Jean SCHMITT, Sofinnova : "Les start-up sont les anarchistes du système capitaliste"

03 mars 2004 à 00h00
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JB - Jean SCHMITT, bonjour. En quelques mots. Pourriez vous présenter votre parcours ?

JS - Bonjour. Je suis diplômé de Télécom Paris (88) et au sortir de mon DEA en intelligence artificielle, j'avais prévu de faire une thèse sur l'enseignement assisté par ordinateur et les systèmes expert capables de s'adapter aux capacités des apprenants. Faute de partenaires financiers, j'ai décidé de créer une société pour financer ma thèse mais je me suis pris au jeu, j'ai abandonné ma thèse et j'ai fini par revendre cette société à Cbis devenu depuis Convergys. A la suite de cette première opération, j'ai crée SLP infoware, éditeur de l'un des meilleurs logiciels de statistiques du marché. Mais le chiffre d'affaire stagnait et nous avons compris, qu'il ne fallait pas vendre du logiciel mais une application, en l'occurrence un outil de prédiction du churn pour les opérateurs cellulaires et, grâce aux conseils de Don LUCAS, l'un des administrateurs d'Oracle, notre chiffre d'affaires est passé en 24 mois de 3 à 10 millions de dollars, avant que la société ne soit rachetée en 2000 par Gemplus pour 50 millions de dollars.

Après un an chez Gemplus, je suis arrivé chez Sofinnova Partners en tant que Partner où j'ai l'occasion de partager mon savoir faire en matière de gestion d'entreprise, d'internationalisation, avec un focus particulier sur le marché des télécoms wireless.

JB - Comment sélectionnez vous les projets dans lesquels vous décidez d'investir ?

JS - Mes choix d'investisseurs sont les mêmes que mes choix d'entrepreneur. Il faut d'abord identifier une société située sur un petit marché fragmenté mais en forte croissance dont elle peut rapidement devenir le leader, ensuite recherche une technologie disruptive. Sofinnova a une véritable vision industrielle et nous souhaitons accompagner de futurs grandes sociétés et pas faire des "coups" sur des gadgets ou des choses futiles

JB - Quels ont été vos principaux investissements jusqu'à présent ?

JS - Ma première décision d'investissement concernait la société suisse Esmertec car ils répondaient exactement aux critères que je viens d'énoncer. Ils ont conçu une machine virtuelle java pour téléphones mobiles et lors du premier tour en avril 2002, personne ne croyait en ce marché car java avait une part de marché pratiquement nulle et beaucoup de personnes misaient au contraire sur BREW de Qualcomm ou des environnements logiciels plus lourds.

Nous approchons du deuxième anniversaire de cette décision d'investissement et aujourd'hui Esmertec est leader d'un marché dont la croissance dépasse d'ailleurs toutes nos prévisions.

JB - Quels ont été vos autres investissements ?

JS - A la suite d'Esmertec, j'ai décidé d'investir dans Infraworlds, une jeune société spécialisée dans les jeux java pour téléphones mobiles. Outre un véritable savoir faire dans la création de jeux, Infraworlds s'appuie sur un moteur de jeux qui est une simple midlet java d'une grande simplicité, compatible avec n'importe quelle jvm J2ME du marché. La technologie et les jeux Infraworlds sont ainsi en mesure de créer beaucoup de valeur pour les constructeurs et les opérateurs et la société arrive sur un marché au bon moment, avec des concurrents qui se sont épuisés à essayer de concevoir leur propre technologie ou en évangélisant le marché.

JB - C'est cette fameuse logique "industrielle" ? Vous cherchez des briques pour compléter la JVM Esmertec ?

JS - Pas forcément mais il faut reconnaître que la puissance des téléphones mobiles augmente peu et que le gros du marché se situe aux alentours de machines à 100 euros. Il faut vendre des applications et surtout des jeux économiques en puissance processeur ou en espace mémoire pendant encore au moins deux ans.

JB - Que pensez vous d'une société comme Oplayo qui édite un player vidéo java ?

