Live Japon : l'hygiène du technophile

04 juillet 2009 à 11h03
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Comme chaque semaine, retrouvez-ici la chronique de Karyn Poupée, dont on saluera une nouvelle fois l'excellente connaissance de l'univers nippon. Notre émérite correspondante vient en effet de se voir décerner le prix Shibusawa-Claudel, qui récompense chaque année un travail de recherche en français sur le Japon, pour son ouvrage Les Japonais publié l'an dernier aux éditions Tallandier.

L'hygiène est une obsession pour la plupart des Japonais, même si certaines pratiques ou lieux pourraient laisser croire le contraire. On pense notamment aux arrières-cuisines des "izakaya" (tavernes) logées sous les voies ferrées entre deux artères au coeur de Tokyo, "restaurants" où dînent et boivent plus que de raison les "salarymen". Mais globalement parlant, comparée à la situation des années 1950-1960 et à celle d'autres pays industrialisés, l'hygiène dans les maisons, entreprises et lieux publics, tout comme la qualité de l'air dans les rues de Tokyo, s'est prodigieusement améliorée, dieu merci.

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A l'époque, les rivières servaient de réceptacle à produits chimiques et il était conseillé de rester cloîtré chez soi les pires jours de "smog" (épais nuage d'insanités qui bouchait le ciel de la capitale, identique à celui que l'on observe aujourd'hui à Shanghai ou Pékin). Depuis, le niveau de vie à grimpé et les autorités, fournisseurs de produits et services, qui se sont pliés à des règles plus strictes après moult scandales, ne cessent d'inciter les Nippons à entretenir eux-mêmes et leur environnement. Comment? Eh bien entre autres en leur proposant des appareils high-tech parfois si magiques en apparence qu'ils en deviennent irrésistibles et in fine peut-être même indispensables. Ces engins, dont on ne devine pas forcément au premier abord à quoi ils servent vraiment et dont on n'utilise sans doute pas tout le potentiel, sont généralement assez faciles à dénicher dans les temples de l'électronique et de l'électroménager que sont notamment les Bic Camera ou Yodobashi Camera.

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Nous voilà donc au sous-sol de l'un d'entre eux à Tokyo: face à nous, les toilettes électroniques. On en sourit souvent à l'étranger, mais on a tort. Car il s'agit sans doute de l'objet le plus emblématique de l'étendue de l'exploitation par les Japonais des circuits intégrés et autres pièces de haute-technologie. Il faut dire que sans le développement de ces composants et leur utilisation presque outrancière, pour créer des objets inédits, susciter de nouveaux besoins et faire tourner les affaires, le Japon ne serait pas devenu en 1968, en l'espace de moins de trois décennies, la deuxième puissance économique du monde, grâce alors à la consommation intérieure et à l'équipement de millions de foyers. Certes, le Japon perdra bientôt ce titre de fierté au profit de la Chine (dont la population est dix fois plus importante), mais les semi-conducteurs, les capteurs multisensoriels, les matériaux avancés, la mécatronique, les techniques de réduction de la consommation d'énergie et les avancées technologiques touchant tous les produits (dans un objectif de confort, de fiabilité et de sécurité) resteront les domaines de prédilection du Japon et un pan majeur de l'activité industrielle comme du commerce, faute d'autre chose et notamment de ressources naturelles.

Si la firme Toto a donc pu dès le départ faire un carton commercial avec ses "Washlet", toilettes à jet d'eau, dans les années 1970, c'est que les Japonais étaient dès cette époque attirés par ce genre d'innovation en laquelle ils virent immédiatement un progrès en termes d'hygiène et de bien-être. Aujourd'hui, les indétrônables "Washlet", ou leurs quasi équivalents signés Inax ou Panasonic, équipent la plupart des lieux publics nippons. Leur présence est même devenue un critère discriminant pour les cafés, hôtels, restaurants ou magasins. La plupart des foyers en ont et ne sont pas prêts à y renoncer. Qu'ils déménagent et ils les emportent avec eux, à moins qu'ils n'aient choisi le nouveau logis en location précisément parce qu'il est équipé du modèle dernier cri, hors de prix à l'achat! Et si le propriétaire l'y a installé, c'est justement parce qu'il sait que la présence d'un tel équipement peut faire oublier une lacune autre et potentiellement rédhibitoire (une salle de bain un peu exiguë par exemple).

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Dans cette boutique Bic Camera, une vingtaine de modèles de sièges différents sont accrochés au mur, pour des prix allant de 250 euros à plus de 1.600 euros, et encore, ne sont-ce là que les versions les plus communes. Les tarifs peuvent monter bien plus haut, selon le nombre de fonctions. Le minimum requis par le citoyen lambda est: siège chauffant, jet d'eau variable (puissance, température, direction) et séchage. Au-delà de ces trois caractéristiques de base, certains modèles sont équipés d'une télécommande murale (plus pratique que des touches sur le côté du siège), d'un détecteur de présence (qui lève et abaisse le couvercle puis tire la chasse d'eau), d'un pulvérisateur de désodorisant, d'un émetteur de sons d'eau masquant les bruits, d'une fonction d'entretien semi-automatique, on en passe et des attributs plus surprenants encore, comme des systèmes d'analyse, réservés aux lieux de soins médicaux.

