Objectif Hadopi : réduire le piratage de 70 à 80%

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Prévenir et non punir ? La version finale du projet de loi « Création et Internet » a été présentée ce matin au Conseil des ministres par Christine Albanel, en charge de la Culture et de la Communication. Après avoir reçu le feu vert du Conseil d'état, qui aura toutefois procédé à quelques retouches, le projet de loi que tous surnomment déjà Hadopi, du nom de l'Autorité qu'il institue, devra maintenant être soumis à l'approbation des sénateurs. Christine Albanel, qui n'a pas oublié les déboires connus par son prédécesseur lors du vote de la loi DADVSI, aura fort à faire : le soutien explicite du chef de l'Etat confère au projet une coloration politique certaine, susceptible d'enflammer les chambres, et de nombreuses voix dénoncent déjà certaines des mesures préconisées par le texte.

Finalisé, celui-ci a également fait aujourd'hui l'objet d'une présentation à la presse. L'occasion d'en justifier le bien fondé, et de répondre à certaines critiques. « Nous savons que nous n'allons pas éradiquer le problème du piratage à 100% mais nous pensons que nous pouvons le réduire significativement », a déclaré Christine Albanel. « Si nous arrivons à faire baisser de 70% à 80% les actes de piratage, ce sera déjà considérable. C'est l'objectif ».

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Voulu par Nicolas Sarkozy, ce projet de loi est pour mémoire issu des conclusions rendues au gouvernement par une force de travail emmenée par Denis Olivennes, alors PDG de la Fnac. Cette mission a donné lieu, le 23 novembre dernier, à la signature d'un accord de principe entre de nombreux ayant-droits (musique, cinéma, télévision), les fournisseurs d'accès à Internet et des représentants du gouvernement, selon les termes duquel l'ensemble des acteurs concernés cherchera à élaborer ensemble une réponse au problème du téléchargement illégal.

Développer l'offre légale

Avant d'aborder le volet répressif, la ministre de la Culture a tenu à rappeler que le projet de loi « Création et Internet » prévoyait de favoriser le développement d'une offre légale de contenus audio et vidéo sur le Web. Concrètement, les mesures d'encadrement de cette offre se résument à deux points. Premièrement, généraliser la suppression des mesures techniques de protection, les DRM, à l'ensemble de l'offre de musique en ligne. Sur ce point, les signataires des accords de l'Elysée du mois de novembre devraient s'engager à supprimer les DRM en matière de musique dans les douze mois qui suivront la mise en application de la loi.

Du côté du cinéma et de la télévision, c'est sur la VOD, ou vidéo à la demande, que se concentrent les espoirs. Bien que les problèmes interopérabilité soient, comme pour la musique, un frein au développement de ce secteur, aucune mesure ne concerne les DRM. Ici, l'idée est de calquer la fenêtre de diffusion en VOD sur celle appliquée au DVD. De sept mois et demi, le délai nécessaire à la publication d'un film en VOD passera à six mois, l'objectif étant à terme de parvenir à trois ou quatre mois maximum.

Rispote graduée : du mail à la suspension d'abonnement

« La lutte contre le piratage va changer complètement de logique », a commenté Christine Albanel. « Désormais, la lutte sera essentiellement pédagogique, puisque deux avertissements précéderont toute sanction à l'encontre de l'internaute ». La Culture souhaite donc mettre en place un dispositif à mi chemin entre la prévention et la dissuasion, selon le principe désormais connu de « riposte graduée ».

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L'internaute convaincu de téléchargement illégal recevra d'abord un courrier électronique d'avertissement. En cas de récidive, une lettre recommandée sera adressée au propriétaire de la ligne Internet utilisée. Enfin, une suspension de l'abonnement, allant de trois à douze mois, pourra être prononcée. Une « transaction » sera proposée aux internautes : en acceptant de signer un engagement écrit, ils pourront voir la sanction ramenée à une durée comprise entre un et trois mois. Dans le cadre des offres triple play, le gouvernement souhaite que télévision et téléphone soient maintenus, mais reconnait n'avoir pas encore abordé les modalités techniques avec les FAI.

Afin de ne pas pénaliser leurs activités, les entreprises se verront proposer l'installation d'un dispositif de filtrage afin que leurs employés ne puissent pas télécharger illégalement.

Il appartiendra donc à chacun de sécuriser sa ligne Internet et de vérifier ce qui y circule, résume-t-on rue de Valois, conformément à l'article L. 335-12 du code de la propriété intellectuelle, qui jusqu'ici n'assortissait le non respect de cette consigne d'aucune sanction. Les FAI commercialiseront d'ailleurs des logiciels de filtrage visant à garantir l'utilisation « licite » de la ligne, et pouvant exonérer l'internaute de toute responsabilité.

L'ARMT devient l'Hadopi

C'est la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, dite Hadopi, qui se chargera de l'envoi de ces avertissements et de l'application des sanctions. Instaurée suite au vote de la loi DADVSI, l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) devient cette nouvelle institution, qui sera financée par des fonds publics, avec un budget annuel de fonctionnement estimé à 15 millions d'euros.

