Les États-Unis annoncent la toute première fusion nucléaire avec un gain positif

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 14 décembre 2022 à 09h15
La chambre dans laquelle se déroule l'expérience de confinement inertiel par lase © LLNL’s National Ignition Facility
La chambre dans laquelle se déroule l'expérience de confinement inertiel par lase © LLNL’s National Ignition Facility

Le suspense a duré plusieurs décennies : quelle serait la première équipe à développer une expérience de fusion nucléaire capable de générer plus d’énergie qu’elle n’en reçoit ? La National Ignition Facility (NIF) américaine a dévoilé ce 13 décembre sa réussite, très médiatisée. Elle ouvre des portes, mais patience…

Le chemin sera très long jusqu’à la génération électrique.

Grosse pression sur la fusion

C’est une percée majeure dans un domaine technologique jeune, mais extrêmement complexe. Depuis la fin des années 50 (et après les réussites de fission), les différentes puissances du monde et leurs chercheurs planchent sur le défi de la production d’énergie par fusion. Cette dernière consiste, comme son nom l’indique, à faire fusionner des atomes légers, en l’occurrence des isotopes de l’hydrogène, pour obtenir de l’hélium. Cette réaction dégage énormément d’énergie, mais dépend surtout énormément des conditions dans lesquelles a lieu la fusion. Car pour qu’elle ait lieu, la fusion nécessite aussi une débauche de moyens.

Loin, très loin de la production d’énergie continue (à l’échelle annuelle) aujourd’hui disponible via une centrale à fission, la fusion est encore expérimentale. Il s'agit de recherche appliquée, mêlant des concepts fondamentaux de mieux en mieux compris, mais difficiles à mettre en application. Pour cette même raison, il existe de nombreux dispositifs dans le monde capables aujourd’hui ou demain de produire des réactions de fusion : JET en Angleterre, Wendelstein 7-X en Allemagne, ITER en France, le JT-60SA au Japon, EAST en Chine, le NIF aux États-Unis…

Ces dispositifs différents ont chacun leurs avantages et leurs noms techniques exotiques : tokamak, stellarator, confinement inertiel. C’est ce dernier qui fait l’objet de la révélation du jour. La National Ignition Facility a réussi lors d’un test le 5 décembre à générer 3,15 MJ en injectant une énergie de 2,05 MJ dans le dispositif. La réaction a un gain positif supérieur à 1, et c’est une première. Elle a généré plus d'énergie qu'elle n'en a reçu localement.

Le confinement central dans lequel est enfermé la bille contenant les isotopes d'hydrogène. Le dispositif métallique concentre les faisceaux laser © LLNL’s National Ignition Facility
Le confinement central dans lequel est enfermé la bille contenant les isotopes d'hydrogène. Le dispositif métallique concentre les faisceaux laser © LLNL’s National Ignition Facility

Le grand confinement !

Le confinement inertiel par laser est une méthode mise au point dans les années 70, lors des découvertes initiales liées à l’utilisation des lasers. L’objectif est complexe : une bille de 2 millimètres de diamètre contenant les deux isotopes d’hydrogène est piégée au centre focalisé du rayon de 200 lasers à forte puissance. La bille est contractée à l’extrême, chauffe à des millions de degrés Celsius et finit par atteindre les conditions pour un plasma de fusion.

Reste que jusqu’à ce mois de décembre, le contrôle des flux laser, l’homogénéité nécessaire pour contracter la bille, les conditions d’injection et les autres paramètres nécessaires n’avaient pu mener qu’à un gain de 0,7 en août 2021. Il s’agissait déjà d’un record, mais cette fois, le rendement est positif (1,5), c’est le « breakeven ». Du jamais mesuré, en pratique.

Un long, long chemin

Attention cependant à ne pas trop extrapoler autour de ce résultat de recherche. En effet, la révolution énergétique et électrique liée à la fusion n’est pas pour demain. Ni pour la prochaine décennie, malgré ce « breakeven ».

