Live Japon : des mariages de raison industriels

Karyn Poupée
Publié le 20 octobre 2007 à 10h56
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Voici, comme chaque semaine un nouveau reportage en direct du Japon, réalisé grâce à notre correspondante permanente sur place : Karyn. Présente dans la célèbre ville de Tokyo, Karyn nous propose donc de nous faire vivre l'actualité high tech de ce côté-ci du globe. Dépaysement garanti !

Malmenés par des concurrents asiatiques à bas prix, les cadors nippons de l'électronique ont beau détenir des technologies au top-niveau, cela ne suffit à leur garantir une part de marché dominante, en dehors du Japon où ils sont rois. De fait, les avant-gardistes japonais sont obligés de faire cause commune pour ne pas sacrifier leur savoir-faire, difficile à imiter mais cher, sur l'autel de la délocalisation rentable s'appuyant sur une main d'œuvre à bas-coûts.
Ces dernières semaines ont apporté plusieurs illustrations à ce « patriotisme techno-écononomique stratégique ».

Le cas Sony / Toshiba

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Sony a par exemple indiqué jeudi 18 octobre qu'il allait transférer d'ici mars 2008 ses lignes de confection de puces pour consoles de Jeux Vidéo Playstation 3 (PS3) à son compatriote Toshiba. Objectif : diminuer les frais de production sans sabrer les investissements en recherche et développement (R&D).

Les deux mastodontes nippons vont créer une société commune afin de poursuivre ensemble le développement de micro-processeurs et circuits intégrés à large échelle (LSI) pour console de jeux. Mais Sony ne fabriquera plus lui-même les composants cruciaux des PlayStation.

La nouvelle firme, détenue à 60% par Toshiba, 20% par Sony et 20% par sa filiale de jeux vidéo Sony Computer Entertainment (SCEI), va essentiellement concevoir les évolutions des puissants processeurs centraux "Cell" et graphiques "RSX" destinés à la PlayStation 3 (PS3).

Le géant américain du secteur informatique, , va également participer aux travaux concernant l'optimisation de la puce Cell. Sony, Toshiba et IBM avait initialement développé ensemble ce micro-processeur ultra-puissant, devenu le cerveau des nouvelles générations de consoles de jeux de Sony, le coeur de serveurs informatiques et censé régir à l'avenir une large gamme d'appareils. Toshiba, Sony et IBM prévoient notamment dans un premier temps une réduction de la largeur de gravure des puces de 65 nanomètres à 45 nanomètres (un nanomètre est égal à un milliardième de mètre). Ce saut dans l'extrême miniaturisation vise à réduire le coût et la consommation énergétique des puces Cell. Des unités de production de ces puces, actuellement détenues par Sony dans une de ses usines au sud du Japon, seront à compter de 2008 exploitées par la nouvelle coentreprise, mais Toshiba en sera le nouveau propriétaire.

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Ce meccano industriel alambiqué, s'il est accepté par les autorités, va permettre à Sony de continuer de participer aux évolutions des micro-processeurs "Cell" et "RSX", et de prendre part à l'optimisation des systèmes de production afférents, sans engouffrer des montants astronomiques dans les matériels nécessaires à leur fabrication en série. La production en masse de semi-conducteurs de cette nature exige en effet des investissements colossaux et récurrents pour moderniser les équipements, au fur et à mesure des avancées techniques.

En sortant de cet engrenage, Sony souhaite d'une part améliorer la rentabilité de ses consoles de jeux PS3, et d'autre part concentrer ses moyens sur la production de pièces pour lesquelles il est un des acteurs majeurs, comme les différents composants entrant dans la composition des TV à écran plat, ou encore les capteurs d'images CCD et CMOS pour appareils photo et caméras numériques.

