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Et si l’avion se faisait plus écologique, moins polluant, moins bruyant et sans émissions nocives ? Et si le transport aérien se réinventait, à l’aune du moteur électrique ?

Il y a encore 20 ans, le simple fait d’évoquer des avions propulsés à l’électricité faisait sourire. L’autonomie, le poids des batteries et le coût associé semblait rendre l’équation tellement défavorable, à fortiori du point de vue d’une industrie qui a toujours fonctionné au kérosène, que l’idée même de faire décoller et voler un avion à moteur électrique paraissait impossible. 

Mais la situation a bien changé aujourd’hui et l’évolution vers des avions tout ou partie électriques semble même s’accélérer.

Histoire en marche

Il y a tout juste un an, en juin 2020, le plus gros avion électrique ayant jamais volé (un Cessna 208B Grand Caravan modifié par MagniX et théoriquement capable d’embarquer 14 passagers) effectuait son premier vol. Le même mois, le Velis Electro produit en Estonie par la société Pipistrel devenait le tout premier avion 100 % électrique à obtenir un « certificat de type » (garantissant sa navigabilité) de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). 

Velis Electro - © Pipistrel
Velis Electro - © Pipistrel

Le Cessna de MagniX n’est resté que 30 minutes en l’air et sans transporter de passagers, tandis que le Velis Electro n’est qu’un avion à deux places, doté d’une autonomie de vol de 80 minutes et principalement destiné à l’entraînement. Mais ce sont néanmoins là des événements signifiants, peut-être même historiques. « C’est la première étape vers l'utilisation commerciale d'avions électriques, nécessaire pour un transport aérien sans émission », soulignait le PDG de Pipistrel en obtenant son agrément.

Peu après, en septembre 2020, le Velis Electro effectuait d’ailleurs un vol (vraiment) historique. Survolant les Alpes pour rejoindre la Mer du Nord depuis la Suisse, il établissait au passage pas moins de sept records du monde (dont celui de la plus haute altitude jamais atteinte par un avion électrique, ou celui de la vitesse moyenne la plus élevée au-delà de 700 km de parcours).

Pour l’aviation légère, la transition est donc bel et bien engagée.

Petits, légers et 100 % électriques

De fait, il existe déjà de très nombreux modèles d’avions exclusivement propulsés par des moteurs électriques. Tous n’ont pas encore volé et la plupart n’ont pas reçu d’agréments officiels des autorités aériennes, mais ils n’ont plus à rougir de leurs spécifications techniques, y compris de l’autonomie, déjà suffisante pour différents usages. 

eFlyer - © Bye Aerospace

Beaucoup de modèles témoignent du chemin parcouru. En avril 2021, l’entreprise américaine Bye Aerospace présentait son eFlyer 800, un avion électrique à huit places pouvant atteindre une vitesse de croisière de 600 km/h à 10 000 m d’altitude, avec 900 km d’autonomie (l’avion est propulsé par le moteur électrique français ENGINeUS, du groupe Safran). Autre exemple frappant, le Alice de la société israélo-américaine Eviation devrait effectuer dans les semaines qui viennent de nouveaux essais destinés aux agréments. Il embarque une batterie de 820 kWh, peut transporter 11 personnes et parcourir 800 km, et pourrait entrer en service commercial en 2023.

S’il s’agit là d’avions au sens conventionnel du terme, cette évolution se télescope aussi à l’apparition d’une nouvelle gamme d’appareils, les fameux eVTOL (engins volants électriques à décollage et atterrissage vertical). Des dizaines de modèles entendent offrir une alternative viable au transport urbain sous la forme de « taxis volants ». Et là aussi, sur le papier au moins, les spécifications semblent prometteuses. Le 10 juin 2021, l’entreprise californienne Archer a par exemple dévoilé son prototype Maker, un eVTOL à deux places pouvant atteindre 340 km/h avec une batterie autorisant des trajets jusqu’à 96 km. L’entreprise espère voir démarrer les vols commerciaux en 2024, à Los Angeles et Miami.

Même si la logique et l’usage sont en principe différents de l’avion au sens classique, puisqu’il s’agit avant tout de solutions destinées à un usage urbain sur de courtes distances, le sujet est connexe. Les problématiques techniques sont similaires, les progrès sont tout aussi édifiants et les usages potentiels tendent à se recouvrir. Par exemple, le constructeur chinois eHang, à la pointe de l’innovation dans le domaine du taxi volant à courte distance, a présenté en mai dernier son VT-30 AAV, un engin tout électrique ressemblant davantage à un avion qu’à un drone à passagers. Il affiche une autonomie pouvant aller jusqu’à 300 km, ce qui le prédispose à des trajets entre villes et pas uniquement intra-urbains.

