Le Conseil d'État valide l'attribution d'un marché télécoms contesté de l'armée française, malgré d'initiaux soupçons de conflit d'intérêts. Ces derniers n'ont pas convaincu la plus haute juridiction administrative.

Le Conseil d'État remet les pendules à l'heure sur les conflits d'intérêts © Reflexpixel / Shutterstock
Le Conseil d'État remet les pendules à l'heure sur les conflits d'intérêts © Reflexpixel / Shutterstock

L'armée française voulait choisir un nouveau prestataire télécoms, mais des soupçons de conflit d'intérêts ont éclaté. Car un ex-employé militaire travaillait chez l'entreprise gagnante de l'appel d'offres. La société concurrente, Wifirst, a attaqué cette attribution en justice et a d'abord eu gain de cause. Mais le Conseil d'État a finalement donné raison à l'armée, en condamnant le fournisseur d'accès pour professionnels Wifirst, dans un arrêt rendu le 23 mai 2025.

Quand l'ex-employé devient l'arme secrète de la concurrence

Tout commence en janvier 2023 quand l'Economat des armées, un établissement public qui fournit nourriture, matériel et équipements aux militaires en France comme en opérations extérieures, lance un appel d'offres pour équiper ses sites militaires français et étrangers en services de télécommunications « de loisir ». Il s'agit ici d'offrir, en quelque sorte, internet, téléphonie et communications pour égayer le quotidien de nos soldats. Le marché, divisé en trois lots géographiques, fait alors saliver les acteurs du secteur.

Dans ce ring technologique, deux entreprises de l'Hexagone se font face : d'un côté Wifirst, et de l'autre Passman. Mais l'histoire se corse quand surgit un personnage trouble, appelé « MB », qui n'est autre qu'un ancien directeur de projet chez l'Economat, mais désormais salarié chez Passman. Pendant huit ans, ce monsieur avait eu accès aux petits secrets de l'administration militaire, notamment aux grilles d'évaluation du précédent marché conclu avec... Wifirst en 2018.

Le scénario a viré au cauchemar administratif quand l'Economat a commis une bourde. En publiant le dossier d'appel d'offres en avril 2023, l'administration a diffusé par erreur des données confidentielles sur les anciens prix pratiqués par Wifirst. Un avantage concurrentiel en or massif pour tous les autres candidats qui découvrent ainsi la stratégie tarifaire de leur rival. Après cette fuite embarrassante qui faussait complètement la concurrence, l'administration militaire a jeté l'éponge et annulé purement et simplement toute la procédure en juin 2023. Mais l'affaire ne s'arrête pas là.

Pourquoi la plus haute juridiction française donne tort à l'opérateur Wifirst

Un an plus tard, en avril 2024, l'Economat a relancé les hostilités, avec un nouveau marché remanié. Cette fois, fini le forfait « par lit », place au forfait « par site », une révolution tarifaire qui change complètement la donne économique. Passman rafle alors les lots 1 et 2, et Wifirst contre-attaque devant le tribunal administratif de Montreuil, qui lui donne raison un peu plus tard, en décembre 2024.

Mais c'était sans compter sur l'analyse rigoureuse du Conseil d'État. Pour le juge administratif, pas question de céder aux soupçons non étayés. « La seule circonstance qu'un salarié d'une société candidate ait été employé par l'acheteur est, par elle-même, insusceptible d'affecter l'impartialité », tranche-t-il avec sa précision juridique habituelle. L'examen factuel l'emporte donc sur les présomptions.

La Cour poussera même le pragmatisme jusqu'à reconnaître qu'une procédure « empoisonnée » peut être purifiée. Délai de carence d'un an, restructuration complète du marché, anciennes données de 2018 devenues obsolètes, voilà autant d'éléments qui ont lavé l'affront initial. Résultat des courses : Wifirst a écopé de 9 000 euros d'amende (4 500 euros chacun pour l'Economat et Passman) et repart bredouille, la queue entre les jambes.