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La donne est différente pour Toshiba puisqu'il est un spécialiste de la fabrication de semi-conducteurs en gros volume (dont les mémoires flash NAND). Il a d'ores et déjà prévu de consacrer plus de 1.000 milliards de yens (plus de 6 milliards d'euros) en trois ans à l'extension de ses infrastructures de production de circuits intégrés. Il a dès lors tout intérêt à employer des procédés communs, ce qui lui permet de réaliser des économies d'échelle. Toshiba va ainsi optimiser les lignes de production de galettes de silicium de 300 millimètres destinées aux puces Cell rachetées à Sony, pour en augmenter le rendement, tout en ayant, en plus de lui-même, au moins un gros client garanti : Sony.

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Selon l'accord de principe annoncé, Sony va également céder d'ici à fin mars 2008 à Toshiba ses parts (49%) dans une autre société de production de semi-conducteurs pour les consoles PlayStation, Oita TS Semiconductor (OTSS), jusqu'à présent détenue ensemble. La transaction globale envisagée permettra aussi à Toshiba de renforcer son poids dans le domaine des circuits intégrés à large échelle (LSI).

Au final, grâce à cette opération, la facture de revient des PlayStation 3 est censée baisser, ce qui devrait tôt ou tard se traduire par de nouvelles réductions du prix en rayon et probablement donner naissance à une lignée de PS3 de plus en plus petites, comme cela s'est produit pour la gamme de PS2.

L'alliance Sharp / Pioneer

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Autre exemple récent de la stratégie d'union compétitive nippone: le 20 septembre la groupe d'électronique et électro-ménager japonais Sharp et son compatriote du même secteur Pioneer ont noué une large alliance aux termes de laquelle Sharp va devenir le premier actionnaire de Pioneer. Objectif de ce rapprochement soudain et inattendu: « mieux lutter dans un marché mondial ultra-concurrentiel », dixit les deux intéressés.

Selon l'accord conclu entre les dirigeants des deux groupes, d'ici le 20 décembre, Sharp va prendre 14,28% du capital de Pioneer et se hisser ainsi au rang de premier détenteur de titres Pioneer, lequel va acquérir 0,9% de Sharp. Ces prises de participations croisées ont surtout pour objectif de matérialiser la confiance qu'ils s'accordent mutuellement, car l'essentiel se trouve dans l'association technique concomitante, laquelle va se traduire par la mise en commun de leurs technologies respectives pour créer de nouveaux produits que les deux firmes espèrent imbattables en termes de rapport qualité/prix.

« La situation des entreprises du secteur est devenue difficile, en raison de l'augmentation des coûts de développement de nouveaux produits et des investissements en capital allant de pair », justifient les deux groupes. « Le marché de l'électronique grand public est en proie à une intense concurrence », souligne le jeune et brillant patron de Sharp, Mikio Katayama, qui assure que « les technologies évoluent à un rythme jamais atteint par le passé, à tel point qu'il est difficile de prévoir trois mois auparavant ce qu'il va arriver dans l'univers industriel ».

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Sharp et Pioneer vont co-développer des plates-formes pour lecteurs/graveurs de DVD de nouvelle génération (Blu-ray), et concevoir des produits basés sur les technologies de réseaux, l'électronique automobile et le traitement de l'image. Sharp va fournir des composants à Pioneer pour ses différents appareils, et réciproquement.

Résultat, cette alliance va par exemple donner la possibilité à Pioneer d'ajouter à son catalogue des TV à écran à cristaux liquides (LCD), en achetant des dalles à Sharp dont c'est la spécialité. Pioneer ne fabrique pour le moment que des modèles de TV à technologie plasma dont le volume de ventes mondiales est très en-deçà de celui des TV LCD.
Sharp, pionnier de la technologie LCD, est certes en excellente santé depuis plusieurs années, essentiellement grâce à ses gammes de téléviseurs haute-définition basés sur ce mode d'affichage. Mais il n'est pas à l'abri d'un incident, compte-tenu de ses prises de risques financiers. Car Sharp s'apprête à investir environ 600 milliards de yens pour ériger une gigantesque usine de dalles-mères LCD au Japon, alors même que la dernière en date n'a guère plus d'un an.