« La Haute Autorité n'exercera aucune surveillance généralisée des réseaux et des internautes, pas plus d'ailleurs que les fournisseurs d'accès Internet : comme c'est déjà le cas aujourd'hui, toutes les procédures partiront de la constatation, ponctuelle, morceau de musique par morceau de musique et film par film, d'un téléchargement illicite », explique la ministre. Concrètement, les ayant-droits continueront à détecter les actes de téléchargement. Ils pourront ensuite saisir l'Hadopi, et lui transmettre l'adresse IP des internautes incriminés.

L'Hadopi se chargera ensuite de contacter les FAI pour récupérer les informations personnelles, et expédier ses avertissements. Objectif : « plusieurs milliers de messages par semaine », afin de sensibiliser rapidement la population et d'obtenir une baisse immédiate du nombre de téléchargements illégaux. En 2006, un milliard de fichiers auraient été échangé de façon frauduleuse, affirme C. Albanel. En cas de litige, l'internaute devra se tourner vers les canaux traditionnels de la justice pour faire valoir ses arguments. Les tribunaux resteront par ailleurs compétents pour toutes les affaires de piratage « industriel ». En théorie, la « double peine » est écartée, mais rien n'interdit pour le moment à un ayant droit de jouer sur les deux tableaux.

Pas de vraie liberté sans loi ?

Au niveau européen comme au niveau français, le projet dans son ensemble et tout particulièrement la question de la suspension de l'abonnement à Internet a soulevé de nombreuses critiques, auxquelles la rue de Valois tente de répondre du mieux qu'elle le peut. Attaque récurrente : le projet serait « liberticide », dans la mesure où il instituerait une nouvelle Autorité échappant à tout contrôle, et risquerait de porter atteinte à des droits fondamentaux.

Invoquant les Lumières, la ministre explique que ce projet de loi vise « à rétablir l'équilibre, aujourd'hui rompu, entre deux séries de droits fondamentaux : d'une part, le droit de propriété et le droit moral des créateurs, qui sont bafoués, et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée des internautes qui est aujourd'hui, en pratique, absolu ».

Pascal Nègre, PDG d'Universal, réfute également ces critiques. « Ce projet n'a rien de liberticide. Bien au contraire ! La France sera le pays où la lutte contre le piratage sera le plus fermement encadrée. C'est la raison d'être de l'Hadopi ». Tous rappellent que la Cnil devrait donner son aval, et que seule l'Hadopi disposera des données personnelles de l'internaute.

Soucieuse de faire oublier l'épisode de l'amendement Bono au parlement européen, Christine Albanel souligne par ailleurs le « très vif soutien » manifesté à son projet par la Commission européenne. Si celle-ci réfléchit effectivement aux méthodes à mettre en oeuvre pour protéger le droit d'auteur, ses membres ne semblent toutefois pas aussi unanimes que le souhaiterait la rue de Valois.

Débats houleux en perspective

Christine Albanel voulait que le projet soit présenté en première lecture au Sénat avant la coupure estivale, ce qui ne sera sans doute finalement pas possible. Le texte passera donc devant la Chambre à la rentrée. Le budget de l'Hadopi sera quant à lui abordé dans le cadre du projet de loi de finances 2009. Si rien ne vient perturber les plans du gouvernement, l'Autorité pourrait entrer en fonction le 1er janvier 2009, et immédiatement commencer à distribuer ses courriers.

Rejeté en bloc par les internautes, soutenu par un président qui n'est pas au mieux dans les sondages et dont la majorité est divisée sur le sujet, le projet de loi Hadopi sera sans doute l'objet de débats houleux. De nombreux points posent en effet problème. Comment, et à quelle vitesse, les litiges seront-ils gérés par la justice ? Que donneront les expérimentations en cours en matière de filtrage ? Est-il pertinent de mettre en place un dispositif d'une telle lourdeur plutôt que de vraiment favoriser le développement de l'offre légale, et accompagner les industries concernées dans leur virage vers Internet ? Rien ne dit que l'internaute sanctionné, habitué à consommer sa musique comme il l'entend, sera enclin à s'inscrire dans le schéma parfois contraignant des offres légales...

D'autre part, ces mesures seront-elles efficaces, dans un monde où la technologie s'adapte des plus rapidement aux usages, et où l'on ne trouve aucune frontière ? Il est déjà possible de chiffrer ses échanges, de télécharger des fichiers sur des réseaux privés ou de masquer son adresse IP afin de ne pas être détecté. Aujourd'hui, ces techniques sont réservées à une petite frange de la population des internautes, mais l'adolescent d'aujourd'hui ne tardera pas à se renseigner sur l'utilisation d'un proxy s'il pense que cela lui permettra de télécharger en toute impunité. « Je suis pas sûr que ça marche, mais ils ont au moins le mérite d'essayer », commentait, rue de Valois, un représentant de l'industrie du cinéma.
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