VT-30 - © eHang

Toutes catégories confondues, le secteur de l’engin volant électrique est donc en plein boom. Au total, le cabinet spécialisé Roland Berger estime qu’on compte plus de 200 aéronefs électriques actuellement en développement dans le monde (tant de la part de start-ups que de grands groupes aéronautiques). Du jamais vu, avec un accroissement du nombre de projets de 30 % entre 2020 et 2019. Et les compagnies aériennes investissent d’ailleurs massivement dans le secteur des taxis volants. C’est donc un imposant mouvement vers une aviation légère 100 % électrique qui se produit actuellement.

Nombre d'aéronefs électriques actuellement en développement - © Roland Berger

Longs courriers, en route vers l’hybride et l’hydrogène 

Evidemment, l’équation n’est pas la même pour les très longues distances et les appareils transportant plusieurs centaines de passagers. Comme le rappelle le groupe Safran, leader mondial des moteurs d’avions et d’hélicoptères, « Le cap vers l'électrification des fonctions propulsives s'inscrit dans le sens de l'histoire. Un constat réaliste s'impose cependant : en l'état actuel de la science, la propulsion 100 % électrique d'un avion commercial de grande taille est impossible à court ou moyen terme ».

Pour les longs courriers et les avions de plus de 100 places, il faudra sans doute envisager d’autres technologies qu’un moteur électrique et des batteries, comme la supraconductivité (envisagée en Russie), le plasma (la Chine a montré l’année dernière un turboréacteur au plasma, fonctionnant sans énergie fossile) ou l’hydrogène (pressenti par Airbus, qui a présenté en 2020 trois concepts qui pourraient être opérationnels d’ici 2035).

Le design cible des futurs Cassio - © VoltAero

D’autres misent aussi sur des moteurs hybrides, notamment en France. Airbus, Safran et Daher travaillent sur EcoPulse, un démonstrateur d’avion à propulsion hybride distribuée qui a passé avec succès sa revue préliminaire de design en décembre dernier, avant un premier vol prévu courant 2022. Toujours en France, à Royan, VoltAero finalise sa gamme Cassio, des avions à 4, 6 ou 10 passagers, propulsés par des moteurs hybrides avec une autonomie de plus de 1000 km. Un démonstrateur, Cassio 1, qui a déjà 50 heures de vol à son actif, doit être présenté au public pour la première fois à Lyon ce mois-ci dans le cadre de France Air Expo.

Malgré tout, certains continuent à penser que le tout électrique est possible, y compris pour des avions de grande taille. Easyjet et Wright Electric ont confirmé la mise en point du Wright 1, un avion électrique susceptible de transporter 186 passagers. Wright a montré en mai un onduleur électrique très performant, élément central des futurs avions sans émission, présentant une déperdition de chaleur six fois moindre comparé aux systèmes actuels.

Wright 1 - © Wright Electric

Un appétit affiché

Toujours est-il que l’intérêt commercial suscité par les appareils électriques se confirme de semaine en semaine. Les choses semblent même s’accélérer, comme en témoigne l’actualité du secteur ces derniers mois.

En avril 2021, UPS annonçait son intention d’acquérir 150 avions électriques à décollage vertical (le eVTOL ALIA-250), dont 10 déjà achetés.

En mai, la société française Aura Aéro confirmait un carnet de commandes de 50 unités pour son Integral E, la version électrique de son petit avion destiné à la voltige aérienne, dont le premier vol est prévu en 2022. Et la start-up toulousaine travaille au développement d’un avion 100 % électrique à 19 places, destiné au transport régional.  Ailleurs, la compagnie norvégienne Widerøe, première compagnie aérienne régionale du pays, annonçait son partenariat avec Rolls-Royce et Tecnam, en vue de démarrer des vols tout-électriques dès 2026. Avant la pandémie Covid, la compagnie assurait 400 vols quotidiens, dont les trois quarts sur des distances de moins de 275 km. Tecnam produit notamment le P-Volt, un petit avion électrique à 9 places, qui s’inscrit parfaitement dans le programme d’électrification du transport aérien régional.

P-Volt - © Tecnam

En juin, l’armée de l’air danoise achetait deux Velis Electro, devenant la première armée au monde dotée d’avions électriques (destinés à l’apprentissage). Le même mois, le transporteur britannique Halo Aviation passait commande de 200 eVTOL auprès d'Eve, filiale de l’avionneur brésilien Embraer. Une centaine de ces taxis volants électriques seront déployés à New York, les autres à Londres, à horizon 2026. Toujours ce mois-ci, Avolon, entreprise de location d’avion, annonçait ce qui paraît être la plus grosse commande d’appareils électriques jamais effectuée : l’achat de 500 eVOTL, pour un montant global de 2 milliards de dollars, auprès de Vertical Aerospace. Cette dernière produit notamment le VA-X4, un avion 100 % électrique pouvant transporter un pilote et quatre passagers avec une autonomie de près de 200 km (certification attendue pour 2024).

