Live Japon : la cigarette fait vivre... l'industrie électronique

Karyn Poupée
Publié le 04 septembre 2010 à 14h49
Cette semaine, notre ami mangaka Jean-Paul Nishi a été surpris de voir l'auteur de ces lignes se permettre de dégainer une cigarette dans un café de Ginza à Tokyo, espace entièrement non-fumeur. Et pourtant, nul client ni préposé ne s'est senti indisposé. La cigarette en question était d'un genre un peu particulier, inodore, inoffensive. Se souvenant des images choquantes du bambin Indonésien, Ardi, garçonnet de deux ans qui fume cigarette sur cigarette, Nishi-san s'est dit qu'on ferait bien de lui en offrir une du même type.

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Au Japon, cela s'appelle "denshi tabako", en français, "cigarette électronique", une appellation à la fois très claire, car décrivant exactement l'objet, et très obscure pour qui n'est pas un adepte des accessoires pour fumeurs. Disponibles dans l'archipel comme dans l'Hexagone, ces substituts de cigarettes imitent une vraie "clope" grâce à un système électronique qui permet en théorie de procurer des sensations similaires. Grosso modo, la cigarette électronique est un générateur d'aérosol sans combustion, qui délivre une vapeur artificielle aromatisée. La cigarette comprend deux parties. Le premier morceau, le plus long, enferme une batterie associée à un détecteur d'aspiration et une diode électroluminescente (LED) qui s'allume à l'extrémité lorsqu'on aspire. Le deuxième bout, qui a en gros la taille du filtre d'une cigarette réelle, est une cartouche souvent amovible et interchangeable qui génère la fausse fumée parfumée. La cigarette électronique reproduit avec une certaine efficacité les impressions d'une cigarette conventionnelle et est censée donner au fumeur un plaisir identique à celui ressenti lorsqu'il fume réellement.

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Depuis quelque temps, ces fameuses cigarettes électroniques, dont il existe une vingtaine de variantes au Japon, sont proposées dans une diversité assez étonnante de commerces en ligne ou ayant pignon sur rue, allant des parapharmacies aux hypermarchés de produits électriques et électroménagers comme Bic Camera. Il en existe des versions jetables et d'autres rechargeables, pour un prix unitaire allant de 1.000 yens (9 euros) à 13.000 yens (117 euros). Tests à l'appui, ce n'est ma foi pas du tout désagréable, d'autant que divers parfums sont proposés, mais cela varie grandement en fonction des marques et arômes.

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Au Japon, le modèle le plus populaire est celui baptisé Mismo, qui existe en trois versions (noire rayée, blanche et rose bonbon) ciblant chacune des publics différents. L'une des raisons de la cote de cette marque réside dans le fait que les cartouches proposées (parfums menthe, pamplemousse ou café) sont fabriquées au Japon. Or il faut savoir que pour les Nippons, c'est sans doute le meilleur argument de vente, sachant qu'ils se méfient des denrées de ce type venues de Chine. Ils ont peur d'être empoisonnés (il y a des précédents avec des aliments surgelés). Leur méfiance vient en outre d'être attisée par un rapport du ministère de la Santé qui met en garde contre des cigarettes électroniques soi-disant dénuées de goudron et autre poison des vraies cigarettes, mais qui, tout bien analysé, en délivrent quand même. "Faites attention, il y a des cigarettes électroniques qui contiennent de la nicotine", écrit en gras sur son site ledit ministère. Les pouvoirs publics nippons ont décidé de mener une enquête, via le "Centre de la vie des citoyens", après avoir reçu des centaines de demande d'avis sur les conditions d'usage et risque liés à ces nouveaux produits. Les requêtes émanaient principalement d'acheteurs ayant acquis le produit via internet. Les services administratifs ont donc testé les 25 modèles proposés (45 parfums), la plupart en provenance de Chine, et ont trouvé 11 variétés (15 arômes) enfermant de la nicotine à des doses variables.

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Comme tous les Etats, le Japon, sur-endetté et de plus en plus inquiet des coûts de santé, appelle sa population à ne plus fumer. De fait, la proportion d'adultes fumeurs au Japon continue de diminuer régulièrement, pour se situer à 23,9% en mai dernier, contre 24,9% un an auparavant, selon une étude annuelle du grand fabricant de cigarettes nippon Japan Tobacco.

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D'après cette enquête, à laquelle ont répondu 20 631 hommes et femmes de plus de 20 ans (âge de la majorité), la proportion de fumeurs de sexe masculin a baissé de plus de deux points en un an, pour descendre à 36,6%. A l'inverse, la part de fumeuses dans la population adulte féminine a légèrement augmenté, de 0,2 point de pourcentage, à 12,1%. Les jeunes Japonais de 20 à 29 ans fument proportionnellement moins que leurs aînés âgés de moins de 50 ans. Le nombre total de fumeurs de plus de 20 ans au Japon (les mineurs n'ont officiellement pas le droit d'acheter des cigarettes) est désormais estimé à 24,95 millions, contre 26,06 millions un an auparavant.