Il y a d’abord le défi de la production. Pour disposer d’un réacteur fonctionnel, il faudra des rendements globaux (c’est-à-dire avec les lasers et l’ensemble de l’installation) de l’ordre de la centaine. Il faudra également que ce ratio puisse être conservé et répété de façon stable sur de grandes durées, ce qui représente un challenge technique titanesque. L’installation laser américaine, qui utilise le même dispositif global que celui utilisé par les militaires américains pour simuler et tester les réactions des armes nucléaires américaines (la France utilise un dispositif équivalent avec le laser mégajoule), va probablement obtenir sa propre installation à moyen terme.

Enfin, et ce n’est pas vraiment un détail, il faudra que ce soit économiquement viable. Le programme de confinement inertiel se voit doté d’une hausse importante de budget de 624 millions de dollars pour l’année à venir. Pourtant, les scientifiques du projet n’imaginent pas un dispositif fonctionnel en service sur le réseau américain avec cette méthode avant une trentaine d’années.

Vue d'artiste du processus de fusion par confinement inertiel par laser © LLNL’s National Ignition Facility

Pour terminer, il faut souligner que ce résultat, s’il représente effectivement une percée technologique d’ampleur et une démonstration qui met en valeur des décennies de préparation, n’invalide pas les autres méthodes. ITER, dont la construction du gigantesque tokamak en France rencontre de grosses difficultés, utilise des conditions très différentes de celles de l’expérience américaine, mais est toujours pertinent aujourd’hui et demain. Comme l’a souligné la secrétaire à l’Énergie lors de son allocution ce mardi, le « breakeven » va nourrir les autres expériences et les équipes scientifiques autour du monde. C’est une piste excitante et prometteuse.

Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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cwerle

Et du coup, plus besoin de continuer avec le pétrole et le gaz de schiste ?

On peut arrêter la guerre avec (pas le droit de le dire) ?

ayaredone

Je trouve l’image d’illustration assez impressionnante. Ce que l’humain peut créer, pour le bien ou pour le mal…

AtomosF

Sacré expérience,
Mais oui en effet entre une bille de 2mm (seulement !) et une application à plus grande échelle (sans même parler de raccordement au réseau), il y a/aura plusieurs décennies d’écart !

dancod

Break-even ou break even mais en aucun cas en un seul mot.

dancod

Et dans cent ans on se retrouve sans problème de CO2, mais avec un problème d’helium à la place?

ebottlaender

Je vous invite à lire le communiqué de la National Ignition Facility (mais aussi les autres publications sur le sujet) qui utilisent toutes breakeven en un mot.

Pour @cwerle, on mentionne bien dans l’article que ça n’a rien à voir avec la génération d’électricité à court, moyen ou même long terme. Donc ça n’a rien à voir avec le pétrole ou le gaz de schiste.

Kriz4liD

Technologie très différente de ce que souhaitent faire les scientifiques avec l iter !
GG à eux ! Passer de 0,7 à 1,5 c’est une grosse prouesse ! Mais vu la taille de la bille je doute que ça alimentera un cartier
Il en faudra plusieurs pour une question de maintenance et de disponibilité , mais l idée est là et ça a l aire bien moins cher à produire

Kergariou

Il me semble que ce procédé ne dégage pas de radioactivité

MattS32

C’est une excellente nouvelle de prouver que c’est possible, ça va sans doute donner un coup de boost à tous les projets dans le domaine.

Le problème avec l’helium actuellement, c’est plutôt le risque de pénurie… Donc arriver à en produire, ça ferait d’une pierre deux coups :slight_smile:

D’autant que l’utilisation d’helium pourrait fortement augmenter avec le retour des dirigeables.

Et l’hélium n’est à priori pas un gaz à effet de serre, et c’est un gaz inerte, qui ne réagit avec rien, donc peu de risques d’interactions néfastes pour l’environnement.

Pour l’instant, ça n’alimentera effectivement pas grand chose, puisque de toute façon ils ne sont pas parvenus à tenir longtemps.

3 MJ, c’est un peu plus 0.8 kWh. Et donc leur gain net, il est de l’ordre de 250 Wh. L’équivalent de 20 batteries de smartphone.

iksarfighter

Si, les neutrons s’accumulent dans les parois et au bout d’un moment elles deviennent radioactives.
Mais c’est bien moindre qu’avec les centrales à fission.