La concurrence féroce de son compatriote Sony ou des sud-coréens Samsung et LG Electronics hors du Japon l'oblige en effet à une fuite en avant dans les investissements pour disposer de technologies plus productives, gages de rentabilité. Le fait de créer des synergies avec Pioneer, sans aller jusqu'à une fusion, lui permet de minimiser les investissements par ailleurs sans renoncer à l'innovation.

Matsushita et Hitachi ensemble pour la TV

Les deux géants japonais Matsushita et Hitachi ont aussi récemment fait cause commune pour un échange de bons procédés portant sur les TV, renforçant leur partenariat portant sur les dalles plasma pour téléviseurs à écran plat, afin de garantir l'étendue et la compétitivité de leur gamme respective. Selon les termes de l'accord, Matsushita va fournir des dalles nues de 103 pouces à Hitachi dès cette année budgétaire, et Hitachi livrera des modèles de 85 pouces à son partenaire en 2008/09. Les deux groupes collaboraient déjà dans la recherche, le développement et la production de ces pièces maîtresses des TV à écran plat.

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L'extension de leur partenariat ne se limitera en outre pas à cet échange de dalles, divers composants sont également concernés.

Sony-Toshiba, Sharp-Pioneer, ... la liste n'est pas finie !

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Fin juillet, l'un des cadors de l'audio nippon, Victor Company of Japan (JVC), s'est s'allié à son compatriote Kenwood, la maison-mère de JVC, Matsushita, ayant décidé de réduire fortement sa participation dans sa filiale déficitaire.

Matsushita, le géant de l'électronique grand public plus connu pour ses marques phares Panasonic et National, a volontairement consenti à diluer sa participation dans JVC via une augmentation de capital réservée à Kenwood. A l'issue de cette transaction, Matsushita restera le premier actionnaire de JVC mais il n'en détiendra plus que 36,8%, contre 52,4% auparavant. Le but final ne fait pas mystère: fusion JVC-Kenwood. Le regroupement intégral des deux firmes de moyenne taille donnera le cas échéant naissance au plus grand fabricant mondial de systèmes audiovisuels avancés pour automobiles, avec des ventes annuelles combinées de 160 milliards de yens (près de un milliard d'euros).

Etouffé par la concurrence en dépit de pépites techniques, JVC ne dégage plus de marges d'exploitation depuis deux ans. L'entreprise, qui a subi de plein fouet la baisse des prix des produits électroniques, a clos trois exercices consécutifs dans le rouge.

Réputé pour son matériel audio haut-de-gamme vanté par le slogan "His master's voice" (La voix de son maître), JVC est devenu un gouffre pour Matsushita, par ailleurs en pleine forme. Le groupe étudiait depuis plusieurs mois une solution pour se débarrasser en partie de sa filiale devenue un handicap financier, tout en ayant à coeur de ne pas sacrifier son personnel et ses technologies. Le rapprochement avec Kenwood, évoqué initialement puis un temps abandonné en raison de réticences chez JVC, est finalement redevenu le plus viable aux yeux de Matsushita. Le géant, bien disposé à l'égard de ses actionnaires mais pas au point de confier sa filiale à un repreneur quelconque, a préféré cette solution jugée plus conforme à la philosophie de son fondateur que celle offerte par le fonds d'investissement américain TPG, un temps candidat au rachat de JVC.

Un rapprochement tactique similaire s'est produit simultanément entre le fabricant de verres techniques et de précision nippon Hoya et l'un des spécialistes des techniques d'imagerie japonais, Pentax. Hoya a acquis début août plus de 90% des titres de Pentax à l'issue d'une offre publique d'achat amicale.