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Les derniers modèles en date sont en outre "sho-ene" (économes en électricité), peu gourmands en eau et même débarrassés des résidus invisibles grâce à un dispositif de génération d'ions négatifs, comme l'indique le sigle en forme de grappe de raisin inscrit dessus. Ce symbole est d'ailleurs apposé sur un nombre incroyable de produits japonais, sur les aspirateurs, les lave-linge, les climatiseurs et même les sèche-cheveux qui n'en sont que plus efficaces (prouvé). Ce pictogramme est évidemment également présent sur les fameux purificateurs d'air déjà évoqués récemment dans une de ces chroniques Live Japon consacrée au palmarès des succès commerciaux de début 2009.

D'ailleurs, dans le Bic Camera où nous nous trouvons, ces appareils, et notamment ceux de Sharp, les meilleurs paraît-il, sont partout vantés, d'où le fait qu'ils se vendent, en dépit d'un prix allant de 110 euros, pour un tout petit modèle, à 500 euros pour ceux capables d'assainir rapidement les espaces volumineux. Tous sont censés éliminer les microbes, virus, pollens et autres particules qui provoquent maladies et allergies. D'aucuns diront qu'à force de vouloir se protéger de tout on n'est plus vaccinés contre rien, mais tests quotidiens à l'appui, il faut avouer qu'il n'est pas désagréable de vivre dans un appartement nettoyé de toutes les saletés qu'on peut malgré soi rapporter de l'extérieur.

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Autre rayon-vedette dans les magasins d'électroménager, celui des systèmes de filtrage d'eau courante à fixer au robinet de la cuisine. Il faut cinq minutes pour installer l'engin. Ce dernier permet de commuter entre trois modes d'écoulement: eau pure (filtrée), eau originale et eau originale déversée en douche. Ces accessoires, conçus par les spécialistes des textiles et de la chimie japonais Toray (connu pour ses matériaux composites) ou Mitsubishi Rayon, sont capables selon les modèles de filtrer dans des proportions de 50% à 80% le plus souvent différentes matières résiduelles potentiellement mauvaises pour le corps humain. Leur prix va de 25 euros à 75 euros environ, sachant qu'il faut changer la cartouche (30 à 45 euros) tous les deux ou trois mois à raison de 10 litres d'eau filtrée par jour. En plus de ces appareils qui rendent le thé vert bien meilleur, sont proposées des fontaines à eau purifiée, qui peu ou prou rendent le même service. A quelques encablures de là se trouvent les réfrigérateurs qui dopent les vitamines et conservent le poisson aussi frais que les vitrines réfrigérantes spéciales des sushiyasan (restaurants de sushi). Fort logiquement, les fours à courant de vapeur qui ne tuent pas les vitamines et suppriment les mauvaises graisses ne sont pas loin.

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Bifurquons, encore quelques mètres et nous voici dans un coin davantage réservé aux filles, nez à nez avec des appareils encore plus étranges: des nettoyeurs de pores faciaux (c'est ainsi écrit en japonais), sorte d'aspirateurs humidificateurs qui avalent les impuretés, des masseurs de visage à ultra-sons, d'autres à ions négatifs (encore eux) ou à lumière générée par des diodes électroluminescentes (LED), des inhalateurs et une batterie d'ustensiles pour effacer semi-électroniquement les rides et les ridules. Devant autant de bidules au design futuriste, on se demande assez vite si les Ya-man et autres fabricants (dont Panasonic) ne nous prendraient pas un peu pour des naïves prêtes à tout pour enlever les marques de l'âge, du stress ou de la fatigue. Bah, tant qu'il y a des clientes pour acheter, ils auraient tort de se priver, d'autant qu'ils sont peut-être sincères.

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Enfin pour conclure, le fin du fin: la cigarette électronique qui n'asphyxie pas, ne gène personne, délivre des vitamines et autres substances bonnes pour la santé tout en parfumant agréablement l'haleine. Le contraire d'une clope, en somme. Il en existe plusieurs variantes, la plus connue et recommandée au Japon étant la Mismo de la firme nippone Sosu. De la taille d'une cigarette longue, rechargeable, l'élégante Mismo (90 euros), qui existe en blanc, noir ou rose, fait briller une LED à son extrémité quand on aspire et dégage dans la bouche de la vapeur aromatisée au pamplemousse ou à la menthe grâce à une cartouche interchangeable "made in Japan" (hygiène et sécurité obligent). L'illusion est parfaite, les murs tapissés de blanc de l'appartement ne jaunissent pas et le purificateur d'air ne devient pas dingue comme avec le tabac et la nicotine. Respirez, c'est fini pour cette semaine.

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