouver un caloporteur et maintenir la réaction sans arrêts plusieurs milliers d’heures
Pernel
«&nbsp;On&nbsp;» c’est le mec dans son phare, le chef de nous.
F4FEnder
Le soucis dans votre brillante démonstration du parfait complotiste, cest que vous oubliez l’énergie provenant du combustible.<br /> Le problème dans la fusion c’est pas tant la quantité d’énergie que peu dégager le combustible mais plutôt la quantité d’énergie nécessaire pour démarrer le processus.
kroman
L’éternel sujet de la fusion qui fait les news sans arrêt…<br /> On est encore très très loin de pourvoir avoir une réaction en continu, si on y arrive un jour.<br /> Ensuite il y a le problème du tritium que ça utilise. C’est la substance la plus chère au monde. C’est produit par les réacteurs nucléaires existants. Environ 20 kg par an dans le monde entier… À l’état naturel, il y en a environ 3.5 kg sur terre !<br /> Une autre piste est l’helium-3. Les Chinois prévoient de le chercher… sur la lune…
Guillaume1972
Pas exact, la substance, et de très très loin la plus chère du monde est l’antimatière. Estimé à 100 000 milliards de dollars le gramme, et pour cause. L’astate (poids esimé total, 30 grammes sur Terre) ou le Francium sont aussi hors de prix, d’ailleurs, en ce qui concerne l’Astate, on ne sait même pas exactement à quoi se dernier peut ressembler à l’état naturel (et pour cause, la quantité dans la croûte terrestre est estimée à 30 grammes ou moins, j’ai lu entre 28 et 30 et en plus, c’est tellement radioactif, que ça se «&nbsp;détruit&nbsp;» juste a cause de la chaleur générée par cette radioactivité, même si on a des indices notamment grâce à l’iode). À noter,que des isotopes d’Astate, produits artificiellement sont utilisés en radiothérapie.
Phil_33
Ça demeure une expérience scientifique, mais sans objectif industriel. 2 MJ, ça correspond a environ 500Wh, soit l’énergie produite par un seul panneau solaire. Et pour récupérer l’énergie de fusion, il faut faire vite, ça dure que 20 nano secondes, ça serait plus simple de capter l’énergie de la foudre…
gamez
Le soucis dans votre brillante démonstration du parfait complotiste<br /> lol?<br /> quelle démonstration?<br /> quel complotiste?<br /> t’es bourré ou quoi? xD
gamez
C’est qui ce ”on” ? Les complotistes de facebook ?<br /> dans les vidéos qui cherchent en vain le mouvement perpetuel, le «&nbsp;on&nbsp;» c’est les commentaires qui disent qu’ il est impossible de produire plus d’énergie qu’on en fournit. donc non ce ne sont pas des complotistes de facebook.<br /> mais matts32 a donné la réponse, ici ce n’est pas une production d’energie plus que celle fournie, mais une conversion d’énergie provenant d’une autre source qui sert de «&nbsp;combustible&nbsp;» en quelque sorte et non pas de l’élément déclencheur.<br /> Donc les «&nbsp;on&nbsp;» ont finalement raison, je ne vois pas pourquoi tu dis qu’ils sont complotistes. Ca voudrait dire que tous les physiciens le sont?
Mel92
Je dirais que c’est comme ce que fait le laser mégajoule français, une expérience pour valider une bombe atomique sans avoir besoin d’en faire exploser une (puisque c’est interdit maintenant).<br /> Ce qui me surprend beaucoup, c’est qu’une expérience militaire américaine sans aucune retombée civile claire reçoive autant d’écho favorable dans la presse grand-public internationale.<br /> J’espère que quand notre mégajoule fera la même chose, ce qui est prévu (il faut rajouter des lasers et ça coute cher), tout le monde applaudira aussi.
vvdb
Qu’ont ils fait techniquement ?<br /> Le système a laser a été conçu pour faire cela, la théorie a deja été prouvée a de nombreuses reprises…<br /> Faire de la pub pour un machin militaire qui a coûté des sommes astronomiques : oui<br /> La fusion économique est un truc pour lequel il faudra des générations de chercheurs…<br /> On peut faire des réacteur à fission propre, au thorium, autostable et à sécurité passive… C’est pas théorique, le démonstrateur a fonctionné 4 ans dans les années 60 aux US. Les chinois ont repris l’industrialisation en plein désert de Gobi : sans eau, à pression atmosphérique…<br /> Commercialisation à grande échelle dans moins de 10 ans.
SPH
@kroman : «&nbsp;À l’état naturel, il y en a environ 3.5 kg sur terre !&nbsp;»<br /> Tant qu’on aura pas tout miner, on ne sais pas combien de kilo il y a…
Kvn_Jma
Tout cela ne me réjouis pas mais me désole……<br /> Le projet Iter a été ratifié en 2007 avec la participation de plus de 30 pays, et jusqu’au aujourd’hui le budget alloué à de qui doit devenir le graal de l’énergie, une immense avancée pour l’humanité et la science est de seulement 20 milliards d’euros !!!<br /> On a consacré à 30 pays en 16 ans 20 milliards d’euros sur le projet concret pendant qu’on dépense des centaines de milliards d’euros dans des futilités chaque années et que des 20 milliards l’UE les dépense chaque mois pour on ne sait quoi !<br /> Chaque année le directeur du projer ITER doit pleurnicher auprès des états participants pour maintenir ses budgets et ces derniers se plaignent du rythme extrêmement lent et de l’absence d’avancées.<br /> Quand le projet Manhattan a été mis en place, les USA ont pour ainsi dire mis sur le tapis un budget illimité pour parvenir à leurs fins et ils ont réussi en un temps record alors qu’on pensait que ça prendrait des décennies en temps de paix.<br /> Alors quoi ? Faut-il la guerre pour qu’on alloue au projet ITER et aux autres projet prometteurs des centaines et des centaines de milliards d’euros, voire une ligne de crédit illimitée ?<br /> On parle de l’avenir de l’humanité et de l’accès à une énergie quasi illimitée et propre, même les industriels et le monde capitaliste devrait voir ce qu’il pourrait tirer d’une énergie abondante et sans frein, mais non, on continue à consacrer des sommes misérables au graal et on consacre bien plus chaque année aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques !!!<br /> Tous les projets sérieux liés à la fusion devrais bénéficier de ligne de crédit illimitées ou extrêmement élevés, pour que la fusion ne soit pas une réalité dans 1 siècle mais peut être dans 40 ans, ce qui apporterait aussi une solution au réchauffement climatique.<br /> Une fois encore l’humanité dans son immense bêtise démontre son sens des priorités….
kroman
Le tritium ne se mine pas.<br /> On le trouve dans l’atmosphère en quantité mesurée extrêmement faible. Il est créé par l’interaction du rayonnement cosmique avec divers constituants de l’atmosphère.<br /> C’est un élément qui se dégrade naturellement rapidement (1/2 vie à 12 ans).
SPH
Ha ok merci, je ne savais pas !
Core-ias
Au moins, les concepteurs de la boite de vitesse et de l’embrayage ont fait pareil.
Essylt
Le phare à on !
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