Le rapprochement de ces deux sociétés, complémentaires en termes de recherche, de développement et de capacités de production, est censé permettre au groupe non seulement de mieux lutter face aux étrangers mais aussi de conserver une taille critique face autres poids lourds du secteur nippons que sont Olympus ou Konica-Minolta (groupe né de la fusion de Konica et de Minolta).

Sanyo n'arrive pas à choisir

Malgré cette série de noces de raison réussies, un cas incertain continue de préoccuper la maison Japon : celui de Sanyo.

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Le groupe d'électronique d'Osaka ne cesse de tester des possibles fiancés et de les laisser tomber, ne trouvant pas la dote assez satisfaisante, en termes financiers, tactiques ou techniques. Ainsi a-t-il annoncé mercredi 17 octobre qu'il allait finalement conserver son activité de semi-conducteurs, pourtant à vendre depuis août. Sanyo était en négociation exclusive avec le fonds d'investissement japonais Advantage Partners pour la lui céder. Cet potentiel acquéreur avait formulé la meilleure proposition de reprise de la filiale Sanyo Semiconductor, en offrant 100 milliards de yens (606 millions d'euros), une somme en ligne avec les attentes de Sanyo. Las, Advantage Partners n'a finalement pas réussi à réunir l'argent nécessaire avant le 15 octobre date butoir pour clore les négociations, ce qui a conduit Sanyo, à renoncer à la vente, pour ne pas brader son patrimoine.

Les problèmes de financement d'Advantage Partners s'expliqueraient par la méfiance accrue des investisseurs envers les fonds de ce type, du fait de leur forte exposition aux risques liés à la crise des prêts hypothécaires ("subprimes mortages") aux Etats-Unis.

Sanyo, qui a subi ces dernières années de graves difficultés financières et managériales, se déleste progressivement depuis plusieurs mois d'activités jugées non stratégiques ou insuffisamment rentables, dans le but de concentrer ses moyens sur la recherche et sur ses domaines d'excellence (piles, Batteries, panneaux solaires, éclairage, etc.) à forte connotation environnementale. Il a déjà cédé sa filiale de cartes de crédit, noué divers partenariats pour les appareils électro-ménagers et audiovisuels.

Sanyo vient aussi d'entrer début octobre en négociations exclusives avec son compatriote Kyocera pour lui céder l'ensemble de son activité de télécommunications mobiles (équipements et terminaux). Initialement, Sanyo songeait à transformer cette activité en coentreprise exploitée avec un partenaire, en l'occurrence le numéro un mondial des mobiles, le finlandais Nokia. Mais les deux sociétés ne sont pas parvenues à s'entendre, Nokia se montrant apparemment d'une arrogance déplaisante et n'ayant pas la même culture que le groupe nippon.

Résultat, plutôt que de partager avec l'ogre nordique, Sanyo préfère vendre à son compatriote Kyocera ses filiales de développement de téléphones et équipements de réseaux mobiles cellulaires, lesquelles ont enregistré un chiffre d'affaires de 277 milliards de yens en 2006/2007 (1,68 milliard d'euros).

Ce rapprochement dans le secteur des mobiles nippons n'est d'ailleurs sans doute que le premier d'un processus de consolidation qui apparaît de plus en plus inévitable. La dizaine de fabricants de terminaux mobiles japonais (Sharp, Panasonic, NEC, Toshiba, Sanyo, Kyocera, Hitachi, Fujitsu, Casio, Mitsubishi Electric, Sony-Ericsson) monopolisent certes le marché intérieur, très haut de gamme (troisième génération et 3,5G exclusivement), mais ils peinent à s'imposer à l'extérieur, où leurs produits sont considérés comme beaucoup trop sophistiqués et coûteux. De plus, le marché des mobiles au Japon, qui tourne actuellement autour de 50 millions d'unités par an, devrait décroître du fait de nouvelles offres tarifaires rendant le renouvellement des terminaux plus onéreux, à cause de la suppression progressive des subventions accordées par les opérateurs. Un mouvement de rapprochements est dès lors attendu par les experts du secteur. A suivre...

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