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Que ceux qui prétendent que « l'i-mode » est dépassé se taisent et écoutent : tel est en gros le message qu'a fait passer cette semaine le créateur de cette plate-forme de services multimédia mobiles et premier opérateur de télécommunications cellulaires japonais, NTT DoCoMo. Non seulement l'i-mode n'est pas « has-been », mais il continue de faire la course en tête, et le pécule qu'il génère de faire saliver le secteur des nouvelles technologies, s'est réjoui une fois de plus le gourou charismatique du groupe, l'impayable directeur des services multimédia de NTT DoCoMo, Takeshi Natsuno, lors d'une conférence de presse jeudi à Tokyo.
Et pourquoi M. Natsuno se permet-il de telles assertions ? Eh bien parce qu'elles sont exactes. Ce n'est pas l'auteur de ces lignes qui le dit (elle n'oserait pas), mais le vice-président d'un groupe dont le modèle (ouvert et gratuit) est pourtant perçu comme l'exact opposé de l'i-mode (fermé et payant), en l'occurrence... le géant du Net américain, Google. Il ne s'agit pas là de propos « fair-play » pour éviter les vaines querelles, mais de la reconnaissance par Google de l'intérêt de s'appuyer sur les développements et la structure performante de NTT DoCoMo, afin d'utiliser le Japon comme un laboratoire pour l'essor de ses activités sur téléphones portables à l'échelle mondiale. Ceux qui utilisent l'i-mode de NTT DoCoMo au Japon savent très bien, qu'en situation de mobilité, cette offre de services, accessible en un clic, est dix fois plus efficace et plus rapide pour trouver ce qu'on cherche que la consultation de sites internet conçus pour ordinateur depuis un « smartphone ». Et ce, même s'il faut payer. Google l'a compris en tout cas, qui a décidé de faire cause commune avec NTT DoCoMo. Les deux vont marier harmonieusement leurs modèles.
Un partenariat NTT DoCoMo / Google
Le vaste partenariat qu'ils ont annoncé jeudi dernier concerne quatre domaines : l'intégration du moteur de recherche internet Google sur le portail mobile « i-mode » de NTT DoCoMo; l'ajout progressif des autres applications de Google, répliques de celles existant sur Internet, sur la plate-forme de services « i-mode »; le co-développement de téléphones basés sur l'architecture « Androïd » que prépare Google; et la création de nouveaux outils de marketing. Détaillons.
Le moteur de recherche Google va donc apparaître en haut de la page d'accueil du portail de services mobiles « i-mode » de NTT DoCoMo, permettant aux quelque 48 millions d'utilisateurs de cette vaste plate-forme de services multimédia mobiles de naviguer encore plus facilement sur les sites « i-mode » ainsi que sur l'ensemble d'Internet avec leur téléphone, selon NTT DoCoMo. « Il y a plus de 10 000 sites officiels i-mode (référencés dans le menu du portail), un moteur de recherche s'impose », a ironisé M. Natsuno. Les pages de réponses aux requêtes effectuées via Google seront divisées entre sites officiels « i-mode », sites « i-mode » non-officiels et sites internet pour ordinateur, laissant ainsi le choix aux utilisateurs. Des publicités liées au contenu des requêtes s'intercaleront entre ces groupes de réponses, procurant à NTT DoCoMo et Google une source supplémentaire de revenus.
A la question : « pourquoi ne pas avoir choisi le moteur "Goo" développé par le groupe NTT », le directeur général adjoint de NTT DoCoMo, Kiyoyuki Tsujimura, ne s'est pas démonté : « nous prenons ce qui se fait de mieux pour offrir le meilleur service à nos clients ». « Notre stratégie anticipe l'extension des infrastructures cellulaires à haut-débit (HSDPA/HSUPA), la mondialisation des services sur terminaux fixes et mobiles et l'accroissement des liens entre monde réel et univers virtuel », a-t-il expliqué, très professoral.
Par ailleurs, les applications et services développés par Google, initialement pour les ordinateurs, vont progressivement faire leur apparition sur les terminaux mobiles de NTT DoCoMo en versions « i-mode ». « D'ores et déjà deux de nos terminaux sont dotés d'origine de l'outil de cartographie adapté à l'i-mode Google Maps, lequel deviendra une application standard sur les prochains modèles », a précisé Takeshi Natsuno. Ce sera aussi le cas pour « Google Mail » (courrier), pour l'agenda « Google Calendar », pour la plate-forme de partage de vidéos « YouTube » ou encore pour « Picasa », un espace de stockage de photos en ligne. Tous seront progressivement adaptés à la plate-forme « i-mode » et pré-installés sur les futures séries de mobiles exclusifs co-développés par NTT DoCoMo et ses habituels fournisseurs (Panasonic, NEC, Fujitsu, Mitsubishi Electric, Sharp, Sony-Ericsson).
NTT DoCoMo s'est par ailleurs engagé à participer au développement de terminaux embarquant le système d'exploitation (OS) et l'architecture « Androïd » que Google est en train de concevoir avec une trentaine d'acteurs de la téléphonie mobile. « Notre objectif est de proposer une diversité d'appareils qui puissent correspondre aux besoins variés de nos différents types de clients », a justifié M. Natsuno enthousiasmé par les premiers travaux des équipes ralliées à Google.