JS - Oplayo est une société très intéressante mais qui est déjà partenaire d'Esmertec. Nous regardons également des sociétés comme Streamezzo qui a crée un proxy capable de diffuser également du rich média (xml, svg, flash, mpeg-4, etc...) sur les mobiles. Je suis persuadé qu'avec l'augmentation des débits des réseaux cellulaires, le download va progressivement laisser la place au streaming, d'autant que cette solution permet de régler de nombreux problèmes de droit d'auteur ou de ne pas saturer la mémoire de son téléphone.

JB - En dehors des mobiles, quels sont vos investissements ?

JS - J'ai repris la gestion de plusieurs dossiers comme 6Wind, un éditeur de logiciels pour faire tourner des applications sous IPV6 dans des appliances ou encore CTS,

une société faisant du management de spectre radio pour les autorités de régulation et les opérateurs. Sur le marché mobile, nous avons également une participation dans Varioptics qui est à l'origine d'une nouvelle génération de lentille photo "liquide", permettant un véritable autofocus sans pièce mécanique, une solution idéale pour les médiaphones avec appareil photo.

JB - Depuis quelques mois, on parle beaucoup de Symbian, PalmSource ou Windows Mobile. Quel est votre sentiment sur les OS mobiles pour téléphones ?

JS - J'ai l'impression que le marché des Smartphones est à peine plus grand que celui des PDA. Mais malgré la faible taille de leur marché, ces trois acteurs n'en finissent pas de se taper dessus. Néanmoins, je ne doute pas qu'un acteur comme Microsoft trouvera sa place sur ce segment... quand les téléphones mobiles auront un disque dur, un écran VGA et un clavier ! :-)

Plus sérieusement, on observe effectivement que de plus en plus d'acteurs de l'informatique s'intéressent au marché des téléphones mobiles et je ne doute pas qu'à terme ils finiront pas s'imposer. Mais d'ici là, des sociétés comme Esmertec auront acquis une part de marché considérable et se seront déjà diversifiées dans l'électronique grand public.

JB - Vous semblez donc sceptique sur l'existence d'un marché de téléphones / ordinateurs ?

JS - Je pense que le grand public est un marché très différent de celui des professionnels. Le grand public veut de l'imagerie, du jeu, de la musique, de la vidéo et certainement pas synchroniser son téléphone avec outlook ou consulter un tableau excel !

JB - Les levées de fonds se succèdent depuis quelques mois. Observez vous une reprise du marché ?

JS - Oui, je pense que le marché ressemble à nouveau à ce qu'il pouvait être en 1997 mais Sofinnova a toujours eu un rôle actif sur le marché, malgré l'éclatement de la bulle. La société existe depuis 33 ans et nous avons connu de nombreux cycles. Ce qui a limité nos investissements ce sont plutôt nos co-investisseurs qui étaient effectivement assez prudents ces dernières années.

JB - Pas de crainte d'une nouvelle bulle ?

JS - J'espère que les valorisations des start-up ne vont pas s'envoler, même si les projets de bonne qualité sont moins nombreux. Les projets fantoches ont disparu et on observe au contraire beaucoup de sociétés avec des profils plus sérieux, souvent issus d'essaimage du CNRS. La loi Allègre a créé un contexte très favorable et je pense que les sociétés créées par des chercheurs vont prendre de plus en plus d'importance dans notre portefeuille d'investissement.

JB - Quel regard portez vous sur la jeunesse ou le capitalisme français ?

JS - Même si j'ai eu une carrière de jeune entrepreneur, je pense qu'on peut également débuter sa carrière professionnel au sein d'un grand groupe, à condition de côtoyer des gens brillants capable transmettre leur passion et leur savoir faire. Je ne suis pas un "pousse au crime" qui considère qu'il faut se jeter dès l'école dans la création d'entreprise.

Pour ce qui est du capitalisme français, j'ai toujours considéré qu'il était représenté par des assemblées de sclérosées dont la première préoccupation était justement bien souvent d'empêcher l'émergence de jeunes entreprises. Les start-up sont un peu les anarchistes du système capitaliste et la première préoccupation d'un CEO d'une société établie est bien souvent d'éviter d'engendrer un "alien" qui pourrait mettre en péril sa propre société.

JB - Jean SCHMITT, je vous remercie
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