Multiples avantages et nouveaux usages

Les bénéfices attendus des avions électriques sont connus. Le plus évident est la suppression des émissions de CO2. Même si l’aviation commerciale ne représentait en 2019 que 2 % des émissions de CO2 d’origine humaine (pour transporter 4,5 milliards de passagers), elle est souvent pointée du doigt pour des raisons environnementales. Or même si les avions électriques ne concernaient que le transport régional, ils permettraient d’éviter l’émission de dizaines de millions de tonnes de CO2 chaque année (47 millions en 2018).

Les constructeurs soulignent aussi l’efficacité énergétique de leurs appareils. Par exemple, le Velis Electro de Pipistrel, lors de son vol record l’année dernière, a consommé en moyenne 22,76 kWh / 100 km, soit l’équivalent de 2,33 litres de diesel aux 100 km. « Un avion comparable équipé de moteurs à combustion aurait consommé 4 à 5 fois plus d'énergie », commentaient les organisateurs du vol. Le Heaviside de Kitty Hawk, un avion électrique monoplace à huit hélices, utilise « moins de la moitié de l'énergie par kilomètre parcouru qu'une Tesla Model S », tout en évoluant bien sûr à des vitesses plus rapides.

Un autre avantage est la réduction du bruit. Même si cela dépendra sans doute des modèles, tous les constructeurs assurent que leurs appareils sont beaucoup moins bruyants que des appareils conventionnels, à fortiori pour des engins de petite taille. Le Heaviside est par exemple « 100 fois plus silencieux qu’un hélicoptère ». En vol, il produit 35 dB à 450 mètres d’altitude, soit un bruit « qui se fond dans le bruit de fond d'une ville ou d'une banlieue, à peine perceptible à l'oreille humaine », tandis qu’au décollage, « le bruit devient presque indétectable après 30 secondes », assure le constructeur.

Enfin, et peut-être surtout, il y a les coûts d’exploitation et de maintenance. Bye Aero estime que son eFlyer revient « cinq fois moins cher » qu’un avion conventionnel pour l’opérateur. VoltAero avance que le coût de revient total de son Cassio, même en version hybride, sera « 35 % moins cher que les avions concurrents ». Et cela devrait se traduire par des coûts qui pourraient être entre 30 % et 50 % moins élevés pour l’usager. En présentant le Maker début juin, Archer expliquait par exemple qu’un trajet du centre de Los Angeles à la ville côtière Santa Monica, nécessitant actuellement 45 minutes en voiture, pourrait être effectué en moins de 8 minutes en taxi volant électrique — et pour moins de 40 $.

L’avion électrique apporte donc des solutions innovantes à des problèmes bien réels, mais aussi la promesse de démocratiser davantage le transport aérien.

VA-4X - © Vertical Aerospace

Et se dessine alors un scénario très plausible : entre 2025 et 2030, l’avion électrique s’impose comme une solution inédite de mobilité urbaine ou inter-urbaine, tout en devenant une alternative au transport régional. En étant plus souple d’emploi et moins cher à opérer et à maintenir, les petits eVTOL peuvent se généraliser — et changer la donne. Dans les villes, ils ne nécessitent pas forcément d’infrastructures nouvelles (comme le préfigure le partenariat signé début juin 2021 par Joby, constructeur d’un avion électrique à cinq places, pour utiliser des milliers de toits des parkings et autres immeubles sous-employés pour ses taxis volants). Le transport aérien devient ainsi « à la demande », sorte de Uber en version volante, y compris pour de plus longues distances (comme le défend la compagnie KinectAir, qui vient de signer un partenariat avec VoltAero pour proposer des vols régionaux directs « à la carte » et à impact carbone réduit). L’iconique « jet privé », autrefois très élitiste, se démocratise et se banalise donc à grande échelle, pour des distances courtes ou moyennes. 

A plus long terme, entre 2030 et 2040, apparaissent des longs courriers à moteurs électriques, hybrides ou à hydrogène, qui complètent le tableau et réduisent considérablement le coût carbone du transport aérien.

Dans tout cela, comme pour toutes les autres formes de transport, le moteur électrique est clé. Mais son impact sur l’aviation sera sans doute bien plus profond que pour l’automobile. L’idée n’est pas juste de remplacer les avions existants par des équivalents moins polluants, mais bien de transformer l’usage de l’avion. L’avion électrique promet d’être plus souple, plus immédiat, plus accessible — et plus vert.