Le Sénat a publié un rapport assez piquant sur l'intelligence artificielle et la création artistique. Huit recommandations sont proposées pour réconcilier l'innovation technologique et le respect du droit d'auteur.

Les sénateurs espèrent faire entendre raison aux géants de l'IA. © Tang Yan Song / Shutterstock
Les sénateurs espèrent faire entendre raison aux géants de l'IA. © Tang Yan Song / Shutterstock

L'intelligence artificielle générative, entre autres, aspire presque littéralement romans, films et morceaux de musique, le tout sans autorisation. Le Sénat français a décidé de contre-attaquer, en publiant un rapport choc adopté cette semaine par la Commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Les sénateurs ont entre les mains une véritable feuille de route pour civiliser une IA que certains estiment « pirate » et incontrôlable.

L'IA dévore les créations françaises sans rien payer en retour

Depuis l'inévitable ChatGPT, l'intelligence artificielle s'immisce partout dans nos vies. Le problème, c'est que l'IA se nourrit – et pas qu'un peu – de contenus culturels français sans demander l'autorisation. Les géants américains de la tech pratiquent ce que les sénateurs appellent un « moissonnage » systématique des œuvres protégées par le droit d'auteur.

Cette razzia numérique met aujourd'hui en péril tout l'écosystème créatif français. Les traducteurs, les doubleurs, les graphistes, voilà autant de métiers qui risquent purement et simplement de disparaître. L'IA produit désormais des « quasi-œuvres » qui inondent le marché, sans qu'aucun créateur original ne perçoive le moindre euro.

Les sages Agnès Evren, Laure Darcos et Pierre Ouzoulias ont mené l'enquête durant des mois pour tirer tout cela au clair. Au terme de cinquante auditions, rien que ça, leur diagnostic est sans appel : les industries culturelles subissent une « menace existentielle ». Pire encore, cette concurrence déloyale pourrait assécher la source créative dont se nourrit l'IA elle-même.

Comment les géants tech exploitent les failles de la loi européenne

Ne peut-on pas faire appel aux lois dans ce cas ? Pour les sénateurs, la réglementation européenne actuelle se révèle inadaptée face à l'IA générative. La directive de 2019 sur les droits d'auteur contenait des exceptions pensées pour la recherche académique. Les fournisseurs d'IA détournent aujourd'hui ces exceptions pour justifier leur pillage massif des contenus culturels.

Le flou juridique profite ainsi aux géants technologiques qui exploitent les failles du système. Aux États-Unis, les entreprises d'IA invoquent le fair use pour justifier leurs pratiques douteuses. Mais même le Bureau du droit d'auteur américain émet des réserves sur cette interprétation extensive du concept.

Le Sénat veut que les géants de l'IA soient plus favorables au respect de la propriété intellectuelle. © Petr Kovalenkov / Shutterstock.com
Le Sénat veut que les géants de l'IA soient plus favorables au respect de la propriété intellectuelle. © Petr Kovalenkov / Shutterstock.com

Et le règlement européen sur l'IA adopté en juin 2024, le fameux AI Act, devait clarifier la situation. Hélas, même ce texte reste décevant selon les rapporteurs. Les négociations ont accouché d'un compromis bancal qui ne protège pas suffisamment les créateurs. L'Europe hésite est un peu coincée entre le désir d'innovation et le besoin de protection culturelle, au risque de perdre sur les deux tableaux.

Trois étapes pour forcer les géants tech à respecter nos créateurs

Le Sénat refuse la fatalité technologique et pose sur la table huit principes non-négociables. Premier commandement : garantir une rémunération des ayants droit pour chaque utilisation de contenu culturel. Deuxième impératif : exiger une transparence totale sur les données « avalées » par les algorithmes. Les sénateurs veulent aussi créer des bases de données culturelles françaises facilement exploitables, avec des conditions claires.

Leur plan de bataille ? Une riposte graduée en trois actes. D'abord, laisser une dernière chance à la concertation entre ministères et géants de la tech avant l'automne. Si elle échoue, il sera question de brandir la menace d'une loi créant une présomption d'utilisation des contenus français par l'IA.

Enfin, l'ultime recours pourrait être une taxe sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'IA qui ont des utilisateurs et opèrent en France. Sans parler d'escalade, l'idée principale reste de contraindre les mastodontes de l'intelligence artificielle à négocier sérieusement. Avec pour objectif de forger une troisième voie européenne qui transformerait notre richesse culturelle en avantage concurrentiel face aux modèles sino-américains dominants.