Dans l'archipel, on achète très souvent ses cigarettes auprès de distributeurs dédiés, au nombre de quelque 500 000. Depuis plusieurs années, ces machines, placées à même le trottoir ou dans des bâtiments privés et ouverts au public, exigent une carte à puce sans contact nominative (basée sur le système Felica de Sony) qui sert à prouver que l'on est majeur et fait aussi office de moyen de paiement (porte-monnaie électronique rechargeable). Ce sésame personnel, appelé Taspo, porte aussi une photo et certains automates intègrent une camera, de sorte que si l'acheteur n'est pas le détenteur de la carte, la machine s'en rend compte. Par ailleurs, les cigarettes sont aussi disponibles dans de nombreuses supérerettes ouvertes 24 heures sur 24 et... dans des pharmacies de quartier!

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Même si les lieux où la cigarette est proscrite sont de plus en plus nombreux, au Japon, la cigarette, bon marché (moins de 3 euros le paquet de 20) est interdite dans les locaux publics, bannie dans une partie croissante des transports en commun, et en règle générale exclue des lieux de travail dans les entreprises. Mais les restaurants et bars peuvent encore laisser les adeptes du tabac s'adonner librement à leur pratique.

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Cette drogue reste ainsi davantage tolérée que dans de nombreux pays occidentaux, même si, paradoxalement, on n'a pas le droit de marcher en fumant sur les trottoirs des grandes artères des villes pour éviter les monceaux de mégots. Il y a à certains endoits des cendriers vers lesquels les fumeurs sont priés de se regrouper pour fumer. Les îlotiers veillent et sont en la matière intransigeants.

Comme dans maints cas, l'extension des dispositions légales constitue généralement au Japon une occasion de développer de nouveaux appareils censés en faciliter l'application. Ainsi en va-t-il des réglementations anti-tabac comme des précédentes sur le contrôle du tour de taille des salariés dans les entreprises. Dans le second cas, on a vu apparaître des tas d'engins (y compris des caisses enregistreuses de cantine qui mémorisent les calories absorbées par chaque employé). Dans le cas de la lutte anti-tabagisme, ce sont bien sûr les engins truffés d'électronique et de capteurs permettant de créer et mieux isoler les espaces fumeurs, sans donner trop l'impression de condamner les adeptes du tabac.

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Il y a par exemple des salons fumeurs dans les derniers modèles de Shinkasen (train à grande vitesse), pour compenser l'absence de wagons fumeurs. Afin de diminuer le tabagisme passif, de plus en plus de lieux sont ainsi équipés de puissants extracteurs d'air. Comme pour les sèche-mains, on constate que les modèles japonais sont redoutablement plus efficaces que ceux qui s'époumonnent ailleurs. De plus, il existe désormais des systèmes tout-à-fait étonnants qui permettent de séparer de façon invisible les espaces fumeurs et non-fumeurs, en créant une sorte de barrière d'air, qui interdit à la fumée de passer du côté des non-fumeurs, grâce à un appareil qui bloque la fumée par un fin rideau de souffle frais et pur projeté selon un plan vertical du sol au plafond. Ce dispositif, notamment destiné aux restaurants, donne ainsi la possibilité ne de pas enfermer les fumeurs sans pour autant les autoriser à intoxiquer le voisinage des non-fumeurs. On pourrait même dans l'absolu imaginer que cet appareillage, conçu par Tornex, partage une même table entre fumeurs et non-fumeurs sans que la fumée des premiers n'aille dans le nez des seconds pourtant assis en face.

Il existe aussi d'autres types de mobilier pour créer simplement des espaces fumeurs sans devoir construire des cloisons en dur, comme des sortes de bars eux aussi dotés d'un dispositif d'aspiration, ou bien encore des colonnes entre lesquelles se tisseun rideau d'air qui interdit à l'air enfumé de s'échapper d'un espace cerné mais décloisonné.

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Une autre trouvaille intéressante est la table aspirante, qui génère une tornade artificielle au milieu pour piéger la fumée et l'aspirer. Dans tous les cas, on constate deux éléments récurrents dans les développements de produits au Japon: l'ingéniosité, la volonté de perfection et le pragmatisme, sachant qu'il est plus facile d'installer un nouvel équipement dans un lieu donné que de refaçonner le lieu en question, dans le seul but de séparer les adeptes de de la cigarettes de ceux qui la rejette.

Respirez ou allez fumer une clope, c'est fini pour aujourd'hui.
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