Le groupe américain et NTT DoCoMo prévoient enfin de concocter de nouvelles « formules de marketing ». Bien qu'aucun détail n'ait été donné sur ce point, ces "recettes commerciales" coupleront à n'en pas douter le « virtuel » (en ligne) et le « réel » (sur le terrain), feront probablement appel à la localisation géographique et aux fonctionnalités que permet l'intégration dans les terminaux d'une puce sans contact (titres de transport, porte-monnaie électroniques et autres outils existants ou à venir).
Google mise sur les développements futurs
Ce partenariat d'envergure entre Google et NTT DoCoMo en a surpris plus d'un (sauf les lecteurs du Nikkei et des médias qui s'en sont fait l'écho fin décembre). Et pour cause, le moteur de recherche Google est déjà présent, et depuis longtemps, sur le portail mobile du principal concurrent de NTT DoCoMo, KDDI. Toutefois, ce dernier n'a pas signé de pacte de co-développement avec Google aussi avancé que celui conclu avec NTT DoCoMo. « Notre alliance est beaucoup plus large », a insisté M. Natsuno. Ce dernier juge en outre que l'arrivée de Google n'aura pas d'effets sur le modèle économique des sites officiels « i-mode », lesquels tirent leurs ressources des abonnements mensuels payants et/ou de la vente de contenus et produits acquittés à l'acte. « Cela ne changera pas brutalement notre fonctionnement, mais le fera évoluer », a-t-il ajouté.
« C'est un partenariat sur le long terme très excitant pour nous, car nous pensons que le potentiel est important dans un marché aussi sophistiqué », s'est pour sa part félicité le vice-président de Google, Omid Kordestani, pour qui le marché japonais est un lieu idéal pour innover. « Pour Google, c'est une expérience qui a une valeur stratégique à l'échelle mondiale », a renchéri le PDG de Google Japan, Norio Murakami.
Contrer la concurrence avec Google
« Proposer des nouveaux outils est aussi un moyen de fidéliser les clients » a reconnu le directeur général adjoint de NTT DoCoMo, Kiyoyuki Tsujimura. Bien que contrôlant plus de la moitié du marché mobile japonais, NTT DoCoMo doit en effet affronter une concurrence de plus en plus offensive et rude. Il subit notamment les assauts répétés du troisième opérateur nippon, Softbank Mobile, co-propriétaire du rival de Google, « ! Japan », premier portail de recherches internet au Japon.
Softbank, qui a racheté en 2006 les activités mobiles de Vodafone au Japon, a brillament redressé cette ex-filiale du groupe britannique en lui faisant subir une spectaculaire cure de jouvence. Par ailleurs, Softbank est non seulement le co-détenteur de « Yahoo! Japan », mais aussi le fournisseur du service d'accès à internet à haut-débit « Yahoo! BB » (5 millions de foyers abonnés), le co-gérant de la plate-forme communautaire « MySpace Japan » (via une co-entreprise avec News Corp) ou encore le co-administrateur du site de journalisme citoyen « OhmyNews Japan », émanation japonaise d'un service du même type qui cartonne en Corée du Sud. Il est aussi associé à des services internet chinois qui entendent bien lutter contre Google. Autant dire que Softbank réunit au Japon tous les adversaires de Google et qu'il a de la matière pour créer des synergies, alimenter son portail mobile, attirer du peuple et des annonceurs. Google, qui est à la traîne sur le Net nippon face à Yahoo!, avait donc tout intérêt à s'associer au leader du marché mobile NTT DoCoMo, lui même poussé au train par ses rivaux.
L'annonce de l'alliance entre NTT DoCoMo et Google survint en outre juste après que Disney a décidé de lancer une offre de téléphonie mobile au Japon (en tant qu'opérateur virtuel -MVNO- via la location de capacités sur l'infrastructure de Softbank). L'entrée du groupe de divertissement américain sur le marché japonais et l'optimisme qu'il affiche peuvent laisser pantois car Disney s'est méchamment planté sur ce plan aux Etats-Unis. Mais l'Archipel est une terre d'exceptions. « Le Japon est le marché le plus évolué du monde sur le plan des usages du mobile, c'est pour cela qu'il intéresse tant les Américains qui n'ont pas tant réussi dans ce domaine que dans les services internet pour ordinateurs », en conclut M. Natsuno.
NTT DoCoMo, qui compte quelque 53 millions d'abonnés sur un total de 105 millions de « mobilautes » nippons, discute aussi avec l'américain pour obtenir en exclusivité le droit de vente de l'iPhone au Japon, lorsque ce téléphone multimédia sera compatible avec les réseaux de troisième génération (3G/3,5G). Reste à savoir si le rusé patron de Softbank, le stratège milliardaire Masayoshi Son, ne s'emparera pas du trophée, réussissant alors l'exploit de convaincre Steve Jobs de confier la commercialisation de son iPhone, non pas au numéro un d'un marché donné, mais à un challenger, ce qui serait une première...
